Le coup d’État-soft du Pentagone

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Le coup d’État-soft du Pentagone

Nous extrayons de la dernière mise en ligne de ce jour dans notre rubrique Ouverture Libre (une “table ronde” sur le thème «American coup d'Etat: Military thinkers discuss the unthinkable») un passage qui éclaire d’une façon très intéressante un moment essentiel de l’histoire du complexe militaro-industriel. Il s’agit de ce moment où, alors que le communisme s’effondrait, les militaires US bloquèrent un éventuel processus de démobilisation, ou plutôt de déstructuration de la puissante structure militaires mise en place pendant la Guerre froide…

KOHN : « Considérez cet exemple flagrant de manipulation politique par l'armée : après toutes les autres guerres américaines avant la guerre froide, le pays a démobilisé son establishment militaire du temps de guerre. Même pendant la guerre froide, lorsque nous avons conservé une grande armée permanente, nous l’avons renforcée puis réduite pour les guerres régionales [Corée, Vietnam]. Mais en 1990 et 1991, les militaires, – par l'intermédiaire du général Colin Powell, qui était à la tête des chefs d'état-major interarmées à l'époque, – sont intervenus et ont effectivement empêché une démobilisation. »

BACEVICH : « Plus exactement, je dirais qu'il a empêché toute discussion sur une démobilisation. »

KOHN : « C’est exact. »

DUNLAP : « Nous avons eu une réduction de la taille de l’armée. Il y a eu des réductions d'environ 9%, en dollars et en effectifs. »

KOHN : « Mais ce n'était rien comparé à la fin des grandes guerres américaines qui ont précédé. »

BACEVICH : « Powell est explicite à ce sujet dans ses mémoires. "J'étais déterminé à ce que les chefs d’état-major conduisent le processus de l’adaptation de la stratégie militaire”, écrit-il. Il n’y aurait pas “des schémas de réorganisation militaire qui nous auraient été imposées[par le pouvoir civil]”.
» Ce n’était pas un coup d'État, mais c’était clairement un contournement de l'autorité politique civile.
 »

Il est particulièrement significatif que les participants à cette table ronde, tous experts avérés dont certains (Bacevich) à l’esprit assez libre, tombent d’accord pour considérer ce moment où les militaires empêchèrent la déstructuration de leur outil de la Guerre froide comme proche d’équivaloir à un “coup”. Leur jugement commun sur ce moment est extrêmement fort et, à notre connaissance, tout à fait inédit. Il enrichit notablement l’histoire du complexe militaro-industriel.

L’interprétation est également pleine d’enseignement. En agissant comme ils l’ont fait, les militaires ont préservé l’outil qui allait servir, voire justifier la politique interventionniste (à partir de 1995-96 avec les Balkans), puis expansionniste et belliciste (à partir de 2001) des USA. L’action des militaires en 1990-91, telle qu’elle est décrite ici, est beaucoup plus une action bureaucratique qu’une action politique préparant la période signalée plus haut. De ce point de vue, on peut accepter l’interprétation que le complexe militaro-industriel et la politique qu’il secrète sont d’abord suscités par une dynamique bureaucratique qui s’inscrit dans une logique de système, qui avance avec toute sa puissance mais sans but défini, “juste parce que...”. L’action décrite ici et interprétée comme proche d’un “coup d’Etat” se rapproche donc parfaitement dans l’état d’esprit de l’intervention militaire US à Panama, à la même époque, en décembre 1989. Baptisée Just Cause, l’opération était rebaptisée à l’intérieur du Pentagone, avec dérision mais également d’une façon très significative pour notre propos: Just Because (“juste parce que...”).

 

Mis en ligne le 28 septembre 2007 à 18H59