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676La Commission européenne a accueilli le discours de Tanger du président français, le 23 octobre, avec une déclaration publique lénifiante tout de même assortie du souhait d’y voir associés les pays de l’UE. A l’intérieur de la Commission, dans les réunions, la réaction est beaucoup plus franche, c’est-à-dire apocalyptique. L’initiative de Sarko, qui concrétise un pan important de son programme pour un appel à l’union des peuples de la Méditerranée, est considérée comme interférant directement dans la “politique de voisinage” de l’UE, ou European Neighbourhood Policy. La Méditerranée est l’axe central de cette politique de la Commission.
Une source à la Commission observe que, «lors de réunions qui ont suivi le discours, les réactions ont été extraordinairement vives. On ne serait pas loin de penser que c’est une déclaration de guerre directe contre la Commission, tant l’initiative française interfère sur la politique de la Commission. La situation étant objectivement considérée, d’ailleurs, et même si l’on est adversaire de la Commission ou simplement soupçonneux à son encontre, il faut avouer que cette réaction est en bonne partie compréhensible.»
Dès la campagne électorale, l’idée d’une initiative méditerranéenne qui se trouvait dans le programme du candidat Sarkozy a inquiété la Commission. Il s’agissait d’une interférence directe dans un de ses axes extérieurs les plus importants, axe établi et activé pour poursuivre l’extension et l’accroissement de l’influence de l’UE en abandonnant la voie de l’élargissement systématique désormais gravement mise en question par le passage à 27 pays. Le discours de Tanger confirme les craintes les plus vives. Avec sa dimension politique et culturelle très forte, l’initiative française offre une alternative à la politique européenne, non seulement concurrente mais désormais perçue comme nettement antagoniste. Notre source ajoute : «Qui plus est, le ton du discours, les références, dans un “style Guaino” très appuyé, sont faits pour enrager la bureaucratie européennes et aussi les pays de l’UE du Nord, ceux justement que l’initiative écarte.»
Tout cela est très compréhensible et constitue un écho objectif de la situation. Maintenant, si l’on veut pousser l’analyse et offrir des appréciations plus politiques, on admettra que l’initiative française contient quelques perspectives hypothétiques excellentes. Elle renforcerait le “parti latin” de l’UE, elle lui donnerait éventuellement une véritable personnalité, une structure, face au “parti nordique” sous très forte influence anglo-saxonne et protestante. Causerait-elle du désordre au sein de l’UE? Certainement, et peut-être plus que du désordre. Mais est-ce un mal? L’ordre apparent de l’UE reflète en réalité, ces dernières années, le renforcement accéléré des courants déstructurants principalement d’origine anglo-saxonne, d’essence économique plus que politique; semer le désordre dans cet “ordre” ne peut pas être complètement mauvais, et cela peut même être excellent, comme une cure de Jouvence. D’autre part, le caractère politique et culturel de l’initiative, son ampleur géographique constituent des axes d’attaque contre la poussée belliciste anglo-saxonne dans la région et au Moyen-Orient. (Peut-être même, – espoir suprême et peut-être chimérique, – donnerait-elle à l’administration française assez de “vision” pour vendre aux pays de la Méditerranée des avions de combat français plutôt que d’ouvrir la voie à des ventes d’avions US.)
Reste maintenant à voir le succès de l’initiative. Interviewé le même jour que le discours à Tanger, Henri Guaino observait que cette initiative «est un pari». Il faudra voir quelle sera la réponse des pays concernés, et d’abord celle des pays de l’UE du “parti latin”, notamment les “grands” (Espagne et Italie). Bien entendu, les Français insistent pour en faire une initiative complémentaire de l’UE, voire une initiative de renforcement. Pour les institutions européennes, pour la Commission notamment, on ne serait pas loin de croire, – variation dans l'accusation, – qu’il s’agit d’un véritable “appel à la dissidence”. Disons qu’il est des époques et des circonstances où la “dissidence” peut devenir une vertu.
Mis en ligne le 25 octobre 2007 à 09H50
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