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1276La “coalition” a-t-elle un commandement ? Et d’ailleurs, s’agit-il d’une coalition, ou bien d’un simple appendice d’un commandement US, ou bien d’une entreprise franco-britannique plutôt appuyée sur l’UE ? Ou bien, plutôt, d’une excroissance de l’OTAN sous impulsion franco-britannique ? Bruxelles2, le 21 mars 2011, nous donne quelques précisions sur les discussions en cours, leurs orientations, leurs impasses diverses, leur désordre en un mot.
D’une façon générale, le parti américaniste est furieux, – et, pour une fois, on le comprend. Il voudrait transmettre aux Européens le commandement de l’opération Dawn Odyssey (le nom de code qu’il a donné à l’aventure libyenne), dont il a hérité temporairement, plutôt par défaut que par boulimie bureaucratique et hégémonique, – mais il ne sait à qui le transmettre, ce commandement… On le comprend à la lecture de ce paragraphe extrait d’un article du Guardian du 21 mars 2011, où le général US actuellement en charge du commandement de l’opération exprime une “certaine impatience”, – avec effectivement cette question : “nous ne demandons qu’à transférer le commandement de l’opération, mais à qui
«There was a hint of US impatience when the present commander, General Carter Ham, who leads the US command centre for Africa (Africom), based in Stuttgart, was asked by Pentagon reporters when the transfer would take place. “I would not put a date certain on this. Of, course the first thing that has got to happen is identification of what that organisation is.”
»Ham, who only took over his command two weeks ago and was almost immediately thrust into action, added: “We have from the start been planning how we would effect this transition once that follow-on headquarters was established. It is not as simple as handshake and saying: ‘You are now in charge’. There are some very complex and technical things that have to occur ... We are ready to begin that process immediately once that headquarters is identified.”»
Effectivement, les Européens, et notamment les Franco-Britanniques qui doivent assurer l’essentiel des opérations, voient pour l’instant leur délibérations marquées par l’indécision, la récrimination, et d’une façon générale l’impasse. Pendant ce temps, la Turquie, qui est aujourd’hui “le grand homme” de l’OTAN, et dont tout le monde sait le rôle considérable qu’elle joue dans cette affaire par sa position médiane et ses contacts avec tous les protagonistes, – la Turquie, conformément à ses engagements, bloque tout engagement direct de l’OTAN, – bien plus encore que ne font les Français, soumis aux humeurs absolument imprévisibles d’un Sarko surexcité.
Les acteurs américanistes sont donc exaspérés, eux qui, pour une fois, voudraient vraiment ne plus assumer le commandement de cette opération dont ils n’ont que faire… (Ici, nous parlons pour le Pentagone, dont la direction politique ne cesse de montrer qu’elle cherche à tout prix à se désengager). Le Pentagone ne sait donc à qui fourguer son commandement. D’un autre côté, Gates a, dans son dos, un président dont le changement d’attitude et les déclarations dans divers sens semblent la spécialité. D’une part, Obama affirme que les USA ne s’engageront pas, qu’ils resteront en retrait ; d’autre part, il affirme qu’il faut que Kadhafi s’en aille, ce qui supposerait qu’on l’y engage fermement, ce qui impliquerait qu’on dépasse largement les termes de la résolution de l’ONU… Ce qui signifierait qu’Obama parle pour les Européens puisque les USA ne veulent pas s’engager, – ce qui suggère, indirectement mais plus encore, que les Européens sont en fait, en plus d'être divisés sur les modalités de l’intervention, en rien déterminés sur l’objectif réel de l’intervention, voire même décidés à propos de ce qu’est cet objectif, puisque quelqu'un qui leur est étranger, du moins on le suppose, peut effectivement désigner un objectif sans crainte d'être démenti ou d'être corrigé.
Quelques détails du Guardian sur la position US…
«The US has showed signs of exasperation with its European partners amid confusion over who will take control of the Libyan operation from America. President Barack Obama and his senior commanders are eager to hand over command to Europe in a matter of days, either to a Nato-led command or some Nato-style operation headed by France or Britain.
»Nato had been due to announce on Monday that it was taking over, but that had to be abandoned because of a dispute between the 28 member countries. Britain and France also appear to be at odds over which state will take the lead. Nato members met in Brussels on Monday but have so far failed to resolve an impasse compounded by Turkish objections to the intervention force. […]
»Tom Donilon, Obama's national security adviser, who is accompanying the president on a visit to Latin America, indicated Nato would be involved when he told reporters the next phase would be a “move to the coalition and that would be co-ordinated by coalition partners using Nato machinery”.
»The Pentagon, stretched by the wars in Iraq and Afghanistan, has from the start of the Libyan crisis been reluctant to become involved in a third war. One Pentagon source said the calls by British and French officials for intervention were all very well but neither state had the military capability to do it. “We can't intervene in every country from Congo to Burma,” he said. In the end, the Pentagon agreed to carry out the initial attack but only on the understanding that others would then take over.»
Il n’y a guère de raison, sinon une spéculation orientée par des prémisses contestables, pour avancer l’hypothèse qu’en l’occurrence la partie américaniste manœuvre, soit pour obtenir un commandement qu’elle a déjà et dont elle cherche à se débarrasser, soit pour laisser les Européens à leur seule initiative (si c’était le cas, le jour où ils se seraient mis d’accord sur un commandement commun), dans une position où ils seraient obligés de se tourner à nouveau vers la partie américaniste pour lui demander son aide et lui offrir le commandement, – puisque, rengaine, les USA fournissent déjà cette aide et disposent de ce commandement dont ils veulent se débarrasser ; à moins que la partie US ne manigancerait pour laisser les Européens s’enfoncer dans un désastre pour venir à ce moment sauver le tout et réaffirmer sa prééminence ? Mais les USA n’ont aucun moyen de réussir une telle manœuvre dans sa phase finale, ce qui reviendrait alors à prendre un désastre suscité par les autres à leur compte, pour en assumer la responsabilité ; les USA ont eu leur part de désastre jusqu’ici et ils en sont épuisés… En résumé, tout cela ressemble un peu à la nef des fous.
Les USA jouent franc jeu en l’occurrence. Ils n’ont plus de moyens, ils sont à la limite de leurs capacités et de leurs engagements et ne veulent pas d’un nouvel engagement majeur, qu’ils ne pourraient pas assumer. La seule occurrence où ils manœuvrent, ils le font à ciel ouvert, d’une façon assez logique, et cela d’autant plus aisément que les Européens leur offre un boulevard pour cela, par leurs divisions et le désordre qui règne chez eux. Ce pour quoi les USA poussent, c’est pour que les Européens choisissent une filière OTAN, parce qu’eux-mêmes contrôlent l’OTAN («The US would prefer a Nato operation because an American would still be in charge – the Supreme Allied Commander Europe, Admiral James Stavridis») ; mais ils ne se battront pas pour cela, d’autant que les Français sont contre cet appel à l’OTAN et que les Turcs bloquent cet hypothétique engagement OTAN.
On a rarement vu une offensive d’une coalition décrite comme si nécessaire et si exceptionnellement réussie, se dérouler avec une telle division et un tel désordre chez les coalisés. Ce ne sont pas les manigances des uns et des autres qui en sont la cause, mais le désordre qui règne effectivement dans le Système, surtout face à cette chaîne crisique qui balaie le Maghreb et le Moyen-Orient, et également dans les disparités et les contradictions des processus d’action de ce même Système. Des manigances, ou tentatives de manigances, se greffent éventuellement sur ce processus, à cette occasion, parce que l’occasion fait le larron et qu’on a l’esprit fécond. Mais le tableau reste absolument défini par la couleur du désordre, et c’est ce composant capital et très puissant qui jouera le rôle essentiel.
Il nous semble qu’il y a trois facteurs importants qui ont organiquement alimenté et développé ce désordre ; deux sont plutôt de l’ordre de la technique et des procédures dans un cadre politique ; le troisième est d’ordre politique et structurel.
• Il y a l’impréparation, l’improvisation, simplement parce que la décision d’intervention (résolution à l’ONU, et le reste) a été prise d’une façon inopinée et précipitée pour les militaires, selon les conceptions et les ambitions des dirigeants politiques devant l’évolution des événements (aggravation de la situation des anti-Kadhafi, notamment). Personne ne dirige les événements, qui vont à leur rythme et selon leur propre dynamique et leur propre orientation. Pour des raisons diverses, les politiques (essentiellement les Français et les Britanniques) ont décidé d’entrer dans le flux de ces événements qu’ils ne contrôlent pas, en espérant profiter de leur dynamique à leur avantage pour des ambitions qui leur sont chères, mais chacun selon des ambitions différentes qui alimentent les divisions plutôt que de les apaiser. Ils ont agi comme si le reste (moyens militaires, planification, organisation, etc.) était prêt à suivre ; mais le reste n’est pas prêt… “L’intendance suivra”, disait le Général, mais c’était le Général.
• L’“intendance”, c’est-à-dire les moyens militaires et leur organisation, est tout de même intervenue avec ce dont elle disposait d’une façon structurelle, et cette fois il s’agit bien des USA, avec leurs tendances à l’intervention massive. Les USA ont donc effectué des tirs massifs de missiles, ce qui correspondait à leur promesse d’intervenir initialement avant de laisser l’opération aux seuls Français et Britanniques. Mais ils l’ont fait selon leurs habitudes et, dans ce cas, selon les automatismes du Système échappant aux intentions de la direction politique, et privilégiant la force massive et écrasante. Moyennant quoi, ils ont haussé l’opération à un niveau dépassant largement le cadre de la résolution de l’ONU, se plaçant aux limites de la légalité et déclenchant de graves difficultés avec d’autres acteurs (la Ligue Arabe et les pays arabes) ; peut-être ont-ils ainsi rencontré le vœu secret de tel ou tel acteur politique (on pense à Sarko), mais sans lui fournir davantage de moyens pour l’accomplir puisque les USA veulent se retirer, et le plaçant ainsi en position difficile.
• D’une façon générale, on mesure le poids des habitudes de soumission, essentiellement des Européens. Comment faire une opération sans les USA, alors qu’on s’est habitué à agir sous le contrôle des USA et qu’on demande tout de même à ces USA de marquer l’opération au départ de leur empreinte, – c’est-à-dire d’y introduire des contraintes opérationnelles dangereuses (action au-delà de la résolution ONU) et un désordre politique supplémentaire ? (Petit détail touchant, illustrant l'esprit de la chose : chaque parti a donné un nom code différent à l'opération, mais il semble bien que c'est le code “Dawn Odyssey”, choisi par les USA, qui doivent passer la main, qui sera retenu.) Le Système face à ces contradictions et à son formidable désordre, et au comportement plein de bassesse de son personnel politique.
Mis en ligne le 22 mars 2011 à 06H50
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