Le contrat Areva avec la Chine : dans la voie d’une révolution

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Les milieux économiques des institutions européennes sont particulièrement impressionnés par la perspective de la signature d’un contrat entre la Chine et Areva, lors de la visite de Sarkozy en Chine qui commence (de ce dimanche 25 au mardi 27). Il s’agit du gigantesque contrat d’environ 7 milliards d’euros (livraison de deux réacteurs nucléaires de troisième génération EPR, ainsi que du combustible nécessaire à leur bon fonctionnement). La cause de cette si forte impression est essentiellement la devise choisie pour la transaction. Si elle est réalisée, cette transaction en euros est une grande première, les Chinois réglant habituellement leurs fournisseurs étrangers en dollar, monnaie à laquelle est arrimée leur propre devise, le yuan.

Une de nos sources à la Commission européenne observe que «le fait qu’Areva semble avoir réussi à “imposer” l’euro comme monnaie de transaction pour ce contrat est certes un tribut rendu à la qualité de son offre, mais ce n’est pas le plus important. Bien sûr, l’essentiel est qu’il s’agit d’un pas de plus dans l’affaiblissement et la contestation du statut de monnaie de référence internationale du dollar. C’est sans aucun doute ce qui fait de ce contrat un événement sortant de l’ordinaire, pour d’autres raisons que son volume et sa spécificité.» Réagissant à l’idée que nous évoquions selon laquelle la situation d’Airbus par rapport au dollar pourrait être une sorte de casus belli dans la guerre autour du dollar («La situation dramatique d’Airbus est-il un casus belli conduisant à cette “guerre commerciale” dont Sarkozy a averti le Congrès US de la possibilité, si les Américains ne font rien dans la crise du dollar?»), notre source observe qu’une telle transaction (Areva), d’un tel volume, d’une telle signification, et avec la Chine, pourrait être elle-même «de cette sorte qu’on pourrait considèrer comme un casus belli avec les Américains. Tout de même, c’est quelque chose de beaucoup plus important que les cas récents dont on a fait la publicité, le cas du mannequin brésilien Gisele Brundchen ou la décision des gestionnaires du Taj Mahal de ne plus accepter le paiement des entrées au célèbre monument en dollars au profit de la seule roupie. C’est une affaire qui confirme qu’un processus fondamental est en marche, qui est la mise en cause internationale du dollar». Il n’est pas indifférent, loin de là, que les Français en soient les initiateurs et les Chinois les protagonistes.

Cette nouvelle, qui rejoint celle que nous avons publié sur Airbus, nous permet de prolonger les commentaires de lecteurs qui avaient justement accompagné la nouvelle-Airbus. Certes, on peut réagir justement ou tempêter sarcastiquement à propos de EADS qui geint, de Airbus qui profite aussi de la faiblesse du dollar, notamment par le biais de nombre d'éléments de sa fabrication, du statut du transport aérien grand consommateur d’énergie et grand pollueur et ainsi de suite. Mais il ne nous paraît pas que ces querelles, toutes honorables et éventuellement justifiées qu’elles soient, rendent compte de l’essentiel du propos. Nous parlons en termes de symboles et de perception psychologique, car c’est par eux bien plus que par le dollar que l’Europe a été investie.

Les communistes parlaient de la nécessité constante de distinguer l’“ennemi principal”, et ce principe de tactique politique est fondamental. Quelles que soient les réalités, – les vertus contestables ou pas d’EADS ou d’Areva, les positions des uns et des autres vis-à-vis du dollar, – le grand événement est l’effet psychologique de ce déplacement massif vis-à-vis du dollar (contre lui). Il est bien possible que nous voyons sous nos yeux s’effondrer une dictature psychologique encore plus que comptable, qui emprisonne nos esprits depuis Bretton Woods en 1944. Alors, Airbus, Areva ou la Chine, – qu’importent les moyens de la chose.

On a trop tendance à répondre par la raison et à opérer des rangements rationnels dans les problèmes et les crises, à considérer que les évidences d’une crise ou d’une querelle rendent caduques et sans importance les évidences d’une autre. Lorsque l’on dit que l’énorme crise de l’environnement et des ressources rend de peu d’importance la question des rapports d’Airbus et du dollar, c’est accorder trop d’importance à la raison et oublier que nous sommes dirigés par des petits hommes et également par des hommes dont la raison chancelle. Quoiqu’il en soit de l’importance d’une telle crise (environnement et épuisement des ressources), elle n’empêchera pas la crise de l’affrontement autour du dollar, où Airbus et Areva ont désormais une place importante, et que les deux crises – environnement et ressources d’une part, dollar de l’autre, – interfèrent directement et continuellement l’une dans l’autre.

Il est nécessaire et avisé de se garder de céder au vertige paradoxal de la raison, qui recèle bien autant de déraison que le reste des activités humaines lorsqu’il conduit à écarter ou à réduire l’importance de valeurs irrationnelles comme la perception et la psychologie . En l’occurrence, peu nous importe qui a raison (EADS, Airbus, Areva, dollar). Ce sont des querelles accessoires. Ce qui compte est la marche de l’Histoire et la seule passion froide qui doit se manifester avec bonheur est celle de tenter de deviner cette marche de l’Histoire dans les événements courants.


Mis en ligne le 25 novembre 2007 à 07H39