Le désarroi charmant des certitudes éphémères

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Le désarroi charmant des certitudes éphémères

23 février 2007 — La situation française devient intéressante. Le mot de Poutine concernant les relations internationales et le comportement des USA, dans son discours de Munich pourrait fort bien caractériser cette situation : «…personne ne se sent plus en sécurité». Il doit être signalé ici que nous parlons précisément des candidats.

Un commentateur trop émotif commenterait que la démocratie reprend ses droits. Disons que le peuple virtualiste de la statistique, goguenard, un tantinet sarcastique, observe la situation d’un œil allumé.

• Nous avions d’abord un choix contraint, du type bushiste (quitte ou double, c’est à prendre ou à laisser, “qui n’est pas avec moi…” et ainsi de suite) : ce sera Sarkozy ou Ségolène.

• Puis, à partir de la mi-janvier, le choix contraint devint diktat : ce sera Sarko, point final.

• En moins d’une semaine, le rebondissement est complet, comme dans une pièce de Feydeau : Ségolène remonte et redevient “éligible” à la suite d’une énorme gaffe de Sarko, emporté par une suffisance qu’on espérerait momentanée. (La scène se passe en bras de chemise et sous un soleil éclatant hérissé de micros. Répondant à une question sur son avance dans les sondages et, par conséquent, sur le recul humiliant de Ségolène, Sarko faraud de dire, avec gourmandise et suffisance, clin d’œil un peu canaille comme s’il parlait d’une nénette qu’il est en train de se faire : «Je crois que je commence à la sentir, cette élection»).

• …et un troisième larron (Bayrou, of course) s’invite. Désormais, le “choix contraint” devenu diktat fleurit comme dans un printemps précoce en une palette imprévisible. Ainsi doit-on espérer que les choses évoluent… Chaque candidat va devoir tenir compte du sentiment populaire, non pour l’interpréter ou pour le singer mais pour le convaincre puis l’emporter. Commentaire du commentateur émotif : la démocratie règne. On verra.

Pour information rapide sur ces phénomènes, citons par exemple EU Observer du 22 février :

«Ms Royal, who recently has been making headlines for a series of foreign policy gaffes and criticised for not having enough substance behind her ideas, has suddenly made strong headway in the polls after weeks of trailing Mr Sarkozy.

»A CSA survey published by French paper Le Parisien on Wednesday showed that if she was pitted against Mr Sarkozy in a May run-off, she would get 49 percent of the votes. Mr Sarkozy still remains ahead at 51 percent, but Ms Royal's score was four points up on last week.

»Meanwhile, Francois Bayrou, occupying the centre ground, is steadily gaining in the polls with exactly two months to go before the first round of voting on 22 April.»

On pourrait observer, avec bien des arguments, que la situation n’a pas vraiment changé, même si le facteur-Bayrou est un élément nouveau et inattendu, voire troublant. Il est vrai que c’est, fidèles à notre habitude, moins dans le domaine des faits que dans le domaine des psychologies que nous voulons nous aventurer. Ce qui s’est passé durant les trois dernières semaines constitue une sorte de mise en échec des conditions virtualistes de l’élection, dans la mesure :

• où les deux principaux candidats ont été déstabilisés à cause de ce qui faisait en apparence leur force ;

• où un troisième candidat proclamant qu’il n’accepte pas les règles du jeu a été introduit dans le jeu, non par surprise (par inattention des sondages comme dans le cas de Le Pen en 2002) mais d’une façon conforme aux règles du jeu.

Nous évoluons dans le paradoxe. Ségolène Royal était célébrée certes paradoxalement et avec un brin de cynisme pour son “incompétence” (c’est notamment la thèse de Eric Zemmour que l’“incompétence” la rapproche des Français en la distinguant des insupportables “premiers de classe” qui mènent la France depuis des décennies, et qui mènent la France à la catastrophe). C’est sur ce caractère paradoxal qu’elle a trébuché.

Sarko, c’est un peu le contraire. Comme nous disait une source belge, un homme politique de ce pays qui ne cesse d’observer la France, usant pour ce cas d’un langage flou qui rend compte de la difficulté d’exprimer la matière, — pourtant, il nous semble qu’on comprend ce que voulait nous dire cette personne, — «Sarko, il est un peu “trop” dans tout, un peu “trop” dynamique, un peu “trop” conquérant, un peu “trop” libéral, un peu “trop” petit, un peu "trop" sûr de lui…».

Entretemps, l’intrusion de Bayrou, — ce Bayrou qui est, selon Pasqua, «le seul homme politique qui m’ait affirmé que la Vierge Marie lui était apparue pour lui affirmer qu’il serait président de la République». Si c’est vrai (que Bayrou a dit cela), reconnaissons qu’il faut un singulier caractère pour asséner cette révélation au sarcastique vieux sénateur corse, gaulliste et arrangeur de bons et de mauvais coups. (Est-il vrai qu’il ait dit cela, Bayrou…? “Si non è vero, è ben trovato” — et ce constat qui nous vient sous la plume tend à montrer que cette anecdote, vraie ou pas qu’importe, est une jolie description psychologique de Bayrou.) Enfin, s’il est vrai que la Vierge Marie, promesse faite in illo tempore, a décidé de s’occuper de François Bayrou illico presto et que cet élément semble prendre corps, alors il est également vrai que cette élection qui paraissait si arrangée au départ, si “sanitized”, commence à trouver sa respiration, sa vie spirituelle, sa mystique. C’est le printemps en avance, crise climatique oblige.

La bataille entre le système et le public

Il y a une bataille en France puisqu’il y a des élections, et présidentielles en plus. Comme c’est la coutume désormais, plus qu’entre les partis, entre la droite et la gauche, elle se livre entre le système virtualiste de communication et le bon peuple. De ce point de vue, c’est un remake du référendum sur la Constitution européenne.

Nous espérons fermement que c’est cette déclaration de Sarko, effectivement déplacée et peu glorieuse comme nous avons pu la voir autant que l’entendre (il importait de voir la mine de Sarko, effectivement), qui a motivé cette claque de l’excellent public français. Il est bon que Sarko soit rappelé à l’ordre pour une telle faute de goût, plutôt que pour les habituels n’importe-quoi sur les réformes et autres phantasmes budgétaires, tribut de toutes les candidatures. Ainsi serait-il ramené à sa dimension humaine (laquelle, chez lui, n’est pas démesurée et demande à donner toute sa mesure). Ainsi ce candidat de base de la section “irrésistible” rencontre-t-il la contingence qui sied à toute élection démocratique postmoderne. Il doit lui être rappelé de temps en temps qu’il n’est pour l’instant qu’une machination de son appareil médiatique et de ses “sponsors” divers, c’est-à-dire pas grand’chose, un artefact humanoïde, une marionnette sur le théâtre de notre crise. Le public demande à voir.

Un peu de modestie dans le peloton, voilà qui ne va pas mal. (A cette enseigne de la modestie, Bayrou pourrait nous étonner.) Encore un effort, encore une confirmation de cette diversification démocratique des circonstances, et les Français retrouveront goût à la politique, à ces jeux jusqu’ici sans divertissement.