Le désastre de la politique anglo-saxonne

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Le désastre de la politique anglo-saxonne


7 septembre 2003 — Le discours de GW Bush sur l’Irak, prévu pour ce soir, est annoncé comme devant marquer un tournant de sa politique. L’Observer écrit qu’il s’agit pour le président américain de sauver ses chances de réélection en annonçant une “stratégie de sortie” impliquant le possible retrait de forces US d’Irak, passant par un transfert des responsabilités vers l’ONU. Il semble que l’avis de Karl Rove, déterminant pour les choix politiques de GW dans son poste de conseiller pour la communication, soit de se détourner de la guerre aussi vite que possible. Cette orientation, si elle est confirmée, va amener des remous importants dans la vie politique US, les soutiens les plus dynamiques de GW (les néo-conservateurs) devant être amenés à considérer un tel changement comme une trahison.


« George Bush will attempt tonight to convince the American people that he has a workable “exit strategy” to free his forces from the rapidly souring conflict in Iraq, as Britain prepares to send in thousands more troops to reinforce the faltering coalition effort.

Frantic negotiations continued this weekend in New York to secure a United Nations resolution that would open the way for other countries to deploy peacekeeping troops to help after Bush — with one eye on next year's presidential election — signalled a change of heart on America's refusal to allow any but coalition forces into Iraq.

» The President has been left with little practical choice. Concern among the American public has reached such a pitch that, with his approval ratings plummeting, he will deliver a televised address to the nation tonight to reassure them that they do not face another Vietnam. With their sons and daughters dying daily in guerrilla attacks, Americans may now be becoming more frightened of being bogged down in a hostile country than of the terrorist threat against which Bush has pledged to defend them. »


Cette situation du président US a été mise en évidence hier par les résultats d’un sondage Zogby qui montre que, pour la première fois depuis son entrée en fonction en janvier 2001, il y a plus d’Américains mécontents de sa façon d’assurer ses fonctions, que de satisfaits, et cela dans une proportion extrêmement significative : 54% contre 45%. (Les chiffres étaient respectivement de 52% [satisfaits] contre 48% [mécontents] en août 2003, 53%-46% en juillet 2003, 54%-45% en mars 2003, 64%-36% en septembre 2002, 82%-17% en septembre 2001, 50%-49% en août 2001 [le rapport le plus négatif après celui de septembre 2003] et 42%-36% en janvier 2001.

L’article de l’Observer insiste également sur le fait que la position de Tony Blair n’est pas meilleure, et qu’elle est sans doute pire que celle de GW Bush. La position de Blair est telle que le Premier ministre envisage, de ne pas se rendre à la session annuelle des Nations-Unies, selon l’Independent, pour ne pas quitter son pays dans des heures si difficiles. Les deux pays de la “coalition” auraient également décidé, toujours selon l’Independent, d’abandonner la thèse des armes de destruction massive comme cause de la guerre, selon l’argument désormais évident de l’absence de ces armes. Ce serait l’argument du “changement de régime” qu’on retiendrait dorénavant (il fallait se débarrasser de Saddam car il aurait mal agi à un moment ou l’autre), et cela signifie pour Blair un démenti complet de toute sa rhétorique précédant la guerre.

La position de Blair est désormais perçue comme si fragile que l’Observer annonce qu’on commence à spéculer sur son successeur, notamment en ouvrant l’option du “n’importe qui mais pas Gordon Brown”. L’Observer signale que le ministre des affaires étrangères Jack Straw, qui a réussi à éviter les écueils de la commission Hutton, serait bien placé pour ce remplacement.


« With the departure of key Blairites such as former Health Secretary Alan Milburn from the Cabinet, Straw is now considered a possible contender as the “anyone but Gordon” candidate to succeed Tony Blair, and MPs report he has been cosying up to the Parliamentary Labour Party since the early summer. With Blair facing another three weeks of minute scrutiny by Lord Hutton over every twist and turn of the run-up to the Iraq war, nerves are taut. »


Plus encore que les prévisions factuelles de l’Observer, un point est particulièrement intéressant dans l’article que nous citons : l’annonce, à partir de sources diplomatiques, que les Anglo-Américains estimaient en avril que les pays anti-guerre, principalement la France et l’Allemagne, se rallieraient à la “coalition”, et à eux-mêmes, dès la chute de Bagdad. Ce point est étudié à partir de la question que pose l’Observer (« how the allies could find themselves in such trouble »)


« The question now being asked on both sides of the Atlantic is how the allies could find themselves in such trouble. One key mistake both Washington and London made was to assume that, once Baghdad fell, countries such as France and Germany, which had stood on the sidelines, would relent and offer peacekeeping troops. They underestimated the unexpected domestic popularity of anti-war leaders.

» “That was the diplomatic advice. That was what we believed would happen, and it didn't,” said one Whitehall source. “What we were unable to read was how popular the decision [to stay out of Iraq] would be in the long run for the leaders who took it.” »


Le plus intéressant dans ces remarques peut se ramener à deux observations :

• La première est l’observation d’une extraordinaire constance dans l’erreur des prévisions des Anglo-Saxons, notamment des Britanniques. On a déjà vu par ailleurs une excellente description des erreurs britanniques dans l’évaluation de la position française, et de l’évolution probable de cette position, pendant la période janvier-mars 2003. La même attitude s’est poursuivie après la guerre, fondée sur une constante surévaluation de leurs propres capacités et motifs, et une constante sous-évaluation des capacités et motifs des autres (Français et Allemands en l’occurrence). Littéralement, la politique anglo-saxonne a été celle de l’arrogance et de la suffisance, alimentée par la certitude de la puissance, ce qui a conduit à la sous-évaluation des alliés réticents. (Tout cela étant permis par la dimension virtualiste de la politique, qui fabrique une fausse réalité.) Les Anglo-Saxons n’ont (toujours) pas compris que, dans la situation actuelle, très nouvelle par rapport à ce qui a précédé, le véritable problème, le véritable “ennemi” (à convaincre dans ce cas plus qu’à abattre), ce n’est pas celui qu’on affronte sur le terrain, mais celui qui rechigne à suivre la politique choisie. Cela demande plus d’habileté que d’affirmations martiales.

• La seconde est l’erreur au second degré : l’erreur dans l’analyse des causes de leur erreur de jugement. En évaluant les raisons de la persistance de l’opposition des Franco-Allemands, notamment des Français, et par conséquent les causes de leur erreur d’évaluation, les Anglo-Saxons se trompent encore en les attribuant à la popularité des dirigeants. Il y a erreur sur les causes fondamentales, et, notamment, dans un mouvement de substitution très habituel dans le raisonnement sophistique des Anglo-Saxons dû à leur appréciation virtualiste, parce qu’on prend l’effet pour la cause. Les Anglo-Saxons n’ont pas vu que la politique française était basée moins sur le cas irakien que sur la défense du principe de la multipolarité (ou du multilatéralisme) dans la mesure où ce principe est seul garant de l’indépendance française. C’est cette position qui a valu une certaine constance de la popularité des dirigeants, dans tous les cas en France qui est l’inspiratrice de cette politique. Il y a chez les Anglo-Saxons l’absence de compréhension de la politique française : elle n’est pas basée sur la popularité mais sur des principes. (Ce qui n’est pas nécessairement un signe de vertu : des principes peuvent être mauvais ; mais la référence à des principes d’une politique implique par contre, nécessairement, la fermeté de sa substance. Ce fut le cas.) La raison est simple : les dirigeants français ne soumettent pas la politique extérieure au verdict de la popularité, au contraire de la politique intérieure qui est l’enjeu de la démagogie. Les structures gaulliennes des gouvernements de la Ve République ne le permettent pas.