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115220 octobre 2009 — Un article de John Chan, de WSWS.org, le 19 octobre 2009, reprend la problématique de l'actuelle “crise” (le mot est-il adéquat?) du dollar, c’est-à-dire les rumeurs, la chute de la devise US, les spéculations à propos de son sort et de son destin. D’une façon significative, Chan commence son article en rappelant l’article de Robert Fisk du 6 octobre 2009 dans The Independent. Nous nous en étions fait l’écho le même 6 octobre 2009; puis en insistant sur l’impact psychologique de ce texte, sur l’étrange effet des démentis qui avaient suivi, dont nous avions nous-mêmes parlé en les assimilant à des confirmations, dans un Bloc-Notes du 7 octobre 2009; puis, de façon plus générale à propos de la façon dont il faut procéder aujourd’hui pour découvrir la véritable information dans le fatras de communication qui nous submerge, dans une Note d’analyse le 9 octobre 2009.
Fan écrit: «An article by veteran Middle East journalist Robert Fisk in the British Independent on October 6, entitled “The demise of the dollar”, is credited with adding to the recent weakness of the US dollar and the rise of gold prices.
»The exclusive report revealed that finance ministers and central bankers from the Gulf States, China, Russia, Japan and France had held a series of secret meetings to plan an end to the use of the US dollar for oil trading by 2018. The replacement would be a basket of currencies, including the euro, the Japanese yen, the Chinese yuan, gold and possibly a new currency issued by the Gulf Cooperation Council… […]
» Indeed, Saudi Arabia and other Gulf oil producers, as well as Japan and Russia, denied any such meetings had taken place. Fisk did not, however, resile from his report, writing on October 7 that Saudi denials were simply regarded “as a normal part of Gulf politics”. The reaction of the markets indicated that the story was not implausible. In fact, there has been a growing discussion in financial circles about replacing the US dollar…»
• Effectivement, on n’en reste pas là. Les discussions sur le remplacement du dollar, ce n’est pas ce qui manque. Le Teheran Times rapporte, le 19 octobre 2009, quelques indications, venues de Reuters, sur d’autres discussions dans ce sens. Les détails n’importent guère, il suffit de savoir que la chose est en cours : «Venezuela’s president has said that countries including Venezuela, Russia and Iran have proposed the U.S. dollar should be replaced as the currency used for oil trade. “We’ve been talking about this in OPEC. Venezuela agrees and there are other countries, such as Iran and Russia that are also on-side with this idea,” Chavez told reporters in the central Bolivian region of Cochabamba, Reuters reported.»
• L’effet des turbulences du dollar et des rumeurs de discussions pour lui trouver une alternative ont provoqué des effets divers et, souvent, caractéristiques sinon étranges. Fan cite un article de Martin Wolf, prince des commentateurs financiers, du Financial Times, indeed … «Writing on October 13, Financial Times commentator Martin Wolf played down talk of the “dollar’s death” as exaggerated. “Unless and until China removes exchange controls and develops deep and liquid financial markets—probably a generation away—the euro is the dollar’s only serious competitor. At present, 65 percent of the world’s reserves are in dollars and 25 percent in euros. Yes, there could be some shift. But it is likely to be slow. The euro zone also has high fiscal deficits and debts. The dollar will exist 30 years from now; the euro’s fate is less certain,” he explained.»
Wolf est catégorique, le dollar est parmi nous pour au moins les 30 prochaines années (pourquoi pas 75 ans? Le chiffre serait bienvenu, puisque c’est celui de la durée minimale de vie du programme JSF, autre fameux “too big to fall”). Cette certitude de stabilité contraste d’une façon étrange avec une précédente analyse du même Wolf, concernant celle-là l’industrie financière US, dito Wall Street, du 5 octobre 2009, reprise en français dans Le Monde… «Qui peut croire que le système financier qui émerge de la crise est plus sûr que celui qui s'y est précipité? Peu de gens, assurément. Dès lors, comment peut-on remédier à cette situation désastreuse? Ce qui a entraîné le monde dans la crise, c'est, nous le savons maintenant, un secteur financier mal géré, irresponsable, fortement concentré et sous-capitalisé, miné par les conflits d'intérêts et bénéficiant de garanties publiques implicites. Ce qui en émerge est un secteur financier un peu mieux capitalisé, mais encore plus concentré et bénéficiant de garanties publiques explicites. Ce n'est pas un progrès: cela signifie que nous connaîtrons dans les années à venir de nouvelles crises, plus nombreuses et plus graves.»
… Etrange, disons-nous, parce qu’ici (le 5 octobre), Wolf nous annonce “dans les années à venir de nouvelles crises, plus nombreuses et plus graves” (que celle du 15 septembre 2008, ce n’est pas rien!), et que les USA en auront diablement leur part, plus qu’à leur tour comme on dit; alors, pourquoi ne pas envisager, nous autres esprits simples, comme hypothèse la plus évidente des effets catastrophiques divers, notamment de tels effets sur le dollar quand on connaît la situation US? Mais non, pas du tout, puisque là (le 13 octobre), Wolf nous assure que le dollar est là pour au moins 30 ans, aussi stable que la couronne britannique (ou que le JSF).
• Au reste, la démonstration est faite, grâce à la doctrine TINA (There Is No Alterative), par exemple par Pierre-Antoine Delhommais, dans Le Monde du 17 octobre 2009. Ô surprise, le Dieu-dollar est devenu le soldat-Dollar qu’il faut sauver à tout prix ( Il faut sauver le soldat Dollar) comme ce brave Spielberg entendait sauver le Private Ryan, simplement because TINA… Et en prime, après avoir été informé que le Dieu-dollar devenu le soldat-Dollar est également la “monnaie-monde”, nous apprenons que les USA sont plus puissants que jamais. C’est CQFD et TINA combinés:
«Alors ? Le dollar se meurt peut-être, mais vive le dollar ! Comme l'écrit l'économiste américain Benjamin Cohen, à propos de l'avenir des monnaies de réserve, “le dollar est le pire des choix, à l'exception de tous les autres”. Et les Etats-Unis risquent de conserver ce “privilège exorbitant”, qui agaçait tant le général de Gaullle, de disposer de la seule monnaie-monde. Privilège exorbitant, sans doute, mais aussi lié à des atouts exorbitants, ce que ne disait pas le général, tellement aveuglé par la grandeur de la France. Onze des treize lauréats du Nobel 2009 sont américains, un record. Dans les grands hôtels de Moscou, les serveurs auraient bien tort de bouder les pourboires en dollars.»
• Revenons à Chan, qui parsème son texte d’observations qui se foutent de la doctrine TINA autant que de la stabilité de la couronne britannique – pardon, de la “monnaie-monde” – et qui développe l’évidence… Quelques extraits, sans lien direct entre eux mais avec le fil de la logique générale pour les lier.
«In fact, the lack of any alternative to the dollar as the global reserve currency does not preclude its “demise”. It simply means that the consequence would be the formation of rival currency blocs and a descent into currency and trade conflicts.
»Others, like World Bank head Robert Zoellick, recognise the dangers. In a speech in late September, Zoellick warned: “The United States would be mistaken to take for granted the dollar’s place as the world’s predominant reserve currency. Looking forward there will be increasingly other options to the dollar.” He added: “One of the legacies of this crisis may be a recognition of changed economic power relations.” […]
»According to the Independent, the US was aware of the meetings over dollar oil trading and “sure to fight this international cabal”. The article cited Beijing’s former special envoy to the Middle East, Sun Bigan, who wrote in an official journal that “bilateral quarrels and clashes [with the US] are unavoidable” over the energy interests in the Middle East. “This sounds like a dangerous prediction of a future economic war between US and China over Middle East oil—yet again turning the region’s conflicts into a battle for great power supremacy,” the Independent commented. […]
»In this context, high-level meetings about the long-term replacement of the dollar in Middle East oil trading may well have taken place, despite the subsequent denials, pointing to deepening tensions and rivalry between the major powers, particularly over vital energy supplies.»
@PAYANT Il est remarquable d’observer combien la psychologie a peu à peu absorbé le vrai sens des choses, leur sens souterrain. Cela commence à peu près en février-mars, notamment avec le choc des déclarations du directeur de la banque centrale chinoise et de l’alarme qui suivit. Puis l’incendie sembla s’étreindre, presque de lui-même, avec le G20, comme s’il y avait eu la réalisation d’une sorte de crime de lèse-majesté dans cette alarme. Le conformisme avait repris le dessus, chose inévitable avec le rassemblement de chefs d’Etat et de gouvernement réunis finalement pour restaurer un semblant d’unité – et seul le conformisme, dans nos temps troublés par l’absence complète d’audace de la pensée officielle, peut restaurer ce qui n’apparaît à terme que comme un fragile armistice.
Car le feu couvait sous la cendre de l’incendie en apparence éteint. On reparla épisodiquement du dollar, de conversations de-ci de-là, mais semble-t-il sans conséquence. Puis il y eut l’article de Robert Fisk… A quoi tiennent les choses, de la part d’un spécialiste des questions humanitaires et de répression occidentaliste au Moyen-Orient, sortant soudain des révélations sur des réunions secrètes où l’on retrouve pêle-mêle Chinois, Français, pays du Golfe, etc., pour se passer de dollars dans leurs transactions, tout cela aussitôt suivi d’une cascade de démentis, puis ces démentis aussitôt ridiculisés par un immense éclat de rire de Fisk, les marchés suivant Fisk comme un seul homme – et voilà l’incendie reparti! Aussitôt, mobilisation, avec les plus belles plumes qui, hier, promettaient l’apocalypse, trouvant soudain des vertus de longue durée au Dieu-dollar rétrogradé au grade de soldat-Dollar (notez le transfert des majuscules). Y a-t-il besoin pour cela de variations du dollar dont on sait combien elles sont manipulées ou ne suffit-il pas plutôt de s’en remettre aux seules réactions de nos psychologies exacerbées devant une affaire colossale – le diktat du dollars depuis deux-tiers de siècle – qui est en train d’exploser sous nos yeux?
Doctes et authoritative, MM. Wolf et Delhommais nous annoncent que le dollar durera encore trente ans ou jusqu’à la nuit des temps, puisque l’Amérique sera toujours la lumière de nos yeux et le feu de notre âme. Ecrire tout cela, sans faute d’orthographe ni rature, sur le radeau de la Méduse qui tangue dans la tempête de la fin de la “deuxième civilisation occidentale” montre qu’au moins il y a du savoir-faire. Pour le reste… Ces messieurs qui nous rassurent, eux, n’ont rien vu venir de la tempête en cours du dollar. Ils nous affirment donc, instruit par l’expérience de n’avoir rien vu venir, que tout se passera parfaitement, comme s’il ne fallait surtout plus craindre de tempête du dollar digne de figurer en Force 7 ou en Force 8 au passage du Cap Horn, et donc pas davantage son chavirement. Une telle dépense de docte dignité et de certitudes renouvelées mérite les palmes académiques, mais ne nous dit rien du sort du dollar.
…Car le feu mal éteint, reparti, qu’on essaie à nouveau de contenir, est en train de nous prouver de facto qu’il dépend d’un incendiaire qui n’est pas identifiable, ni de notre coterie humaine. Les hommes s’avèrent donc impuissants et à contenir la chose, et à l’expliquer, et à l’identifier. En cela, la crise du dollar est devenue eschatologique. (Pour rappel, la définition temporelle, qui nous va, du mot “eschatologie” par Roger Garaudy: «L’eschatologie ne consiste pas à dire: voilà où l’on va aboutir, mais à dire: demain peut être différent, c’est-à-dire: tout ne peut pas être réduit à ce qui existe aujourd’hui.»)
La définition une fois bien comprise, la crise du dollar devenue eschatologique signifie que nous n’avons pas aujourd’hui tous les facteurs qui vont la faire évoluer sous notre contrôle, voire même à notre connaissance. Cette crise va donc évoluer selon la force et l’orientation d’une dynamique historique qui nous dépasse et non selon les doctes remarques de MM. Wolf et Delhommais … Lorsque Mr. Delhommais, triomphant, conclut son texte triomphalement par l’énoncé de la doctrine TINA – il n’y a pas d’alternative – l’Histoire hausse les épaules avec l'aumône d'un sourire narquois et murmure : «Va jouer avec cette poussière» (ou bien avec tes palmes académiques, ce qui revient au même).
Plus prosaïquement, le trotskiste Chan répond par cette évidence: «In fact, the lack of any alternative to the dollar as the global reserve currency does not preclude its “demise”…» Ce n’est pas parce que l’homme, dans sa triomphale intelligence, n’a pas prévu d’alternative à une chose que la chose ne s’effondrera pas. Elle s’effondrera et il n’y aura pas d’alternative à sa mesure disponible; et là, on verra comment s’arranger … D’ailleurs et comme si la messe était dite, on commence à s’arranger puisque le monde bourdonne de négociations secrètes dans tous les coins; qui s’étonnera si, demain, Français et Chinois décident, avec l’accord des Russes, de ne plus payer le gaz russe en dollars, si Airbus vend ses avions aux Chinois ou aux pays du Golfe en une tout autre monnaie que le dollar, ou si Français et Brésiliens s’arrangeant pour la vente du Rafale, décident de régler ça en monnaies qui leur sont propres plutôt qu’en dollar, et ainsi de suite…
Le fait est, simplement, que le dollar a échappé à ses créateurs et, du coup, est en train de perdre toute la capacité d’emprise qu’il avait sur ceux qui étaient ainsi réduits à être les créatures de ces créateurs. L’incendie s’étend et ne permet plus qu’on l’éteigne même s’il a des périodes d’apaisement. Il n’y a ni complot ni grand dessein, mais le désordre qui gagne, comme c’est chaque fois le cas lorsque l’Histoire se débarrasse d’une dictature devenue insupportable parce qu’illégitime, qui expose son caractère d’escroquerie et de piraterie à la lumière de la crise déchaînée.
La fin du dollar est dans nos têtes, inscrite dans nos psychologies, autant que l’effondrement d’une façon ou l’autre de l’artefact monstrueux qu’est le système américaniste, principal facteur qui empêche de tenter de rétablir un ordre dans les relations internationales. Ce constat est l’équivalent de l’incendie qu’on n’arrive plus à éteindre, qui craque, gronde, qui semble s’éteindre, qui couve sous la cendre, qui repart de plus belle.
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