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44114 avril 2009 — Des précisions paraissent ici et là concernant le mouvement de réforme du Pentagone lancé par Robert Gates, après la publicité des propositions budgétaires pour FY2010 du secrétaire à la défense. Ces analyses reflètent une réelle confusion, souvent alimentée par la contradiction entre le choc causé par ce budget et la comptabilité de ce budget. Ce budget est présenté comme le premier coup déjà puissant d’une très puissante tentative de réforme, avec des réductions importantes dans divers programmes d’armement institutionnalisés, alors que le budget continue à présenter une augmentation (autour de 5%) d’un volume d’argent déjà colossal; d’un côté, un changement révolutionnaire annoncé, de l’autre une décision générale qui semble poursuivre la tendance des années GW Bush.
D’ailleurs, la Bourse, toujours finaude sur le court terme, ne s’y est pas trompée même si elle ne distingue pas nécessairement la tendance à long terme que présagent ces premières décisions. Elle a réagi dans le sens optimiste qui la caractérise, en jugeant ce nouveau budget prometteur pour l’argent, – qui est la principale valeur dans sa préoccupation. Selon Martin Sieff, de UPI, le 10 avril 2009: «Despite the uproar and the opposition, Gates's cutbacks will almost certainly go through. They are financially necessary, and they are a lot less than many feared. Significantly, the Standard and Poor's Aerospace and Defense Index rose 8.4 points – 3.6 percent – to 244.12 after Gates made the details of his spending cuts public Monday.»
C’est là la complication de comprendre ce qui se passe au Pentagone. On ne peut plus s’en tenir aux seuls chiffres, à la comptabilité, parce qu’il s’agit de toutes les façons d’une comptabilité absolument faussaire et truquée, comme tout aujourd’hui dans le monde des investissements et des dépenses, publics ou privés, dans le système de l’américanisme (c’est-à-dire, notre système à tous). L’analyse doit plus se risquer au niveau des tendances générales, du mélange des domaines, des véritables capacités, des orientations logiques s’installant à terme. L’analyse doit cesser d’être une simple comptabilité appuyée sur le catéchisme du système, et la catéchisme de l’opposition au système, dans une période d’un ébranlement aussi majeur. Elle doit faire preuve d’audace dans l’appréciation et d’originalité dans les références.
Dans ce cadre général, une chose continue à nous paraître particulièrement significative dans les décisions de Gates, qui est le sort fait à l’USAF. D’autres indications, concernant un autre “exercice” de l’administration Obama, la Quadriennal Defense Review (QDR), sont intéressantes. La QDR est une analyse et un rapport général quadriannuel de projection des besoins en fonction de l’évolution stratégique, imposé au Pentagone par le Congrès depuis 1998. L’administration Obama entend présenter la QDR 2010 à la fin de cette année ou au début de 2010.
Des propositions de Gates du 6 avril 2009 et des projections de ce que devrait être la QDR2010, un avis assez acceptable est qu’elles n’autorisent aucune certitude, aucune anticipation assurée. C’est ce qu’indique, par exemple, Anthony Cordesman, cité ici dans un texte de Greg Grant, sur le site DoDBuzz.com, ce 10 avril 2009
«Cordesman said Gates’ budget proposal “raised at least as many questions as it answered,” and “only began a series of massive adjustments to the U.S. defense posture that will play out over at least a decade.” He doesn’t have particularly high hopes for the QDR: “it is far from clear as yet that it will be any better tied to a clear force plan, procurement plan, and future year defense program and budget than its largely meaningless predecessors.”»
En un sens, qui est le nôtre on s’en doute, il est après tout préférable qu’on ne nous offre aucune certitude, tant les certitudes sont aujourd’hui des garanties presque conclues de démentis pour le futur. Les décisions de Gates ont par contre la particularité d’ouvrir les possibilités sur des projections et des évaluations nouvelles, ce qui est particulièrement utile et absolument nécessaire dans ce temps de crise; elles tendent à mettre en place des tendances marquées, susceptibles d’acquérir leur propre dynamique.
Citant un document du Center of of Strategic and Budgetary Assesment (CSBA) du 6 avril 2009, avec des confirmations sur les diverses orientations du débat qui va débuter concernant la QDR, Greg Grant note pour l’USAF ceci qui nous intéresse particulièrement:
«The Air Force’s Long Range Bomber. The 2006 QDR said the Air Force should develop a new long range bomber by 2018. This week Gates put an end to that effort before it really got much traction. Not to presuppose the outcome, but Gates sounded pretty skeptical that anybody would come up with a terribly convincing justification for a new bomber. The bomber cancellation along with the accelerated buy of the F-35 JSF, “will produce an Air Force that is best able to operate over short ranges with small payloads,” a decision that should be debated in the QDR, CSBA said of Gates’ proposal. If the need for a new bomber doesn’t come out of the QDR then it’s highly likely that any future long-range strike program will be unmanned, because then you’re getting well into the 2030s or 2040s before you would see a new airframe.»
La phrase qui nous intéresse sans aucun doute, c’est celle-ci: «…an Air Force that is best able to operate over short ranges with small payloads». Il s’agit de l’USAF vers laquelle on évoluerait si le budget “réformiste” de Robert Gates est adopté et si ses propositions concernant l’USAF sont menées à leur terme. Les propositions de décision vont effectivement dans ce sens puisqu’elles impliquent l’abandon de deux systèmes qui, chacun dans leur catégorie, sont des système à grande autonomie: le F-22 et un futur bombardier stratégique.
En 2006, lorsque deux décisions avaient été prises dans le cadre de la QDR2006, il s’agissait d’un donnant-donnant. L’USAF avait exigé et obtenu, en échange d’une réduction de plus de ses F-22 à 183 (187) exemplaires, le lancement d’un programme de bombardier stratégique. L’USAF espérait bien rétablir sa série de F-22 aux 387 qui étaient programmés avant la QDR2006. Avec l’arrivée de Gates, elle a perdu sur les deux tableaux, parce que le nouveau secrétaire à la défense s’est convaincu, ou s’est laissé convaincre du caractère inopérant d’une force aérienne à grande autonomie. Pour la pénétration, voire la mission stratégique, Gates préfère l’U.S. Navy et ses porte-avions, et, pour l’avenir, une composante d’UCAV stratégiques (les véhicules sans pilote de combat), dont l’attribution pourrait aller à un commandement interarmes. (On met à part la force stratégique nucléaire per se, les missiles à portée intercontinentale, qui sont rassemblées dans un commandement interarmes des forces stratégiques.)
Les bombardiers de l’USAF joueront un rôle de plus en plus marginal, à mesure que disparaîtront les B-52 et les B-1B, atteints par la limite d’âge. (Les B-52 ont été produits entre 1954 et 1962. Depuis, ils ont subi des modernisations successives, très coûteuses, mais se sont révélés extraordinairement résistants. Pour autant, leur conservation au-delà de 2020 s’avère évidemment problématique. Les B-1B, produits en 1981-85, sont moins résistants que les B-52 et deviennent extraordinairement coûteux à l’entretien.) L’essentiel de la force stratégique et à longue distance de l’USAF serait alors réduite aux 20 B-2 restants; cela devient dans ce contexte, malgré les qualités “miraculeuses” tant vantées du B-2 mais largement handicapées par une maintenance et une protection prodigieusement délicates et coûteuses, une force marginale.
L’USAF en revient donc à une position quasiment monopolisée par le JSF si polémique, dont le destin reste extrêmement incertain, et dont il est admis dans tous les cas qu’il s’agit d’une force d’intervention à courte distance. Sa position de force de projection de l’USAF réduite à des capacités de courte portée va de plus en plus dépendre du réseau de bases extérieures dont le destin risque de devenir plus problématique à mesure que la crise fera sentir ses effets et que le déclin de la puissance US et la “contraction” de sa politique se confirmeront. Les aventures des bases US en Ouzbékistan et au Kirghizstan (retraits en 2005 et en 2009 après un déploiement au début des années 2000) constituent une indication peu prometteuse. Ce genre de mésaventures n’existe pas pour les porte-avions de l’U.S. Navy.
En effet, l’évolution qu’on pourrait voir se dessiner constituerait un retour de balancier, qui s’accommode bien par ailleurs des excellents rapports de Gates avec la Navy favorisant la position de force de celle-ci au sein du Pentagone, contrastant avec ses rapports exécrables avec l’USAF. En 1949, la Navy avait perdu une terrible bataille bureaucratique pour le monopole des missions stratégiques au profit de l’USAF; elle avait regagné du terrain avec les missiles stratégiques lancés de sous-marins (Polaris, puis Poseidon et Trident), apparus à la fin des années 1950. Dans la dynamique actuelle, elle pourrait prendre la place prépondérante qu’elle convoitait à la fin des années 1940, à la tête de la stratégie US.
Il faut observer que cette nouvelle orientation répond à la dynamique de “contraction” de la politique extérieure US avec l’administration Obama, autant qu’elle la stimulerait éventuellement. L’U.S. Navy est l’arme “isolationniste” (disons d’un “isolationnisme engagé”) par excellence, puisque son intervention n’implique pas d’engagements terrestres, beaucoup moins que l’USAF dépendant de bases extérieures non-US. (L’USAF avec ses bombardiers stratégiques des années 1950-1960 était, elle, au contraire, une arme isolationniste, dans la mesure où elle pouvait intervenir à partir de bases continentales aux USA. De ce point de vue-là, elle s’est transformée.) L’orientation que pourrait prendre la politique Gates constituerait effectivement un complément militaire à cette dynamique de contraction qui serait bientôt identifiée comme une politique de repli stratégique, voire une stratégie d'“isolationnisme engagé” ou sélectif, après les folles aventures des années GW Bush. Cette orientation politique de la politique de sécurité nationale d’Obama est d’ores et déjà identifiée dans ce sens par les anciens partisans de l’administration GW Bush. Lors d’un débat face à Steve Clemons, le 12 avril 2009, Frank Gaffney, l’un des plus extrémistes parmi les néo-conservateurs, qualifia la tournée d’Obama en Europe et au Moyen-Orient, et la politique extérieure d’Obama qui peut s'en déduire, d’un seul mot: «submission» (“soumission”). Confronté à Clemons qui vantait les qualités d’Obama, notamment dans ses relations avec les dirigeants européens et dans ses interventions à destination des musulmans, en Turquie, Gaffney lâcha, goguenard et amer: «Oh yes! He has done an excellent job of submission…»
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