Le Day of Action d’Occupy

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Le 17 novembre 2011 marquait le deuxième mois de vie du mouvement Occupy Wall Street (OWS), devenu simplement Occupy, et une “journée d’action” nationale de manifestation était organisée. Deux jours après une action coordonnée contre Occupy dans plusieurs grandes villes US, dont New York, pour supprimer plusieurs points d’occupation d’Occupy, cette journée était également celle d’une protestation nationale ; elle a été un succès, notamment par la très grande mobilisation du système de la communication pour sa couverture nationale aux USA. Il est difficile de voir le moindre signe d’essoufflement du mouvement, et l’on accepterait volontiers le verdict tout à fait contraire de la journaliste de Laurie Penny, de The Independent, le 15 novembre 2011, repris dans notre texte cité  : «…[W]hatever Occupy does next, Mayor Bloomberg's decision to evict the New York camp can only galvanise support for a movement whose momentum had begun to deflate.»

De nombreux textes ont couvert dans tous les sens possibles cette journée nationale d’action. On retiendra un seul texte qui illustre bien la situation, au travers de certains témoignages, texte publié par Russia Today le 18 novembre 2011, – Russia Today, cette station russe qui a pris, d’une façon très inhabituelle pour les circonstances courantes, une part importante dans la bataille de la communication pour appuyer le mouvement, et auquel un des témoignages rend hommage. Les deux témoignages cités mettent en lumière quelques aspects généraux de la situation, en même temps que le titre de ce texte, emprunté à un de ces témoignages, donne l’orientation stratégique générale que prend de plus en plus clairement le mouvement : « Civil disobedience is the only way to go.»

«Independent journalist Abby Martin, talking to RT from Oakland, does not agree that the police’s general approach has been helping to restore public order. Though she admits the rallies could cause some anger of the public, the response and support for the movement is stronger than annoyance by inconveniences.

“Civil disobedience is the only way to go. People are waking up to the fact that the police are now militarized, and these absurd methods of crowd control – tear gas into thousands of people if one person throws a bottle – [take place]. All this could potentially cause some anger as people are trying to get to work, but overall I think it’s a great response we are not going to take it anymore and we are not going to step back. If the cops kick us out of Zuccotti Park and outside downtown Oakland, we are going to reconvene and show up stronger”. […]

»…Jeannie Dean, an activist from Occupy Los Angeles, notes that the police response in fact varies from city to city. “Here in Los Angeles we have been remarkably supported by our city police department – they have been very peaceful. We had a march today [involving] hundreds of people, and we only had one arrest. The LAPD handled themselves much differently than the New York police today.”

»The Occupy movement has been going on for two months now, and that is, as some argue, with no tangible result. However, Jeannie Dean believes there are a number of things the activists have achieved. “Nationally we have managed to change the narrative, especially in the mainstream and corporate media in the US. If it were not for news organizations like Russia Today, many of us here would not be getting the information economic situation on our economic situation and foreign policy. We have already changed the narrative from deficit spending to jobs and to the economic disparities and the social injustice as we are seeing through our banking system, and the hijacking and corruption inherent in our banking and political system.”»

Le ton est trouvé : “désobéissance civile”, “insoumission”, “dissidence”, voilà les mots d’ordre d’Occupy tels qu’ils apparaîtront de plus en plus. Occupy se définit et se confirme de plus en plus comme un mouvement incivique, dans un Système où la notion de civisme est désormais totalement dévoilée comme une imposture et une inversion pure et simple. La journée d’hier a montré la vigueur du mouvement, son enracinement dans la diversité de la population, la dynamique existante et relancée (comme le confirme un des témoignages) par la répression-Système. Le problème est, pour Occupy, essentiellement tactique : comment faire évoluer l’activité du mouvement en fonction des nouvelles données intervenues depuis les 14-15 novembre (répression). Ce point est essentiel, pour maintenir la pression du système de la communication témoignant de la vigueur du mouvement, et maintenant en retour la pression de mobilisation.

En même temps, les échos contrastés qui viennent d’ici et là semblent contredire la thèse d’une riposte, sinon coordonnée, disons “unitaire” et similaire du Système sous une direction centrale. Comme le dit un témoignage, la police de Los Angeles, le fameux LAPD qui vaut bien en notoriété NYPD, a une attitude complètement différente de celle de la police new yorkaise. Cela tient peut-être à la spécificité latino de Los Angeles (comme le maire lui-même, Antonio Villaraigosa), et tendrait à montrer que la question des “minorités” jouerait un rôle qui n’est pas négligeable et interfère sur la riposte-Système ; dans cette hypothèse, les “minorités”, sans prendre systématiquement partie en tant que telles, se tiendrait, même dans leur composante-Système, sur une certaine réserve par rapport aux consignes implicites de destruction du mouvement Occupy. Le fait, peu mentionné puisque hors de la dynamique de la répression qui fait l’essentiel de la communication ces jours-ci, que Occupy Washington D.C. se poursuit sans interférence majeure de la police, a-t-il également à voir avec la prédominance africaine-américaine de la ville, dont le maire, Vincent C. Gray, est lui-même africain-américain ? Cela renforcerait l’hypothèse. (La situation d’October2011, nom que s’est donné le mouvement, – voir le site http://october2011.org/, – semble particulièrement assurée mais également active ; on ne sait guère, par exemple, qu’à l’imitation d’OWS avec son Occupied Wall Street Journal, le mouvement “édite” The Occupied Washington Post.)

Ces constats tendent également, sans abandonner l’idée d’une coordination entre les maires, à mettre en cause la thèse d’une riposte coordonnée et dirigée par “en dessus”, par l’autorité centrale et fédérale. Là encore, rien n’est net et tranché, et même cette hypothèse n’exclut absolument en rien l’intervention d’organismes fédéraux, mais d’une façon parcellaire et, semble-t-il, nullement selon une autorité centrale affirmée et reconnue. L’essentiel est bien cette question d’unité d’autorité et de commandement ou non. S’il est confirmé que cette unité est aléatoire et s’en tient à des dispositions techniques, on trouve là un facteur important de l’évolution de la situation intérieure aux USA ; la parcellisation empêche la liquidation d’un coup du mouvement, et permet au contraire le renforcement de l’“institutionnalisation” du “désordre incivique”, souvent d’une façon rampante, ou soft. Cela correspondrait d’ailleurs assez bien aux caractères fondamentaux des USA, aux caractères de la crise de l’américanisme, et enfin, selon nous, à la façon la plus probable de l’évolution efficace de cette crise, plutôt vers la parcellisation et la dissolution que vers le durcissement dans des blocs bien déterminés et antagonistes. Le vrai désordre américaniste n’est pas un désordre similaire aux affrontements de classe et aux affrontements politiques en Europe, mais, fondamentalement, un désordre qui évolue vers une logique centrifuge, correspondant à la fois aux données historiques de ce pays (les Etats de l’Union, la question de la légitimité face au centre, le spectre historique de la sécession), à la tendance aux regroupements en associations de toutes sortes (y compris, comme on en voit fleurir, des “associations” d’expulsés de leurs logements par la crise), et enfin aux données ethniques renforcées par le caractère multiethnique institutionnalisé de la société US.


Mis en ligne le 18 novembre 2011 à 10H02