Le CPD-3, ou l’appel aux morts

Faits et commentaires

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 569

Le CPD-3, ou l’appel aux morts


24 juillet 2004 — La machine d’influence interne est, aux Etats-Unis, à Washington, remarquablement huilée, depuis l’origine de ce pays. Depuis 1945, depuis que les USA ont étendu leur politique extérieure bien au-delà de leurs frontières, voire de leur hémisphère, cette machine d’influence interne tourne à plein régime. C’est d’autant plus nécessaire que l’Américain moyen n’est pas, par nature, porté à apprécier l’intervention extérieure. Il s’agit donc de le convaincre constamment, non des avantages mais de la nécessité d’une telle politique. C’est l’explication de ce qu’on pourrait nommer “la politique paroxystique” aux Etats-Unis (toujours maintenir la mobilisation des esprits à son paroxysme par l’entretien d’un ennemi extérieur terrible et crédible, ou bien crédible parce que terrible, etc.).

L’une des plus efficaces de ces machines d’influence, mise en place par le parti belliciste américain (républicains et démocrates confondus, en général), a pour nom : Committee on the Present Danger (CPD). Il y a eu deux CPD, l’un au début des années 50, l’autre créé en 1974 ; le premier lança la Guerre froide du côté US, le second ressuscita cette Guerre froide qui s’essoufflait en une “seconde Guerre froide”. Depuis le 22 juillet, après les CPD-1 et CPD-2, nous avons le CPD-3. Jim Lobe nous explique sa gestation ainsi que le legs de la politique paroxystique type-CPD.

Bien entendu, les néo-conservateurs sont au cœur de cette résurrection, l’Ennemi étant cette fois le fameux “terrorisme”. Mais les neocons ne sont pas seuls. Ils ont embrigadé quelques démocrates et, surtout, des républicains d’autres tendances. Manifestement, le CPD-3 est destiné à former un groupe consensuel de mobilisation contre le terrorisme.


« “The Committee intends to remain active until the present danger is no longer a threat, however long that takes,” said CPD chairman R. James Woolsey, who served briefly as former President Bill Clinton's CIA director and has often referred to the battle against radical Islam as “World War IV.”

» Woolsey appeared with Sen. Joseph Lieberman, a neoconservative Democrat who was former Vice President Al Gore's running mate in 2000, and Joh Kyl, a Republican from Arizona with strong connections to the Christian Right. In a joint column published Tuesday in The Washington Post , the two senators argued that “Too many people are insufficiently aware of our enemy's evil worldwide designs, which include waging jihad against all Americans and reestablishing a totalitarian religious empire in the Middle East.”

» ''The past struggle against communism was, in some ways, different from the current war against Islamist terrorism,'' the two men wrote, evoking the two past CPDs. “But...the national and international solidarity needed to prevail over both enemies is...the same. In fact, the world war against Islamic terrorism is the test of our time.”

» At the press conference later, Lieberman said the purpose of the new group was “to form a bipartisan citizens' army, which is ready to fight a war of ideas against our Islamist terrorist enemies, and to send a clear signal that their strategy to deceive, demoralise and divide America will not succeed.”

» The two senators also claimed that the new CPD consists of “citizens of diverse political persuasions,” although the vast majority of the 41 members are well-known neoconservatives who have strongly helped lead the drive to war in Iraq and have long supported broadening President George W. Bush's “war on terrorism” to include Iran, Syria and Saudi Arabia.

» Prominently represented are fellows from the American Enterprise Institute, such as former UN Ambassador Jeane Kirkpatrick, Joshua Muravchik, Laurie Mylroie, Danielle Pletka, Michael Rubin and Ben Wattenberg; from Pentagon chief Donald Rumsfeld's Defence Policy Board (DPB), such as Kenneth Adelman, Newt Gingrich and Woolsey himself; and from the Center for Security Policy (CSP), such as its president, Frank Gaffney, Charles Kupperman, William Van Cleave and Dov Zakheim, who just stepped down as an Undersecretary of Defense under Rumsfeld.

» Board members or fellows of several other right-wing or mainly neoconservative think tanks have also joined the new CPD, including the Heritage Foundation, the Hoover Institution, the Manhattan Institute, Freedom House, the Foundation for the Defense of Democracies, the former Committee to Liberate Iraq, the National Institute for Public Policy and the Americans for Victory Over Terrorism. »


Cette initiative a évidemment pour but de faire réélire GW Bush si possible. Elle a aussi et surtout pour but de réunir une coalition d’influence qui tente d’élargir la base initiale des bellicistes, réunis dans le Project for the New American Century (PNAC), dont la charte fut signée en 1997 et qui compte parmi ses membres, notamment, Rumsfeld, Cheney et Wolfowitz. Le PNAC élargi en CPD-3 doit alors servir de machine de guerre d’influence pour relancer les projets bellicistes d’une nouvelle administration GW, notamment (pour l’instant dans tous les cas) contre l’Iran.

Mais il est manifeste qu’il y a un autre but, qui se trouve dans le choix même du label du groupe. Cette fois, il s’agit de ranimer la mystique paroxystique de la Guerre froide en rappelant les deux précédents Committees for the Present Danger. C’est un signe manifeste qu’il n’y a aucune acceptation des enseignements des événements des trois dernières années de la part des groupes formant la base activiste de l’administration. Pour ces groupes, l’échec catastrophique en Irak n’a aucune valeur, ni d’exemple, ni d’enseignement ni de quoi que ce soit d’autre. Leur logique se poursuit, qui est la logique de l’application maximale de la puissance partout où cela est possible, avec les mêmes ambitions, les mêmes démarches, la même phraséologie et, bien entendu, les mêmes erreurs catastrophiques.

La psychologie en action ici, — car c’est la psychologie qui est évidemment essentielle dans cette bataille d’influence qui ne tient aucun compte ni de la situation extérieure ni des moyens (US) disponibles, — est typiquement une psychologie de Guerre froide. Certes, il ne s’agit plus, ni de Guerre froide, ni de communisme, ni de rien de semblable, et pourtant si, tout est semblable comme l’écrivent les sénateurs Kyl et Lieberman, qui font partie du CPD-3 : « The past struggle against communism was, in some ways, different from the current war against Islamist terrorism. But...the national and international solidarity needed to prevail over both enemies is...the same. In fact, the world war against Islamic terrorism is the test of our time. »

Cette rhétorique est, à Washington aujourd’hui, absolument irrésistible. Elle l’est, non à cause du terrorisme bien sûr (cet argument est une sornette) ; elle l’est parce que la crise du système est, elle, à son paroxysme et qu’il n’est pas question, dans ces conditions, de reculer, de “démobiliser”, d’abandonner la seule tactique qui maintient le système dans une apparence de cohésion, sinon de cohérence : la “fuite en avant”. Le problème est que cette “fuite en avant”, comme l’a montré l’Irak, recèle des risques ultimes d’échecs catastrophiques, de revers qui peuvent désormais ébranler, et au-delà, le système américaniste lui-même.