Le désespoir de Paul Krugman

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Un texte fait d’ores et déjà parler de lui, le commentaire de ce jour de Paul Krugman, dans le New York Times (repris ce même 23 mars 2009, sur commondream.org). Il faut noter que ce texte confirme et amplifie un premier commentaire de Krugman sur son blog, le 21 mars 2009 (voir une traduction française sur le site ContreInfo, le 23 mars 2009).

Krugman accueille les détails du plan de sauvetage du secteur financier, second du genre après le “plan Paulson”, ce nouveau plan devant sans doute recevoir le nom de baptême de “plan Geithner”, et toujours avec la mission, – désespérée ou impossible, c’est selon, – de sauver et de relever l’“industrie financière” de Wall Street, comme les banquiers se désignent eux-mêmes. (Selon un des fameux textes du Financial Times du 21 mars 2009, concernant le maccarthysme anti-Wall Street: «“Finance is one of America’s great industries, and they’re destroying it,” said one banker at a firm that has accepted public money. […] “There are three big industries where the US has global leadership: financial services, media and technology. Introducing this 90 per cent tax is like taking one of those industries out the back and shooting it.”») Le secrétaire au trésor Geithner devait présenter ce plan cet après-midi (heure de Washington). On en connaissait tous les détails au travers de “fuites” organisées vers la presse, pour tester la réaction des commentateurs; selon Krugman, c’est une catastrophe.

Successivement, il écrit…

• Le 21 mars 2009: «…Treasury has decided that what we have is nothing but a confidence problem, which it proposes to cure by creating massive moral hazard.

»This plan will produce big gains for banks that didn’t actually need any help; it will, however, do little to reassure the public about banks that are seriously undercapitalized. And I fear that when the plan fails, as it almost surely will, the administration will have shot its bolt: it won’t be able to come back to Congress for a plan that might actually work.

»What an awful mess.»

• Le 23 mars 2009: «Over the weekend The Times and other newspapers reported leaked details about the Obama administration's bank rescue plan, which is to be officially released this week. If the reports are correct, Tim Geithner, the Treasury secretary, has persuaded President Obama to recycle Bush administration policy – specifically, the “cash for trash” plan proposed, then abandoned, six months ago by then-Treasury Secretary Henry Paulson.

»This is more than disappointing. In fact, it fills me with a sense of despair.

»After all, we've just been through the firestorm over the A.I.G. bonuses, during which administration officials claimed that they knew nothing, couldn't do anything, and anyway it was someone else's fault. Meanwhile, the administration has failed to quell the public's doubts about what banks are doing with taxpayer money.

»And now Mr. Obama has apparently settled on a financial plan that, in essence, assumes that banks are fundamentally sound and that bankers know what they're doing.»

Après tout, la chose est droitement et clairement exprimée. Pendant une semaine, on a tapé et tapé sur ces banquiers, dénonçant leur inconséquence, leur incompétence et leur cupidité, notamment et comme un symbole, en s’octroyant des bonus avec l’argent public après qu’ils aient conduit leur “industrie”, comme ils disent, à la ruine; voilà qu’on leur donnerait à nouveau un chèque en blanc immaculé pour qu’ils relèvent eux-mêmes, à leur guise, ce qu’ils ont détruit par inconséquence, incompétence et cupidité. Mais non, semble dire le “plan Geithner”, après tout ces types, les “folks in Wall Street” comme les désigne BHO, savent très bien ce qu’ils disent et ce qu’ils font.

Le jugement de Krugman, qui n’est certainement pas le seul du genre, est très certainement intéressant et il doit être pris pour significatif. On a vu évoluer cet homme. Traditionnellement critique et radical, il a semblé amorcer une évolution vers la modération, vers un plus grand conformisme après son Prix Nobel de la fin 2008, qui l’a installé parmi les grandes institutions du pays et du domaine. Depuis quelques temps pourtant, il est à nouveau très critique, et son appréciation du “plan Geithner” l’est singulièrement. Considéré selon ces références, cet avis doit être tenu pour significatif et perçu à cette mesure. Il est également une bonne référence du climat aux USA, dans les élites et par rapport à la politique menée, – si tant est qu’on puisse parler d’“une politique”, ce qui est assez contestable.

Là-dessus et prenant un peu de distance, on peut considérer la situation américaniste dans son ensemble, à partir de cette référence Krugman et de son appréciation du “plan Geithner”; on le fait, pour constater, plutôt que de porter un jugement sur la question elle-même, que la situation américaniste ne cesse d’évoluer selon un rythme de plus en plus chaotique, allant de polémiques en batailles politiciennes, sans qu’aucune des forces responsables de la catastrophe (Wall Street dans ce cas) ne soit éliminée du processus de la décision et des responsabilités, sans pourtant et paradoxalement qu’aucune critique, voire des pressions très brutales ne leur soient épargnées. Washington s’installe dans une sorte de désordre paroxystique marqué par des règlements de compte sans fin; ce désordre semble devenir son rythme presque institutionnalisé, en attendant le prochain choc.


Mis en ligne le 23 mars 2009 à 18H21