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229830 septembre 2008 — Il y a dix jours, Paulson apparaissait comme le sauveur du capitalisme, peut-être une sorte de dictateur de l’ombre, l’homme qui allait disposer d’un formidable pouvoir ($700 milliards “unchecked”, comme si l’on vous mettait ce magot comme argent de poche, sans contrôle des parents). Aujourd’hui, les gémonies lui sont promises et son autorité est dispersée à terre, en lambeaux.
En un court billet rédigé dans l’urgence, ce matin dans le Times, Anatole Kaletsky expédie le secrétaire au trésor, – justement, aux gémonies. Les événements montrent, c’est l’avis de Kaletsky, combien le “bailout” était inutile, combien il fut de bout en bout une manœuvre politique, combien l’on va être obligé de revenir à l’une ou l’autre forme d’intervention massive de la puissance publique (si cette expression a un sens à Washington), cette fois aux conditions des démocrates («Now there seems to be only one option: for Mr Paulson and Mr Bush to plead for the Democrats to pass the bailout.»). Description des manigances de Paulson, et de la crise qu’il a contribué à aggraver jusqu’aux abysses.
«The interesting questions raised by last night’s fiasco are: how did the US Government get into such an appalling mess; and what will be the consequences of this disaster for US politics? The answers to both these questions come back to Hank Paulson, the former Wall Street banker and incompetent US Treasury Secretary. Had it not been for Mr Paulson the bailout would probably never have been needed. What made it necessary was a three-stage sequence of blunders. The first began when Mr Paulson decided, for largely political reasons, to wipe out the private shareholders in Fannie Mae and Freddie Mac, two businesses which he and many Republican politicians regarded as crypto-socialist incubi in the American body politic. The enormous – and unnecessary – losses suffered by shareholders of Fannie Mae triggered the first stage of the financial crisis, starting on September 8. He then aggravated the crisis by deliberately bankrupting Lehman and then seizing the assets of AIG.
»These unnecessary decisions spread the crisis to every other financial institution. Even worse was Mr Paulson’s second set of political blunders, starting with his sudden announcement last week of a $700 billion bailout on which he had consulted no one. The arrogance of his assumption that the Congress would write him a cheque was matched by his failure to come up with any coherent description of how he planned to use this money to help the banks. Under these circumstances, it was hardly surprising that he faced congressional opposition, which led to his third blunder. Mr Paulson’s only hope of getting his money was to give unequivocal support to the Democratic Party leaders in Congress who were willing to write a plan themselves. But just as this was nearing completion, Mr Paulson allowed John McCain to parachute himself into the negotiations and attempt to take credit for saving the economy. Had Mr Paulson warned Mr McCain away, the package would probably have been passed already. But by bowing to party-political demands for a Republican say in the package, Mr Paulson opened himself to last night’s sabotage.»
Autre commentaire qui nous intéresse, celui de Rupert Cornwell, dans The Independent, également de ce matin. Cornwell ne s’intéresse pas à l’aspect technique, aux manœuvres de Paulson, à la comédie de McCain. Il va plus au cœur du problème, qui est le fonctionnement du système politique US. Ce “black Monday”-là n’est pas en manque de reconnaissances en paternité, mais il ne fait aucun doute pour nous que l’inspirateur irresponsable de la chose est bien le système tel qu’il est devenu, le cœur politique de cette puissance auto-proclamée, le modèle de “gouvernance” US, la perfection du “check & balance” adulée dans le Rest Of the World aux jours heureux des illusions. Le modèle est en faillite, et plutôt du genre frauduleux.
«Yesterday was not only a black Monday for markets. It was the blackest of Mondays too for the US political system, saddled with a discredited president who has completely lost control of his own party and a Congress that responds to a national emergency with little except snarling partisanship.
»The stunning defeat of the financial bailout bill has exposed the weakness of the system at its moment of maximum vulnerability, in the quasi-interregnum of the weeks immediately before and after a presidential election. Even so, had a similar crisis erupted at the same stage of the second term of Bill Clinton or Ronald Reagan it is hard to imagine Congress staging a similar rebellion. For George W Bush, alas, it is a different story.
»His lack of clout was first exposed last Thursday when the bailout summit he convened at the White House degenerated into a blazing row. But that humiliation paled beside yesterday's. The President went on TV at 7.30am to plead for the measure that had been thrashed out over the weekend, to no avail. Then he called two dozen recalcitrant House Republicans, begging them to hold their noses and do their patriotic duty – but again to no avail.
»When the vote came, his own party voted almost two to one against the bill, more than cancelling out the 140-95 majority of Democrats who did hold their noses to support the wishes of a President most of them despise.
»Thus did US politics enter the world of Alice Through the Looking Glass. A president who prided himself on being a champion of free markets was urging the biggest state intervention in the economy in more than 50 years.»
Le vote de la Chambre lui-même eut lieu dans des conditions presque irréelles. Le désordre s’était installé au cœur du pouvoir, les uns et les autres dissimulant leurs intentions de vote, coincés entre les consignes de la direction et les torrents d’e-mails (merci aux technologies avancées) des futurs électeurs d’ores et déjà furieux; l’ensemble donne cette impression de bateau ivre, le USS Washington D.C., cahotant sur les flots de la tempête qu’il alimente. Le vote était forcé mais personne ne voulait plus céder à la force d’un système dont la direction est d’une telle faiblesse, quels que soient les qualités des uns et des autres. Plus qu’une révolte, la Chambre des Représentants a montré le visage du désordre. Tous, y compris ceux qui avaient voté contre, tous furent stupéfiés du résultat collectif, – comme si la Chambre était devenus autonome, avait échappé aux parlementaires qui votaient pour exprimer à elle seule une décision dont aucun n’était comptable, – tous coupables, pas de responsable. Le New York Times eut, hier soir, quelques phrases évoquant implicitement cette atmosphère: «Immediately after the vote, many House members appeared stunned. Some Republicans blamed Ms. Pelosi for a speech before the vote that disdained President Bush’s economic policies, and did so, in the opinion of the speaker’s critics, in too partisan a way. “Clearly, there was something lacking in the leadership here,” said Representative Eric Cantor, Republican of Virginia.»
Pour Kaletsky, il y a une certaine artificialité née des manœuvres politiciennes dans la monstrueuse crise qui secoue le système. En ce sens, ce 9/11-là (le “9/11 financier”) serait aussi un complot, une fois de plus monté par des comploteurs type-Pieds Nickelés qui se prennent pour des géants, les maîtres aux petits pieds de l’univers globalisé. Kaletsky n’en oublie pas la considération essentielle : «…how did the US Government get into such an appalling mess; and what will be the consequences of this disaster for US politics?» Pour Cornwell, le système politique est comme Alice au Pays des Merveilles, au milieu des miroirs déformants; il ne sait plus ce qu’il fait, il se cogne ici et là, ayant perdu son sens de l’orientation (le sens de son intérêt commun). Toutes les images ont leur valeur. Elles suggèrent d’une façon ou l’autre ce qui nous semble essentiel.
La crise financière, dont on voyait l’élargissement depuis quelques jours, s’est définitivement transformée en une crise fondamentale du système politique en allant au cœur de la chose, – la politique, certes. Le phénomène systémique poursuit sa diffusion de crise sectorielle en crise sectorielle, chacune continuant à brûler une fois qu’on est passé à la suivante. Mais l’on admettra qu’on se trouve ici au cœur de l’incendie: les hommes confrontés au monstre qu’ils ont créé, victimes de ce monstre, incapables de servir ce monstre jusqu’où ils devraient le faire parce qu’ils sont eux-mêmes au bout de leur capacité de le faire.
Ecartons ici, par pitié, toute considération technique, – sur ce que valent le plan de sauvetage, l’action et les manigances de Paulson, les formules de sauvetage d’un système financier dévoré par les termites, les justifications évidentes de ceux qui se sont révoltés en désordre pour le repousser, les perspectives des bourses ajoutant chaque jour un “jour noir”, les faillites à venir, les nationalisations, etc. Observons simplement l’absence complète de force commune, de solidarité, de sens et d’élan collectifs par quoi un tel système tient, quelles que soient la vanité et la malignité des motifs. Nous ne cessons de rappeler les précédents, Pearl Harbor mais aussi l’entrée en fonction de FDR, où un Congrès pourtant hostile vota (le 9 mars 1933) la première mesure d’urgence (la fermeture des banques pour 30 jours) décidée le lendemain de son installation (le 5 mars 1933) par le président. (Quelle importance, cette mesure qui fut par ailleurs décriée justement, comme l’est le plan Paulson? Seul importe l’acte dans ces circonstances, comme celles que nous connaissons. L’humoriste Will Rogers l’avait justement dit : «The whole country is with him, just so he does something. If he burned down the Capitol, we would all cheer and say, well, we at least got a fire started anyhow.») Ces références mesurent par contraste la décadence du système, qui passe par la démobilisation de ses soldats, la perte du sens commun, l’amertume et les considérations électorales. Le système meurt du poison qu’il a lui-même instillé dans le temps et l’espace qu’il a eus sous sa domination; déstructurant du reste, il l’est devenu de lui-même.
Nous autres, à dedefensa.org avons été stupéfaits par le vote de la Chambre des Représentants US hier. Nous ne pouvions imaginer que ce système, cette machinerie, en arrivent là dans le vaste domaine de l’irresponsabilité politique. Nous ne pensions pas que la décrépitude du système serait telle que quelques-uns de ses principaux serviteurs oseraient, dans ce moment de solidarité nécessaire pour le bien du système lui-même, se révolter sans la moindre concertation. On comprend complètement que les Représentants l’aient fait, quand on considère les conditions du “bailout”, le cas inconsistant qu’il faisait des convictions et des intérêts de chacun. Mais qu’ils l’aient fait dans cet instant tragique et vital repousse les considérations les plus crépusculaires que nous entretenions sur l’état de cette chose, – leur système. Nous croyions évidemment qu’avec eux, le pire est toujours possible; mais la décadence extraordinaire de ce système conduit à l’invention du “pire du pire”. Fidèle à la montée aux extrêmes, décidément.
Que fait-on maintenant? On attaque l’Iran? (Même ça, il ne peut plus, les amiraux n’obéiront pas, – rappel de la remarque venimeuse du Sunday Times : «There was no bombing to be done — banks were doing enough of that by themselves. All [Bush] could do was warn: “If money isn’t loosened up, this sucker could go down.”»)
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