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398Depuis quelques jours, la presse britannique, qui est vertueuse quand il le faut, s’agite considérablement autour de l’affaire de l’assassinat d’un dirigeant du Hamas à Doubaï, Mahmoud al-Mabhouh, en janvier dernier, dans l’hôtel où il résidait. Il s’avère que l’opération a été préparée, montée et exécutée par le Mossad israélien, avec une équipe de 12 personnes, utilisant notamment 11 faux passeports dupliquant ceux de personnes réelles appartenant à des pays de l’UE, dont six citoyens britanniques disposant de la double nationalité et résidant en Israël. (The Independent du 18 février 2010: «The story turned murkier still when those Britons identified by their passports turned out to be resident in Israel, categorically denied ever visiting the UAE, and professed themselves horrified at what appeared to be the fraudulent use of their passport details…. […] Some of the Israelis caught up in the case, all of whom appear unconnected and strongly deny any involvement, have spoken of their anger and fear about possible repercussions.»)
L’intervention qui a mis à jour le pot aux roses vient de la police de Doubaï, qui n’apprécie pas de voir son territoire transformé en tir aux pigeons par les SR type Mossad. En Israël même, le malaise est grand, une partie de la presse très critique, certains à la Knesseth choqués jusqu’à envisager une commission d’enquête. Il y a des pressions pour que le chef du Mossad démissionne et son service concurrent, chargé de la sécurité intérieure, est très critique dans cette affaire et des méthodes du Mossad en général.
Mais c’est certainement au Royaume-Uni où la tension est la plus grande, avec des pressions pour que Brown prenne des mesures sérieuses contre Israël. Brown est donc obligé de montrer qu’il réagit… (Dans le Guardian du 18 février 2010.)
«Britain last night fired the first shot in a potentially explosive diplomatic row with Israel by calling in the country's ambassador to explain the use of faked British passports by a hit squad who targeted a Hamas official in Dubai.
»The Israeli ambassador has been summoned to the Foreign Office to “share information” about the assassins' use of identities stolen from six British citizens living in Israel, as part of the meticulously orchestrated assassination of Mahmoud al-Mabhouh.
«Britain has stopped short of accusing Israel of involvement, but to signal its displeasure, the Foreign Office ignored an Israeli plea to keep the summons secret. “Relations were in the freezer before this. They are in the deep freeze now,” an official told the Guardian.»
@PAYANT Bien, la vertu ne manque pas dans cette affaire, qui est la version contraire du “pas vu, pas pris”, et se traduit par “haro sur celui qui est pris”. Tout le monde sait parfaitement de quel bois de chauffe le Mossad en général et dans ses méthodes, et qu’il emploie des documents faux de personnes vraies, à l’insu de ces personnes, qui pourraient conduire ces mêmes personnes à de sérieux problèmes; cela vaut particulièrement pour le MI6 britannique, qui travaille avec le Mossad, comme avec les services US, d’une façon intensive depuis le 11 septembre 2001. Au reste, tout le monde sait que le MI6, comme la CIA et les autres, essentiellement anglo-saxons, n’hésitent pas à employer les mêmes méthodes que le Mossad. Cet aspect de l’affaire est donc prestement réglé.
Mais voilà… Doubaï, et les Emirats en général, en ont assez de service de champ de tir pour les éliminations diverses de tous les “death squads” en ballade. D’où cette mise à jour délibérée de l’affaire des passeports, qui touche gravement à la vertu officielle de nos conceptions et, par conséquent, de nos dirigeants. Tout le monde découvre avec horreur qu’on peut impliquer à leur insu, y compris le fameux “insu de leur plein gré”, des citoyens présumés innocents et honnêtes dans des opérations expéditives. Et, pour la vertu officielle du Royaume-Uni, qui a six de ses citoyens (également citoyens israéliens) impliqués dans l’affaire, c’est particulièrement important; comme le dit gravement un officiel cité, “le passeport est un document fondamental de la citoyenneté britannique”, et c’est donc le principe sacré de cette citoyenneté qui est violé. Le Royaume-Uni a beau être le temple de la corruption (BAE, la City), des opérations tordus (montages divers dans l’affaire irakienne) et au bord de l’effondrement économique, il n’en a pas moins ses principes sacrés remontant à la gloire de l’Empire.
Par conséquent, le gouvernement Brown est dans une situation délicate. Les relations avec Israël sont également un principe sacré de la politique extérieure britannique, revue Blair-Bush, et même s’il s’agit de relations avec un pays qui agit dans les formes les plus crues du banditisme et de l’illégalité, il y a également une obligation de vertu de ce côté. C’est un aspect curieux de cette affaire: sordide de toutes les façons qu’on la prenne, dépendante maintenant qu’elle est mise à jour de vertus affichées et intangibles de la représentation virtualiste de nos politiques telle qu’elle est pratiquée. C’est une collision intéressante entre leur virtualisme et la réalité de leurs pratiques. De ce point de vue, Doubaï, autre “Etat” sur le bord de l’effondrement à l’image de ses tours ultra-modernes, a agi avec une énergie vicieuse pour marquer son territoire.
Un autre intérêt de l’affaire est que cette confrontation réalité sordide-vertus virtualistes est doublée par les impitoyables concurrences intérieures. En Israël, les services de sécurité intérieure Shin Bet mettent en accusation le Mossad dans cette affaire, d’ailleurs plus pour sa maladresse et ses méthodes trop brutales et sans la moindre précaution de légalité. La rivalité entre les deux services ne date pas d’aujourd’hui et elle est féroce. Le Shin Bet n’entend pas laisser passer cette occasion de réduire l’influence du Mossad. C’est un des éléments, en plus de l’aspect britannique, qui fait croire que l’affaire pourrait aller loin en Israël, malgré la volonté du gouvernement de ne pas mettre des bâtons dans les roues du Mossad. Mais tout le monde, même Israël, a ses apparences formelles de vertu à défendre, et si ses adversaires décident d’exploiter l’affaire, le Mossad va connaître quelques tracas.
(Notez qu’on n’évoque pas trop le fond de l’affaire, – le fait d’assassiner des personnes d’une façon discrétionnaire et illégale, dans des pays étrangers. Il n’empêche que ce cadre-là, même s’il n’est pas évoqué parce qu’il va de soi dans nos pratiques coutumières au temps de “la Guerre contre la Terreur”, ne contribue pas à alléger l’atmosphère.)
C’est encore un exemple typique de “discorde chez l’ennemi”, si l’on tient effectivement comme “ennemi” le monstrueux système bureaucratique, économique, policier et militaire que sont aujourd’hui l’Occident et ses dépendances… (Si on recule devant ces excès dialectiques, on parlera de “discorde chez les amis” avec un clin d’œil.) L’effet le plus considérable de toutes les activités effrénées d’actions illégales, brutales, arbitraires, dans lesquelles est plongé le système est moins d’amoindrir un ennemi dont on continue à se demander s’il arrive à la cheville de la représentation qui en est faite, que d’élargir et d’approfondir les contradictions et les tensions internes dans le système, entre ses différents composants, qu’ils soient nationaux ou “corporatistes”. Le cas est ici particulièrement intéressant parce que le Mossad a l’importance qu’on sait et que c’est la première fois qu’il se trouve piégé d’une façon aussi préoccupante dans une affaire où les apparences de vertu, dont nos dirigeants politiques sont comptables vis-à-vis de la représentation virtualiste du monde qui leur sert de fond de commerce, exercent une pression particulièrement forte pour exiger des mesures conséquentes. L’affaire est donc à suivre parce qu’il y a quelques chances qu’elle puisse déboucher sur des prolongements inédits.
Mis en ligne le 18 février 2009 à 08H58
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