Le diagnostic du docteur Brzezinski

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Le diagnostic du docteur Brzezinski


10 mars 2006 — Des commentaires élaborés commencent à circuler concernant l’article de Zbigniew Brzezinski paru dans le premier numéro de The American Interest, disponible par ailleurs depuis plusieurs mois. (Ce premier numéro de The National Interest, où est publié l’article, a été publié en octobre 2005). Le texte de Brzezinski apparaît comme un de ces textes qu’on apprécie, dans la perspective, comme important parce qu’il fixe, d’une façon structurée et riche, le caractère d’une époque et la portée des événements en cours. C’est un texte sur le déclin de la puissance américaine et, surtout, sur les effets de ce déclin sur le reste du monde. (Le site de The American Interest est d’accès payant. L’article de Brzezinski est accessible sur le site The Information Clearing House.)

Stricto sensu, ce n’est pas de l’actualité brûlante ; le texte de commentaire et de présentation du texte de Brzezinski que nous présentons ci-dessous ne l’est pas non plus, puisqu’il a été originellement rendu public en janvier (même s’il est accessible au public depuis le 4-6 mars). Mais l’atmosphère dont toutes ces références témoignent est, elle, devenue complètement d’actualité.

Les événements s’accélèrent et tendent à recomposer le paysage général. Il s’agit de l’Irak bien sûr, de l’arrivée à maturité de la crise iranienne dans ses composantes les plus complexes, des interrogations nées autour du destin du dollar avec notamment la création de l’“Iranian Oil Bourse”, du blocage de la puissance américaine dans la paralysie politicienne et corruptrice du “Centre” washingtonien, de l’impuissance générale de la diplomatie américaniste encore mise en évidence par le récent voyage de GW Bush (notamment en Inde). Nous parvenons à une situation où il est possible de voir un changement décisif en cours dans les relations internationale.

Les Soviétiques parlaient, in illo tempore, de l’évolution de “la corrélation des forces”. Cette expression, d’origine militaire et stratégique, s’applique aussi bien au grand domaine de la politique générale. Aujourd’hui, on parle, d’une façon plus policée, du passage du monde unipolaire au monde multipolaire. L’on doit signaler à nouveau combien le texte de Martin Walker, d’UPI, nous paraît très illustratif de cette appréciation (“Multi-polar World, du 7 mars). (Nous avons également utilisé le texte de Walker pour enrichir le cas russo-indien dans la crise iranienne.) Le constat est qu’on assiste à une réduction sensible de la puissance générale des USA, la “corrélation des forces” interne de la puissance américaniste.

Comme le signale Walker avec les exemples russe, indien, chinois, iranien (et, malheureusement, le non-exemple européen), les autres puissances s’affirment de plus en plus nettement et ne déterminent plus leur politique en fonction de Washington perçu comme la puissance centrale. Le potentiel de discrédit des trois années de revers et de désordre américanistes depuis l’invasion de l’Irak sont en train d’être transmutées en une nouvelle organisation de facto des relations internationales. Là où dominait la crainte de la puissance américaniste, on trouve désormais au mieux (pour les USA) un réalisme libéré des plus lourdes contraintes, au pire une défiance qui peut aller de la réserve à l’agressivité. Le déclin très rapide de la puissance américaniste est désormais un facteur essentiel de détermination de la politique. On peut alors mieux mesurer combien l’Amérique est perçue désormais comme un facteur de désordre, voire un danger considérable.

Le texte de Zbigniew Brzezinski tend à prendre en compte, d’une façon inhabituellement franche et brutale pour un membre si estimé de l’establishment, nombre de ces éléments de déclin. Affirmer que « a self-confident America was being transformed into a fear-driven natrion » est une remarque peu courante dans les cercles de réflexion de Washington.

On trouve une approche nécessairement critique mais, dans ce cas, très objective, — pour des raisons évidentes de concordance paradoxale d’analyse, — dans l’interprétation du texte de Brzezinski par Barry Grey, de WSWS.org. Elle se trouve dans un texte général en deux parties, sur le site WSWS.org, le 4 mars 2006 et le 6 mars 2006. (La présentation du texte de Brzezinski figure dans la seconde partie du texte de Grey, le 6 mars.)

Le texte de Grey, qui présente une analyse du déclin global du capitalisme américain (« Report on US: The Bush administration and the global decline of American capitalism ») est présenté de cette façon, qui en fixe les circonstances : « Published below is [....] a two-part report by Barry Grey to an expanded meeting of the World Socialist Web Site International Editorial Board (IEB) held in Sydney from January 22 to 27, 2006. Grey is a member of the WSWS IEB and the Socialist Equality Party (US) central committee. WSWS IEB chairman David North’s report was posted on 27 February. SEP (Australia) national secretary Nick Beams’ report was posted in three parts: Part one on February 28, Part two on March 1 and Part three on March 2. James Cogan’s report on Iraq was posted on March 3. »

On connaît le site WSWS.org. Mise à part l’orientation évidemment trotskiste, dont chacun fera ce qui lui convient, les analyses sont sérieuses, documentées et très compétentes. C’est le cas de l’analyse du texte de Brzezinski, par Barry Grey.

« ...Finally, I would like to cite, at some length, an extraordinary article that appeared in the inaugural issue (autumn 2005) of a new American foreign policy journal called The American Interest. This publication is being put out by well known figures in the US foreign policy establishment, including right-wingers such as Francis Fukuyama, who are critical of the decision to invade Iraq and even more critical of the Bush administration’s conduct of the war, and find themselves at odds with the neo-conservative ideologues who largely authored the war policy.

» The most significant article is by Zbigniew Brzezinski. Entitled “The Dilemma of the Last Sovereign,” it provides an insight into the thinking of the more perspicacious partisans and strategists of US imperialist interests. Brzezinski sets out an acid and devastating critique of the Bush administration’s entire foreign policy, and the so-called “global war on terror” that serves as its mantra.

» Speaking with remarkable bluntness for a man in his position, he writes: “... the emphasis on the ‘global war on terror’ has been symbolically central, fostering patriotic mobilization and legitimizing actions that otherwise could be viewed as extra-legal or even outright illegal. To the framers of the new strategy, 9/11 legitimized the de facto suspension of habeas corpus even for US citizens, ‘stress interrogation’ (a.k.a. torture) of detainees, and unilateral military action—just as Pearl Harbor eventually legitimized Hiroshima in the public mind.”

» On the results of this policy, he writes that “a self-confident America was being transformed into a fear-driven nation,” and continues:

» “Even more potentially dangerous to America’s long-term interests has been the surfacing global trend toward regional coalitions with a thinly veiled anti-American orientation. Distancing oneself from the US government and all things American has become politically popular in Asia, Europe and Latin America. That mood is facilitating China’s efforts to quietly exclude the United States from its region by exploiting a rising pan-Asian identity in East and Southeast Asia; it gives a much less Atlanticist favor to the continuing European effort to shape a more politically-minded European Union; and it encourages a cluster of new, democratically-elected but rather leftist Latin American presidents to cultivate closer relations with Europe and China. The emergence of strong pan-European and pan-Asian communities, rather than Transatlantic and Transpacific ones, would intensify America’s global isolation.”

» Summing up, he writes: “In brief, America’s post-9/11 foreign policy is too short range in its focus, overly alarmist in its rhetoric, and has been too costly in its still early consequences. Its overall effect has been to increase America’s national vulnerability while undermining the legitimacy of its international primacy.”

» Even more significant that this damning critique and dire assessment, for US imperialism, of the trajectory of world developments, is Brzezinski’s central thesis: that the most significant factor in world politics is what he calls the “global political awakening.”

» He writes: “America needs to face squarely a centrally important new global reality: that the world’s population is experiencing a political awakening unprecedented in scope and intensity, with the result that the politics of populism are transforming the politics of power.”

» He elaborates: “It is no overstatement to assert that now in the 21st century the population of much of the developing world is politically stirring and in many places seething with unrest. It is a population acutely conscious of social injustice to an unprecedented degree, and often resentful of its perceived lack of political dignity.... These energies transcend sovereign borders and pose a challenge both to existing states as well as to the existing global hierarchy, on top of which American still perches ...”

» “To sum up, the ongoing political awakening is now global in its geographic scope, with no continent or even region still largely politically passive; it is comprehensive in its social scale, with only very remote peasant communities still immune to political stimuli; it is strikingly youthful in its demographic profile and thus most receptive to rapid political mobilization; and much of its inspiration is transnational in origin because of the cumulative impact of literacy and mass communications.”

» In somewhat Aesopian language, this longtime councilor for US imperialism is talking about nothing other than world revolution, which he sees as the real danger facing the American ruling class, rather than the efforts of a relative handful of Islamist terrorists. Lest there be any doubt as to his meaning, he places the “global political awakening” within the historical context of the French Revolution, the revolutions of 1848, the Bolshevik Revolution, and the mass anti-colonial struggles that followed the Second World War.

» He underlines the point, writing: “The policy diagnosis that follows accepts the proposition of historical discontinuity from 9/11 but argues that the central challenge of our time is posed not by global terrorism, but rather by the intensifying turbulence caused by the phenomenon of global political awakening. That awakening is socially massive and politically radicalizing.”

» The hardened reactionary Brzezinski has put his finger on the most decisive fact of world politics: the emergence of a new period of anti-imperialist and anti-capitalist revolutionary struggle, one that assumes a more thoroughly international character than anything that preceded it. »