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58599 février 2023 (17H50) – Une conférence a donc eu lieu en Pologne les 6 et 7 février, bien entendu en faveur de l’Ukraine, sous la désignation [en anglais dans le texte polonais] de ‘Standing Working Conference for Support of Ukraine’. Nous vîmes, – ils virent, car je n’y étais pas, – défiler quelques grandes voix de la grande cause zélenko-ukrainienne. Le Premier ministre polonais Morawiecki, cette sombre figure impassible du temps d’une Inquisition de notre temps, toute de noir vêtue, le regard marmoréen et inébranlable derrière ses lunettes implacables, intervint bien entendu, dans le sens qu’on devine. Il tweeta notamment, extrait des bonnes phrases de son discours :
« La guerre en Ukraine n’est pas la preuve de la force de la Russie. La guerre est un test pour la force de l’Ouest. Ce sera la victoire se la Russie et la défaite de l’Ouest, ou la renaissance de la civilisation occidentale... [...]
» Aujourd’hui n’est pas le temps du cessez-le-feu. Aujourd’hui, l’Ukraine a besoin de notre soutien et d’espoir. Cet espoir est né en Pologne. »
Les deux compères, les deux Alex de ‘TheDuran.com’, Alex Christoforou et Alexander Mercouris, consacrèrent une chronique commune à l’événement et aux déclarations de Morawiecki, le 6 février (à partir de 22’00”-23’00”). Christoforou rapporta une déclaration non confirmée de Morawiecki, puis reprise sur tweeter, et dont je ne sais exactement le sort (confirmée ? Non confirmée ?). Les deux n’en ont plus reparlé bien que Mercouris ait précisé que si elle était confirmée cette déclaration serait une “grosse nouvelle” ; mais je le sais bien, nous sommes dans un temps où l’information vous glisse dans la mémoire comme un savon mouillé ou un filet de sable, qu’une formidable affirmation dite il y a une minute n’est plus qu’un souvenir perdu dix minutes après. De toutes les façons, « si non è vero, è ben trovato » parce qu’est ainsi exprimée la tactique polonaise vis-à-vis d’‘Ukrisis’ est parfaitement décrite.
Christoforou nous rapporte donc la déclaration du Polonais, en marquant toute sa réserve, en ne dissimulant pas son importance éventuelle, en la laissant voir comme une opportunité d’éclairer le fond de la pensée polonaise.
« Il serait du meilleur intérêt pour l’Ukraine de transférer temporairement les territoires occidentaux de l’Ukraine sous la protection de la Pologne. Ces territoires seraient saufs sils étaient temporairement sous juridiction polonaise.
» [Morawiecki aurait ajouté que] Poutine n’oserait pas attaquer un territoire d’un pays appartenant à l’OTAN. »
Les deux hommes discutent à propos des liens unissant les Polonais aux néoconservateurs américanistes (un homme comme l’ancien ministre des affaires étrangères Sikorski, qui a de fortes attaches aux USA, est l’exemple-type du fonctionnement de ces liens). Mercouris s’attarde notamment sur le sujet, en donnant un argument complètement actuel :
« Puis-je ajouter que l’idée qu’une victoire de l’Ouest serait une renaissance de la civilisation, et une défaite le retour à l’Âge Sombre, sorte de “nouveau Moyen-Âge”, c’est exactement, d’une façon absolument, extraordinairement similaire, l’argument de Robert Kagan dans un long article, récemment, dans ‘Foreign Affairs’... Robert Kagan, le mari de Victoria Nuland, l’idéologue en chef des néoconservateurs.
» Exactement ce qu’a dit le Premier Ministre polonais, et cela montre avec quelle harmonie les Polonais travaillent avec les neocons. La similitude de langage et de conceptions est trop grande pour qu’il n’y ait pas un courant d’échange entre les deux.
» Notez que ni Kagan, ni Morawiecki ne sont concernés par le sort des Ukrainiens. A la place ils parlent d’une grandiose victoire pour l’Ouest. »
L’alliance est bien entendu évidente mais ce qui m’arrête c’est que Mercouris l’apprécie au profit des Polonais. Pout lui, ce sont les Polonais qui se servent des neocons et non l’inverse. Toutes les initiatives des neocons ont débouché sur des catastrophes pour les USA à partir de leur absurde théorie du chaos, mais dans ce cas les Polonais, qui ont un but bien précis qui n’est pas d’établir le chaos mais bel et bien de devenir la première force de l’Europe, le pays-leader de l’UE manipulant l’UE à son avantage, pourraient effectivement tirer beaucoup d’avantage du soutien américaniste que les neocons leur procurent.
Je dois reconnaître que j’ai toujours été, un peu d’instinct et sans véritablement fouiller le sujet qui m’apparaissait secondaire, de l’idée classique que les neocons étaient les manipulateurs et les bénéficiaires des catastrophiques entreprises qu’ils favorisaient. Je me plaçais d’un point de vue du “rapport des influences” (plutôt que “rapport des forces”) au sein de la politique US, et y voyais, non sans arguments, la prééminence des neocons.
Mais Mercouris renverse l’analyse en même temps qu’il met, avec justesse me semble-t-il, en évidence le poids et les ambitions du principal interlocuteur des néoconservateurs en Europe dans l’affaire ‘Ukrisis’ : la Pologne. Des deux complices, Polonais et neocons, sans le moindre doute ce sont les Polonais qui tirent le plus d’avantages pour leurs propres intérêts.
C’est un peu cette idée que l’on retrouve chez Alastair Crooke, dans le texte qui est publié aujourd’hui sur ce site.
« Pourtant, pour rendre justice à la combinaison Blinken-Nuland, si les neocons sont désespérants dans l’exécution de leurs projets de guerre – qui se terminent presque invariablement de manière désastreuse – ils sont brillants dans la manipulation des États pour qu’ils deviennent leurs complices – contrairement à leurs propres intérêts nationaux.
» Là où les néoconservateurs ont eu les coudées franches, c’est sur la destruction de l’Europe, politiquement, économiquement et militairement. Les États-Unis eux-mêmes (et le reste du monde) doivent être absolument stupéfaits du degré de soumission de l’Europe et du contrôle absolu du leadership de l’UE que ces néoconservateurs ont exercé.
» Les membres de l’OTAN n’ont jamais été fortement unis derrière la croisade de Washington pour affaiblir fatalement la Russie. La population de l’UE (en particulier les Français et les Allemands) n’a pas le goût des housses mortuaires. Mais les néoconservateurs ont correctement repéré le talon d’Achille européen: il s’agit de la Pologne, de la Lituanie, des autres républiques baltes et de la République tchèque. Les neocons américains se sont alliés à cette faction russophobe radicale qui veut démembrer et pacifier la Russie et s’emparer des leviers de la politique étrangère de l’UE au détriment de la France et de l’Allemagne... »
C’est une approche politique qui a une étrange parenté. Je me rappelle avoir lu un article de Nixon, dans une publication officielle US, peut-être deux ou trois ans avant sa mort (en 1994). C’était une époque où les USA se trouvaient sans rôle précis à jouer avec l’OTAN, au moment du début de la crise yougoslave. L’idée européenne étaient en pleine ascension avec le traité de Maastricht, le passage à l’euro, et tout son train d’illusions, alors qu’une coopération militaire France-Allemagne-Belgique se mettaient en place et que même les Britanniques post-Thatcher (et pré-Blair) s’intéressaient à une “Europe de a défense”, faisant croire à la possibilité d’une “Europe-puissance” capable de concurrencer les USA (et, bien entendu, avec de bons rapports avec une Russie que les Européens espéraient alors voir se relever).
Nixon avait argumenté que la seule façon de contrer cette expansion de la puissance européenne était de pénétrer du point de vue de l’influence les nouveaux “pays européens” de l’Europe de l’Est libérée du communisme, à l’avantage des USA. Il avait vu juste, mais il fut tellement, si puissamment aidé par la sottise et la couardise de la bureaucratie européenne puis de plus en plus par la nouvelle génération de dirigeants européens, par leur fascination commune pour la soumission euroatlantique, – qu’on dira qu’il avait Dieu de son côté pour son jugement.
... Et ainsi la conclusion de Crooke se trouve-t-elle confortée par la position de la Pologne avec ses projet d’expansion et d’affirmation alors que la France et l’Allemagne restent comme hébétées, fascinées par leur serpent transatlantique :
« La faiblesse des dirigeants a soulevé le couvercle de la boîte de Pandore européenne, permettant à toutes les vieilles animosités européennes fantômes, aux jalousies et aux ambitions nues de s’échapper comme de sombres vapeurs. »
On l’a déjà dit et on l’a déjà vu, ce sont aujourd’hui les Européens de l’Est qui mènent la barque pourrie et crevée d’innombrables voies d’eau de l’Europe de Bruxelles, – pendant que Zelenski parade à Paris et à Bruxelles... Ces Polonais qui sèment la “terreur bureaucratique” dans les couloirs de la Commission européenne à Bruxelles, en roulant des mécaniques, presque aussi sanctifiés que Zelenski lui-même. Qui oserait s’opposer à la Pologne, surtout si les Français se rangent de leur côté sous la forme de leur héroïque conformisme qui paraît leur plus grande vertu (aux Français), – et de fait, l’argument a contrario de protection de la Pologne se trouve alors tout entier dans le Audiard d’‘Un taxi pour Tobrouk’ :
« Mon cher Ludwig, vous connaissez mal les français. Nous avons le complexe de la liberté, ça date de 89. Nous avons égorgé la moitié de l'Europe au nom de ce principe. Depuis que Napoléon a écrasé la Pologne, nous ne supportons pas que quiconque le fasse à notre place. Nous aurions l'impression d'être frustrés. »
... Par conséquent, on admettra que les Polonais manœuvrent fort bien pour assouvir leurs ambitions historiques, sinon métahistoriques. C’est de la bonne tactique, mais reste à voir si la stratégie s’en satisfera. Ils s’appuient sur deux “forces” qui jouent actuellement à leur avantage, mais dont on peut douter qu’il en soit ainsi jusqu’à l’accomplissement de leur rêve européo-polonais :
• l’alliance avec les neocon, c’est aussi l’alliance avec les USA, qui sont la force déstructurante des valeurs culturelles et sociétales qui sont les plus chères aux Polonais ; cela augurant mal de la suite si leur manœuvre était couronnée de succès...
• l’antirussisme qui paralyse actuellement l’Europe face aux ambitions polonaises (avec les supplétifs baltes) joue en leur faveur tant que le “bouclier” ukrainien (le rôle de la Pologne en soutien de l’Ukraine) tient ; mais, comme le remarque Mercouris, la proposition de Morawiecki de mettre l’Ukraine occidentale « temporairement sous juridiction polonaise » n’a de sens que si l’Ukraine est battue . Alors, la Pologne sera directement confrontée à la Russie et l’on sait que les Polonais n’ont peur de rien et entendent ne faire qu’une bouchée de l’armée russe, – ce qui promet...
Ainsi entre-t-on dans le plus dur de la réalité, avec la Pologne confrontée à la réalité de la puissance militaire russe, contre laquelle il n’est nullement assuré qu’ils seront suivis dans leurs manœuvres de confrontation, voire de provocation. La phrase de Marx dans une lettre à Engels, que Régis de Castelnau a retrouvée pour sa vidéo n°23 sur son site ‘VuduDroit’, trouve toute sa véracité dans la nouvelle situation ainsi créée :
« Les Polonais sont très doués pour faire intelligemment des choses stupides. »