Le don d’armement comme outil d’influence

Les Russes entendent offrir au Liban dix chasseurs Mokoyan et Gourevitch MiG-29 Fulcrum, qui seront prélevés sur les réserves des forces aériennes russes. La démarche russe est justifiée par l’objectif de renforcer l’armée libanaise, comme facteur de stabilité du pays, et donc de la région. (La force aérienne libanaise possède actuellement un effectif ridicule de 5 Hawker Hunter britanniques des années 1950 et de 16 hélicoptères. Le don russe va décupler, pour le moins, la puissance aérienne libanaise.)

Bien entendu, il est écrit qu’Israël et les USA devraient s’alarmer sans tarder de cette initiative, puisque n’importe quelle souris faisant mine de rugir dans la région provoque des vapeurs diverses dans les états-majors américanistes et assimilés. C’est bien le cas, puisque les premiers échos et rumeurs montrent effectivement une appréciation assez alarmiste d’experts israéliens et US, dans une première réaction officieuse à l’annonce du transfert d’avions de combat russes.

Le Times de ce 18 décembre nous donnent des détails sur cette initiative russe.

«The MiG29 Fulcrum fighters would be provided free to Lebanon under an agreement on military-technical assistance, the head of Russia’s defence cooperation service said. Mikhail Dmitryev said that the jets would come from Russia’s existing stock.

»He said that Moscow was also in talks to supply Beirut with heavy armour, adding that supplies of such weaponry were “now possible after the situation in this nation has stabilised”. He said: “We view the Lebanese army as the main guarantor of this nation’s stability, therefore the armed forces of this country must be strengthened.” The deal followed a meeting in Moscow between Anatoly Serdyukov, the Defence Minister, and Elias Murrhis, his Lebanese counterpart. Mr Serdyukov said that Russia had received a detailed list of armaments sought by Lebanon.

»When details of the deal emerged on Tuesday it was suggested that the aircraft would be sold at a discount. Mr Dmitryev confirmed yesterday however that they would be free, with delivery paid by the Russian Defence Ministry. He said: “Military-technical assistance, this means assistance in budgetary funds.”

»The MiG29s, one of Russia’s best fighter jets, will provide considerable additional firepower for the Lebanese air force, which currently has only five outdated Hawker Hunter jets and 16 helicopters.

»The gift is certain to strengthen Russian influence in the Middle East as Moscow seeks to restore a position that was lost with the collapse of the Soviet Union. The agreement is likely to prompt concern in Israel and the United States, given the continuing power and influence of the Islamic militant group Hezbollah in Lebanon. Ria-Novosti news agency reported that Lebanese officials were also seeking tanks, antitank rockets, air defence systems and helicopters.»

La manoeuvre est habile et presque vertueuse, – sauf pour les souffrances que l’emploi d’un tel terme pour qualifier une livraison de systèmes d’arme ne manqueront pas de provoquer chez quelques âmes effectivement vertueuses. Les Russes font un petit effort budgétaire, sans doute assez modique pour des avions venant de leurs stocks, en échange de quoi ils assurent une nouvelle position privilégiée auprès des Libanais (avec la possibilité de ventes à venir); ils affirment hautement leur participation à une stabilisation de la région, et nul ne peut les démentir fondamentalement puisque tout le monde avance depuis longtemps que le renforcement de l’Etat central libanais dans toutes ses prérogatives, particulièrement militaires, est un facteur essentiel de la stabilisation par l’affirmation de la souveraineté libanaise contre toutes les ingérences étrangères; enfin, ils renforcent leur influence politique et leur position de puissance capable de soutenir militairement de façon sérieuse, du point de vue de l’équipement, les pays de la région qui ont besoin d’un tel soutien.

La manoeuvre est habile et, surtout, elle permet de situer à leur vraie valeur et à leur vraie signification l’importance et la signification des exportations de systèmes d’arme, particulièrement et précisément ces systèmes de haut niveau que sont les avions de combat, qui intègrent ce qu’on nomme les “technologies de souveraineté”. On conviendra aisément que ce qui importe dans ce cas, ce n’est certainement pas le supplément de puissance que les dix MiG-29 apportent au Liban, malgré les cris effarouchés et intéressés, et à venir dans doute assez rapidement, des Israéliens et des experts américanistes. Même avec ses dix MiG, la force aérienne libanaise représente évidemment une force négligeable et opérationnellement inexistante par rapport aux forces aériennes qui comptent dans la région. Par compte, le symbole de cette modernisation est important, ainsi que le poids politique de l’intervention russe. L’absence de transaction commerciale a l’avantage de dépouiller le cas de toute considération économique et de bien fixer l’appréciation. L’exportation de systèmes d’arme de haute technologie implique d’abord une forte signification politique, une politique affirmée d’influence, voire, pour les pays exportateurs les plus dégagés de pesanteurs idéologiques (la Russie et la France essentiellement), une politique de renforcement du principe de la souveraineté nationale, par le biais du renforcement de la sécurité nationale de l’acheteur ou du récipiendaire.

Quoi qu’il en soit, avec cet acte, la Russie prend la voie de devenir un acteur qui compte dans la situation politique du coeur le plus sensible de la crise du Moyen-Orient. Quant à la pratique du don, les Russes ne font que suivre les Américains qui font cela de manière bien plus systématique et avec la dose d’hypocrisie qui importe, notamment en vendant (en imposant) leurs armements à des pays à qui ils donnent une aide militaire conséquente, comme Israël et l’Egypte par exemple. (Mais, dans ce cas, le processus est assorti d'une condition impérative de s'aligner idéologiquement et stratégiquement sur les intérêts US.) Cette même pratique, certains autres pays devraient la prendre à leur compte au moins de manière ponctuelle, pour renforcer autant leur politique générale que leur position d’influence, en générant éventuellement des ventes à l’exportation qui, à leur tour, renforceraient leur politique d’influence.

Mis en ligne le 18 décembre 2008 à 16H55