Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
4819Il semblerait de plus en plus évident que la mort de Jeffrey Epstein, par “suicide apparent” ou n’importe quelle autre occurrence d’apparence, ne sera pas un événement facile à enterrer. Il est extrêmement logique de penser que la logique du Système, comme la presseSystème l’a bien compris, est que cette affaire devrait être conclue presto-pronto selon la narrative officielle, suivie de l’habituel “Circulez, il n’y a rien à voir”. Le problème est qu’il n’y a pas vraiment de narrative officielle tant est grande la complexité des circonstances improbables et mystérieuses de la chose, et par conséquent tant est complexe la mission habituelle de faire rentrer cet événement dans une version innocente et vertueuse, un peu comme lorsqu’on veut faire entrer un carré dans un cercle. Il semblerait même qu’il y ait des attitudes très différentes dans les divers instruments de communication du Système, par rapport à la conduite à tenir sous la pression de de ces “circonstances improbables et mystérieuses”, ce qui donne une très grande impression de confusion et de désordre.
Il règne aujourd’hui dans le monde de la politique et de la communication américaniste, et par conséquent dans celles des pays du bloc-BAO, une étrange et réjouissante schizophrénie. On s’en aperçoit à la lecture régulière de nos insolites amis de WSWS.org qui, à décrire la schizophrénie de Washington D.C./“D.C.-la-folle”, parviennent difficilement à dissimuler leur propre schizophrénie. Il ne fait en effet aucun doute pour WSWS.org que le Système, – c’est-à-dire la ploutocratie réactionnaire-capitaliste de D.C., – veut effectivement “enterrer” l’affaire du “suicide apparent” d’Epstein après avoir commis, ou laissé commettre le forfait. On en revient donc au constat présenté plus haut et aussitôt affiché par WSWS.org “que cette affaire devrait être conclue presto-pronto selon la narrative officielle, suivie de l’habituel ‘Circulez, il n’y a rien à voir’”, suivi effectivement du second constat : “Le problème est qu’il n’y a pas vraiment de narrative officielle”.
Ainsi voit-on se dérouler au fil des articles de WSWS.org, qu’il faut lire parce qu’ils sont bien informés et qu’ils nous rendent compte, au travers de leur propre schizophrénie provoquée par l’évolution des affaires, de la schizophrénie du Système. La bataille suivant la mort d’Epstein, pour rendre compte de la mort d’Epstein, a été de dénoncer aussitôt les “théories complotistes” qui ne manqueraient pas d’être développées, qui étaient déjà développées, qui semblaient même avoir précédé la mort, – comme si, effectivement, il y avait eu complot ! Le problème est que les circonstances sont si extraordinairement “improbables et mystérieuses”, qu’il est quasiment impossible, en simplement énonçant les faits, les déclarations officielles, les évidences, etc., de faire autre chose que de suggérer qu’il y a eu complot...
Voici quelques extraits très courts et mais révélateurs de cette démarche de dissimulation de la presseSystème, du premier texte dans sa version originale (anglaise) de WSWS.orgsur la mort d’Epstein, le 12 août (le site ne publie pas le dimanche) :
« Les circonstances extraordinaires de la mort d’Epstein ont produit une campagne hystérique des médias. Les efforts acharnés de ces derniers — et du New York Times en particulier — visaient à écarter d’emblée toute hypothèse selon laquelle la mort d’Epstein était autre chose qu’un suicide. Cette campagne empeste l’opération de dissimulation à un haut niveau... [...]
» Les médias se sont empressés de dénoncer tous ceux qui désignent le caractère manifestement concocté de l’histoire officielle comme promoteurs d’une “théorie du complot”... [...]
» Le New York Times fait la promotion agressive des déclarations officielles de suicide... [...] »
Il n’est pas faux que l’on parle beaucoup de “suicide apparent” (expression officiellement adoptée dès le tout début de la crise, par le FBI et le ministère de la justice), mais c’est plutôt par incertitude et par stupéfaction que par volonté arrêtée, et l’on pourrait même en conclure, à l’inverse de ce que fait WSWS.org, que le qualificatif “apparent” indique plutôt une suspicion inattendue de la part des autorités devant l’explication du “suicide”.
WSWS.org n’en démord pas le lendemain (article du 13 août) : il insiste à nouveau sur la volonté effrénée de la presseSystème d’interdire toute autre version que celle du “suicide apparent” qui deviendrait un “suicide sans bavures”, avec le chantage de tomber dans le cas contraire sous l’accusation gravissime et sans merci ni retour de “théorie complotiste”. Au reste, cette interprétation n’est pas entièrement fausse, mais elle doit être nuancée grandement par le fait que ceux qui s’écartent trop visiblement de la thèse du “suicide sans bavures”, et qui sont l’objet des critiques de la presseSystème, sont souvent des personnalités elles-mêmes complètement estampillées-Système ; de là la schizophrénie et le désordre...
« La campagne contre les “théories complotistes” s'est intensifiée lundi. Le Times a publié un article de Charlie Warzel dans lequel il affirmait que la remise en question généralisée du suicide d'Epstein était le produit d'un “écosystème d'information profondément empoisonné, construit pour la vitesse et conçu pour récompenser les impulsions les plus incendiaires de ses pires acteurs. Elle a ouvert la voie à une réalité parallèle non enracinée dans les faits et a contribué à faire entrer la pensée conspiratrice dans le courant culturel dominant.”
» Warzel a reproché à Twitter d'avoir magnifié ce qu'il a appelé “une grande divergence entre l'attention portée à la plateforme et l'information disponible sur l'histoire en cours”. Mais le manque d'informations disponibles n'est pas la faute de Twitter : c'est le résultat du silence officiel sur les circonstances de la mort d'Epstein, alors que les autorités cherchent à trouver une explication crédible pour un ensemble de faits fondamentalement accablants. [...]
» L'article le plus extraordinaire de l'offensive de propagande du Times a peut-être été un autre article publié hier, attaquant le maire de New York Bill de Blasio pour avoir reconnu le fait évident que la mort d'Epstein est “tout simplement trop commode”.
» Dans un article d’information sous le titre “Les théories conspirationnistes autour d’Epstein : De Blasio et d’autres se joignent à la spéculation”, Michael Gold et Jonah Engel Bromwich, de la rédaction du Times, affirment que “de telles théories de la conspiration se développent généralement dans les marges [dissidentes et antiSystème]. Mais la mort d’Epstein a attiré des notables de la politique, des médias et du monde académique qui se sont joints à la spéculation sans fondement.”
» Dans un effort pour repousser ces “spéculations infondées”, le Times cite Russell Muirhead, professeur au Dartmouth College, avertissant que les médias sociaux “ont permis aux accusations conspiratrices de se multiplier et de prospérer parce que les garde-fous qui décident habituellement de ce qui doit être diffusé ou imprimé sont désormais ignorés”. En d’autres termes, les médias de l’establishment n'ont plus le contrôle sur les informations et les idées auxquelles les gens peuvent accéder... »
Bien entendu, WSWS.org ne démord pas de sa thèse selon laquelle la consigne de s’en tenir au “suicide sans bavures” a bien été lancée et continue à inspirer la presseSystème, ou dans tous les cas les plus grands et les meilleures références de la presseSystème, mais il admet parce qu’il faut faire du travail sérieux qu’un courant parallèle extrêmement marqué au sein du Système met en cause cette pseudo-narrative. Cela va jusqu’à une demande de la Commission Judiciaire de la Chambre des Représentants au directeur par intérim du Bureau des Prisons, demandant “des réponses” à des questions extrêmement préoccupantes autour de la mort d’Epstein, avec l’évocation de “fautes très graves et de lacunes dans protocole de surveillance du détenu”. Fait (bipartisan) sans précédent depuis plusieurs années où les deux partis d’affrontent : la lettre est cosignée par les présidents de la majorité démocrate et de la minorité républicaine de la Commission.
L’article du 14 août 2019 de WSWS.org rend donc compte d’une réelle schizophrénie qui a envahi le système de la communication du Système, sous la forme d’une part de la dénonciation de toute “théorie complotiste”, d’autre part de la présentation de faits et de questions sans réponses qui reviennent à suggérer qu’il pourrait bien y avoir eu complot.
« Les médias américains, en grande partie sans succès, continuent de minimiser la notion selon laquelle la mort du financier Jeffrey Epstein au Metropolitan Correctional Center (MCC) de New York, le 10 août dernier, était suspecte. [...]
» Après des jours de couverture à couper le souffle, le New York Times et le Wall Street Journal ont tous deux retiré les articles sur Epstein de la page une de leurs éditions imprimées de mardi. En effet, la consigne officielle est impérative : cette affaire doit être retirée de la préoccupation du public.
» Pendant ce temps, cependant, les faits réels entourant la mort[d’Epstein]deviennent “de plus en plus curieux”. CBS.News, par exemple, a rapporté mardi que le matin de la mort de “Jeffrey Epstein, on avait entendu des cris et des hurlements dans sa cellule de prison, selon une source informée de la situation”.[...]
» ...La couverture médiatique a un caractère presque inévitablement schizophrénique : d’une part, les différents médias rejettent les “théories du complot”, d’autre part ils sont conduits par les faits si particuliers et troublants à reconnaître que quelque chose de suspect a pu êtremanigancé.
» Par exemple, un éditorial de Newsday (“Questions about Jeffrey Epstein's death demand answers”), exprimant son mécontentement au sujet des quelques jours au cours desquels “des théories de conspiration volent dans tous les sens”, ne fait qu’encourager ces “théories” avec son propre récit des questions sans réponses[...].
» De même, John Cassidy, dans le New Yorker, choisit un titre qui tend à repousser les soupçons de complot, mais en fin de compte le récit qu’il fait dans son article ne fait que les renforcer... [...]
» Un chroniqueur du Pittsburgh Post-Gazette se demande “si ceux qui ont déterminé qu’Epstein n’était plus dans un état d’esprit suicidaire avaient des raisons homicides de conclure cela ou étaient simplement incompétents”. »
On ne fait pas ici le procès de WSWS.org et l’on compatit même à l’embarras, mais il faut bien admettre que la ligne du site trotskiste précipite également une sorte de schizophrénie. Par définition selon la doctrine trotskiste, tout membre de près ou de loin de ce que nous nommons le Système et de ce que les trotskistes désignent notamment comme la “ploutocratie réactionnaire-capitaliste” américaniste, doit obéir sans hésiter à une version officielle (narrative) aussitôt mise en place lorsqu’une crise comme la mort d’Epstein éclate.
Les hésitations, les contradictions, les divergences, voire les véritables et sincères réactions de stupéfaction et de colère qu’on a constatés, n’ont pas vraiment leur place dans la perception qu’ils ont du fonctionnement de la ploutocratie (du Système), – et pourtant ils existent, et le professionnalisme des commentateurs de WSWS.org les oblige à les mentionner. D’où l’embarras constaté plus haut, devant cette schizophrénie qui n’est pas une véritable pathologie sans facette politique, mais le produit inévitable des pressions engendrées par le conflit entre la nécessité de conformité du Système et la vérité-de-situation (ici l’expression a complètement sa place) des mystères complètement incroyables de la mort d’Epstein, – complètement incroyables si l’on n’introduit pas justement un zeste non négligeable de “complotisme”, cette chose absolument affreuse que ne peut accepter le Système qui en a l’absolue exclusivité.
La différence d’appréciation se trouve dans ceci que ces opposants radicaux de gauche, élevés dans la rigueur doctrinale qu’on sait, privilégient dans l’identification des acteurs le Système et son organisation sur le reste, à un point qu’ils ne conçoivent pas que des individualités puissent avoir des réactions spécifiques, ou plus encore, qu’un véritable désordre s’installe à telle ou telle occasion. Notre approche est plutôt, comme nous le répétons souvent, que les dirigeants, employés, tous zombieSystème en un sens, sont à la fois complices et prisonniers du Système, et donc susceptibles de réactions différentes (PhG décrivant leur attitude à l’occasion de la “liquidation” d’Epstein : « Tous ces gens qui sont dans le Système et œuvrent pour lui regardent avec terreur le Système en action. »).
Certainement pour d’autres raisons, et ici ou là avec d’autres mots (le mot “réactionnaire”, d’emploi compulsif, pourrait nous être épargné), il nous faut noter notre accord en bonne partie avec la conclusion du texte de WSWS.org du 13 août, reprise ci-après :
« L'affaire Epstein n'est pas seulement un scandale sordide, un parmi tant d'autres. C'est un événement politique important. Elle illustre la nature de l'élite dirigeante américaine, qui n'est pas moins capable des crimes les plus odieux que les cheiks saoudiens qui ont organisé la boucherie de l’assassinat de Jamal Khashoggi.
» Toutes les grandes révolutions de l'histoire ont été précédées de scandales similaires, dans lesquels le caractère criminel et réactionnaire de la sordide classe dirigeante se révèle, et cette classe est exposée pour ce qu'elle est : un cancer du corps politique. »
... Simplement, nous y ajouterons la schizophrénie constatée autour de la mort d’Epstein, qui est un signe de l’affaiblissement considérable du Système en même temps qu’une conséquence du désordre qui y règne désormais. Il est par exemple et symboliquement très significatif que le seul signe d’action bipartisane au Congrès depuis longtemps, et sans doute avant longtemps, dans le désert de haine et d’affrontement partisan qu’est devenu “D.C.-la-folle”, se soit manifesté pour une action qui constitue objectivement un acte hostile au Système (antiSystème ?). Pour cette raison-là de la situation ainsi observée, il est bien possible que nous consommions du Epstein pour une longueur de temps non négligeable, avec intensité à mesure que se grefferont les manœuvres des uns et des autres pour faire de cette sordide affaire une crise avantageuse, chacun pour son parti.
Mis en ligne le 14 août 2019 à 15H32