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46858 juillet 2019 – La chronique de Patrick Buchanan du 5 juillet 2019 est révélatrice des contradictions terribles où le Système à l’agonie plonge nombre de personnesengagées le plus souvent selon les axes de la dissidence à tournure antiSystème. Dans cet article, Buchanan en vient à se tourner vers le criminel larbin du Système qu’est le New York Times et la propagande-simulacre qu’il célèbre (celle du NYT lui-même, et celle de Trump selon l’orientation du vent avec les mandarins républicain) pour pouvoir célébrer, lui-même Buchanan, ce qu’il nomme le “patriotisme de Trump”. En l’occurrence, ce “patriotisme” de Trump que décrit Buchanan est défini selon le commentateur par la première partie du discours du président, lors de la cérémonie du Fourth-of-July, comme extrêmement vertueux. Buchanan ne voit-il pas que ce ne fut qu’une orgie absolument caricaturale à force d’emphase bombastique de militarisme de type déterministe-narrativiste célébrant indirectement, sinon directement, ce que ce même Buchanan et la droite paléoconservatrice, libertarienne et populiste, ont toujours haï : l’interventionnisme, les guerres-neocons extérieure et toute cette agitation belliciste, mortifère et entropique depuis 9/11 ?
Lisez un extrait de la prose enthousiaste et lyrique de Buchanan devant le spectacle de la célébration du 4 juillet, spectacle monté de toutes pièces, grand show de téléréalité recouvrant le désarroi et le vide d’un Empire en processus désordonné et précipitamment fardé d’effondrement, succès populaire indéniable d’une population désespérée et ne sachant plus à quel simulacre de saint se vouer, et se raccrochant au dernier truc du saltimbanque de la Maison-Blanche pour pouvoir “y croire” encore. Le désespoir ainsi étalé sans que ceux qui en sont porteurs en soient conscients est pathétique et profondément débilitant. Le jugement de l’honnête homme oscille entre “ah, les imbéciles” et “oh, les pauvres gens”...
« Ce n'était pas une célébration de Trump mais de l'Amérique.
» “Quel grand pays !” a déclaré le président. “Rien n'est impossible aux Américains.” Notre nation est “la plus exceptionnelle de l'histoire du monde”.
» La deuxième partie du discours de Trump a été consacrée à l’hommage aux cinq branches des forces armées, – la Garde côtière, l’USAF, la Navy, les Marines, l’US Army, – et chaque hommage se terminait par une démonstration de la puissance aérienne correspondante à l’arme.
» La célébration de la force militaire américaine avait suscité nombre de hurlements de protestation. Mais les survols des F-22 et F-35, le bombardier furtif B-2 et les Ospreys, et l'apogée des acrobaties aériennes de la patrouille des Blue Angels de la Navy, alors que l'orchestre des Marines jouait “The Battle Hymn of the Republic”, étaient exaltants, voire émouvants.
» C’était positif, encourageant, patriotique. Et on imagine qu’il n’y avait pas, dans la foule si nombreuse, que les “Deplorables” de Trump pour clamer leur amour. »
Avec d’une part cette description enthousiaste d’un patriotisme de pacotille comme seul Trump peut susciter parce qu’il est ce qu’il est, personnage de pacotille lui-même ; avec d’autre part la description aussi enthousiaste d’un appareil militaire à la fois pourri et dépassé, criminel à la façon du crime organisé et des milices paramilitaires, avec ses généraux carriéristes, incompétents sinon pour s’assurer une place en or dans les Conseils d’Administration des fabricants d’armements ou comme “consultants” de la presseSystème après leur retraite ; avec tout cela, Buchanan croit avoir assuré une bonne base intellectuelle sinon “spirituelle” pour partir à l’assaut. La deuxième partie de son article est en effet un assaut contre la gauche et les démocrates, ou plutôt l’assaut contre les démocrates avec leur gauche devenue ultragauche, des démocrates ainsi devenus marqueurs politiques du dégoût paradoxal de nombre d’Américains pour l’Amérique.
Le pauvre Buchanan et son dilemme de contradiction rejoignent dans mon esprit ce que j’avais tristement observé en un autre temps pas si lointain et à plusieurs reprises à propos de Justin Raimondo, avant que son décès et l’honneur qui lui est incontestablement dû m’imposassent le silence. Même s’ils s’en doutent ces antiSystème compromis par le trumpisme, ils ne purent et ils ne peuvent accepter pour du comptant le constat terrible et impératif qu’il est absolument impossible de fonder un sentiment d’une certaine force et d’une réelle hauteur sur un homme tel que Trump ; mais Trump n’est rien d’autre que l’aboutissement ultime et inévitable, quasiment ontologique et déterministe, comme une fatalité épouvantable et diabolique, de l’Amérique elle-même, cette Amérique qu’ils célèbrent avec nostalgie.
Cette espèce de “particule élémentaire”, Trump, avec la pensée molle et parée d’un flou insaisissable qui introduit par bonheur un formidable désordre à “D.C.-la-folle”, reste ce filou de la vertu politique, ce saltimbanque de cirque, qui fait défiler son armée comme Buffalo Bill faisait galoper en boucle Sitting Bull et les restes des Lakotas en cours d’américanisation dans l’arène façon-Médrano à deux dollars l’entrée, bourrée d’une foule vulgaire et puante. Je le dis et le répète pour qu’on comprenne bien la perception que j’en ai, à la fois dégoût bien identifié et ironie amusée devant le spectacle-bouffe, et aussi une bonne mesure du cadeau-surprise que nous fait le Ciel : c’est parce qu’il est ce personnage de bas étage, cet hercule de caniveau, par ailleurs narcissique ébouriffant et inventeur de simulacres à deux balles, que Trump crée la paradoxale et formidable vertu d’introduire le ferment du désordre à “D.C.-la-folle”, et pour durer jusqu’au bout, spectacle prévu sans relâche jusqu’au terme catastrophique.
Qu’on se félicite qu’il soit entré dans la danse pour complètement déstabiliser “D.C.-la-folle”, cela ne peut supporter la moindre hésitation ! Mais qu’on en fasse l’inspirateur du renouveau du patriotisme, non, mille fois non...
Qu’importe, Buchanan tombe dans ce piège qu’il a pourtant reconnu mais qu’il ne peut éviter... Suit donc dans son article, sa critique acerbe et complètement vaine en fait même si elle est justifiée, contre les démocrates et leur ultragauche des caviars néo-marxistes devenus fous, qui attaquent le système de l’américanisme au nom des “lendemains qui chantent”... Les responsabilités sont bien partagés, avec l’aveuglement et la psychologie invertie partout présents !
« ...Pourtant, on peut se demander : Où va mener toute cette négativité, ces geignements et ces grognements constants de la gauche ? Ces gens pensent-ils que l'Amérique se tournera avec espoir vers un parti qui recule horrifié et comme poussé par un réflexe de Pavlov devant tout ce qui est patriotique ?
» Partout, il semble que la gauche s'attaque à l'histoire de l'Amérique et à ses héros jugés imparfaits. Lundi, le conseil municipal de Charlottesville a voté par 4 voix contre 1 pour supprimer le 13 avril, date de naissance de Thomas Jefferson, comme jour férié payé.
» Pourquoi ? Parce que notre troisième président était un esclavagiste. Au cours de la période de consultation publique du conseil, des manifestants ont accusé l'auteur de la Déclaration d'indépendance des États-Unis d'avoir été un raciste et un violeur.
» La semaine dernière, l'ancien quarterback de la NFL Colin Kaepernick a exhorté son sponsor, Nike, à retirer du marché ses nouvelles baskets Air Max 1 Quick Strike Fourth of July avec la première version du drapeau américain de l’indépendance imprimé sur les chaussures. Selon Nike, M. Kaepernick a déclaré à la société qu'il trouvait le drapeau colonial offensant, car il flottait alors que l'esclavage était encore légal.
» La semaine dernière encore, les résultats surprenants d'un nouveau sondage ont mis en évidence à quel point le Parti démocrate va vite et loin vers la gauche.
» Selon Gallup, alors que 76 % des républicains se disent “extrêmement fiers” d'être Américains, seuls 22 % des démocrates disent la même chose, ce qui représente une forte baisse par rapport à l'année dernière. En 2013, au début du second mandat d'Obama, 56% des démocrates se disaient “extrêmement fiers” d'être Américains.
» Un autre résultat qui secoue : alors que la grande majorité des Américains, – 9 sur 10, – sont extrêmement fiers des réalisations militaires et scientifiques des États-Unis, plus des deux tiers de tous les Américains disent maintenant qu’ils ne sont plus fiers du tout du système politique américain.
» C'est particulièrement vrai pour les démocrates. Seulement 25 pour cent, soit 1 démocrate sur 4, se dit fier de notre système politique, de notre démocratie.
» Un spectre d'anti-américanisme semble se lever à gauche.
» En écoutant les débats démocrates, et la représentation de la nation et de son économie par les candidats, on pourrait penser que nous vivons dans le Paris des Misérables ou le Londres de Charles Dickens.
» La démographie favorise indéniablement un parti démocrate à prédominance de la génération-millenium par rapport au parti d'âge moyen et des personnes âgées qu'est le GOP.
» Mais comment un parti, dont les trois-quarts de ses adhérents ne professent aucune fierté à l'égard de son système politique, persuaderait-il la nation de lui confier la responsabilité de ce système ? Comment un parti, dont un quart seulement de ses membres est “extrêmement fier” d'être américain, peut-il convaincre une majorité d'Américains de lui confier le leadership de leur nation ?
» De la part des libéraux et des progressistes, nous entendons constamment des geignements, des grognements et des doléances. Quand entendrons-nous de la gratitude, – pour l'Amérique ?
Comment cela ? De « la gratitude, – pour l'Amérique » ? Est-ce bien raisonnable ? C’est certes à ce point que le bât blesse, et il blesse pour eux et non pour nous, – ou plutôt, dirais-je, pour lui Buchanan et nullement pour moi qui ait choisi comme ennemi quelque chose qui nous surpasse tous, nous emprisonne, nous persécute et nous tourmente, – et de ce fait, parfaitement conforme en fait à la vérité-de-situation qui écrase le monde, car l’ennemi “choisi” fut d’abord parfaitement identifié et devrait absolument s’imposer à nous. Comme Raimondo lui-même l’avait manifesté involontairement, et d’autres encore avec lui, Buchanan a deux ennemis et non pas un seul comme moi : d’une part, la politique extérieur (de sécurité nationale) développée au moins depuis 1945, portée à son paroxysme d’interventionnisme depuis 9/11 ; d’autre part, son adversaire partisan, le parti démocrate, “la gauche” en général. (De même, le dissident de gauche a-t-il deux ennemis : la politique de sécurité nationale d’une part, son adversaire partisan, “la droite” en général d’autre part.)
Comment parvenir à dire « Quel grand pays ... Rien n'est impossible aux Américains... Notre nation est la plus exceptionnelle de l'histoire du monde” » alors que les USA plongent le monde dans le chaos, se conduisent comme des bandits de grand chemin et des tueurs d’un Syndicat du Crime postmoderne, défiant toutes les lois qu’ils ont eux-mêmes imposées et ne cessant de mentir, tandis que l’état de leur intérieur ne cesse, lui, d’empirer, les déclassés de s’empiler, les infrastructures de pourrir, la psychologie de tourner à la folie et à l’hallucination zombifiée ? Comment peut-on se faire assez durablement illusion, se tromper soi-même, pour dire cela alors qu’une des deux ailes du parti unique dit ne plus “être extrêmement fier de l’Amérique” dans le chef des trois-quarts de ses membres, exact contraire de l’aile d’en face, mesure extrême de la division, de la scission, de la fracture de ce pays ?
Le sort des dissidents antiSystème aux USA est bien pénible, qu’ils soient de droite ou de gauche d’ailleurs. D’un côté, ils s’opposent farouchement à la politiqueSystème que mène l’administration en place, qu’elle soit d’un parti ou de l’autre, qu’elle porte sur tel ou tel domaine de façon plus spécifique ; d’un autre côté, ils continuent à proclamer leur foi dans l’Amérique des Pères Fondateurs parce qu’ils jugent que c’est leur origine, leur identité et leurs racines, alors que c’est cette Amérique-là et aucune autre qui a accouché du monstre épouvantable qu’est l’Amérique aujourd’hui.
(Les plus à l’aise de ces “dissidents” aux USA furent les écrivains américains [et je ne dis pas “écrivains américanistes”] quand ils se manifestaient en tant que tels, parce qu’un écrivain peut aisément se faire grand politique en se passant de parler de la politique coutumière et partisane, au contraire d’un Buchanan à droite ou d’un Chis Hedges à gauche. Il peut alors affirmer des choses terribles dont le thème principal est finalement que l’Amérique, celle qu’on nous vante et qu’on nous vend comme le fait Trump, cette Amérique-là n’existe pas et n’a jamais existé...) (*)
Pour autant, écrivant plus haut “pour eux et non pour nous”, puis me reprenant pour personnaliser la remarque en fonction de mon attitude d’hostilité au Système et rien de moins (« C’est bien à ce point que le bât blesse, et il blesse pour eux et non pour nous, – ou plutôt, dirais-je, pour lui Buchanan et nullement pour moi qui ait choisi comme ennemi... »), je dois ajouter que le dilemme de Buchanan a toutes les malchances calamiteuses de devenir celui de tous les dissidents antiSystème (hors-USA dans ce cas) qui ont choisi “un camp” pour appuyer leur bataille. Certes, ils ont une référence, mais cette référence peut, du jour au lendemain dans l’étrange époque qui swingue, devenir incompatible avec leur combat jusqu’à l’insupportabilité et l’angoisse.
Le problème se pose pour tout dissident qui a fait un choix stratégique dans l’histoire humaine actuellement en cours, comme s’il croyait, ou parce qu’il croit vraiment que la crise est historique et peut être résolue par le facteur humain. Quant à moi, mes positions dans l’histoire humaine actuelle sont purement tactiques et peuvent changer du jour au lendemain ; mes références fondamentales (stratégiques) sont de l’ordre de la métahistoire, prenant en compte l’existence tout à fait possible sinon bien probable de forces suprahumaines, et me situant simplement par rapport au but de la destruction du Système (Delenda Est Systemum). Je conseille vivement d’essayer la formule...
(*) En 1948, un historien et critique américaniste (-iste, certes), parfait représentant du système de l’américanisme au moment où Washington D.C. célébrait “le siècle américain”, pouvait écrire ceci de la génération des Faulkner, Steinbeck, Dos Passos, Hemingway, Sinclair Lewis, Fitzgerald, Henry Miller et ainsi de suite... (Dans Frederick Lewis Allen, “Le grand Changement de l'Amérique”, traduction française chez Amiot Dumont, Paris 1953, – et l’on passera sur l’affirmation que la littérature américaine surpasse toutes les autres dans l’entre-deux guerres, notamment la française, allant de Proust à Céline.) :
« Les romanciers américains contemporains doivent être extrêmement gênés (du moins je l'espère) quand on leur dit qu'ils ont produit la seule littérature significative d’entre les deux guerres. Rentrant d'Europe, ma première, ma plus forte et ma plus durable impression fut qu'aucun ensemble d'œuvres littéraires, à aucune époque et en aucun pays, n'a été aussi uniformément déprimant. C'est pour moi une source d'étonnement perpétuel que la nation qui a dans le monde la réputation d'être la plus optimiste, la plus unanime et la plus libre sur la terre puisse se voir elle-même, à travers les yeux de ses représentants les plus sensibles, comme une collection de victimes sans espoir, de gens tristes et louches, de personnes déchues. De roman en roman, on ne rencontre que des héros sans honneur et sans éclat ; [...] des héros dont la seule vertu est une stoïque endurance devant les souffrances et les désastres .»
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