Le doute naît

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Le doute naît


2 novembre 2002 — Plusieurs articles signalent un changement d'état d'esprit aux États-Unis, la réalisation que la perspective d'une guerre contre l'Irak est loin d'être acquise, que les États-Unis rencontrent des obstacles imprévus, que la résolution américaine elle-même, si elle ne vacille pas (encore), perd de sa force et de son ardeur.

Citons quelques-uns de ces articles :

• L'article de Jim Hoagland, dans l'International Herald Tribune du 1er novembre, dont le titre est : « The limits of war rhetoric ». Avec ce qu'on pourrait prendre pour une humeur maussade, Hoagland nous confie :


« Words are ''the money of fools,'' Thomas Hobbes claimed. The English philosopher risks being proved right by the prolonged semantic haggling on Iraq at the United Nations. Such posturing in the Security Council adds to a growing global confusion over the nature of power and the source of legitimacy in the international system today. »


• L'article de David Ignatius, dans l'IHT du 2 novembre, est encore plus explicite dans la forme, avec son titre notamment : « Bush's biggest problem is doubt in the ranks ». Quant à ces “doutes”, Ignatius n'apporte rien de vraiment nouveau, mais il fait cette remarque sans aucun doute très intéressante :


« Six months ago, when analysts such as Robert Kagan were celebrating America's cult of military strength, the common view was that the Europeans were powerless to stop Washington. It turns out that's not exactly true. The Europeans are discovering that they can use institutions such as the United Nations as a brake against what they consider America's “hyper-power.” »


• Salman Rushdie, qui semble avoir fait de l'ardeur guerrière une vertu libérale, écrit un article où il nous rappelle qu'il y a bien des arguments, du côté des libéraux, pour vouloir la guerre. On le savait, et on le sait encore mieux. Le plus intéressant dans cet article est certes qu'il semble avoir été écrit dans l'urgence, pour tenter de freiner de que Rushdie semble apprécier comme une montée bien malheureuse du mouvement anti-guerre : « Just in case it had slipped your memory — and as the antiwar protests grow in size and volume, it easily might have — there is a strong, even unanswerable case for a ''regime change'' in Iraq. »

• Enfin, on notera que des articles de signatures moins prestigieuses commencent à évoquer l'idée qu'après tout, l'administration GW pourrait avoir choisi la voie de s'en remettre au système des inspections et du désarmement de l'Irak “en douceur”. On citera l'article du Baltimore Sun du 1er novembre, avec son titre qui expose déjà pas mal d'une stratégie médiatique et virtualiste de substitution à la guerre à outrance (« Bush shifting strategy on Iraq — U.N. inspections route could stall showdown, gain military allies later; Basic policy unchanged, some say »). Les deux premiers paragraphes confirment cette même stratégie : il s'agirait de dire qu'on ne fait plus la guerre automatiquement mais qu'on laisserait faire les inspections ; il s'agirait de dire également que c'est habile puisque cela suscite des satisfactions et des félicitations d'alliés auparavant récalcitrants ; il s'agirait enfin de dire que la guerre est toujours possible et que l'on n'a absolument pas changé de politique ...


« In just two months, the Bush administration has gone from almost exclusively making the case for preemptive military action to topple Saddam Hussein to pursuing a broader strategy of disarming the Iraqi regime, backed by the threat of force, that could put off a war for months, perhaps indefinitely.

» By deciding to work through the United Nations Security Council, President Bush has won a measure of international praise that could yield more military allies for the United States if a war becomes the only way of destroying Iraq's nuclear, chemical and biological weapons programs and long-range missiles. »


Voilà posées et exposées ce qui semblerait être l'amorce d'un changement de l'orientation de Washington. On en saura plus après les élections de mardi (et, peut-être leurs résultats auront-il une influence sur l'évolution de cette politique). En attendant, quelques remarques :

• A Washington, on commence à mesurer les effets du désastre qu'a été, pour la politique américaine, la “campagne onusienne”.

• Certains commencent à envisager d'en tirer les conséquences qui, peu ou prou, se résument à l'acceptation de cette nouvelle réalité : les USA ne sont pas tout-puissants dans le monde d'aujourd'hui il leur faut limiter leurs ambitions.

• Cela ne clôt rien en fait de décision. On n'a pas encore vu la réaction des faucons et autres super-faucons. Croire qu'ils accepteront ce revers est irréaliste et déraisonnable.

• Ce qui est à prévoir n'est nullement un réalignement US, toute honte bue, acceptant la limitation de la politique américaine, mais plutôt un désordre accru à Washington, une guerre bureaucratique multipliée.

• Même si l'évolution dont on voit les premiers signes ici se confirme, la perspective de la guerre n'est pas du tout écartée, et l'on serait même tentés d'écrire, pour certaines situations : au contraire. S'il est placé devant cette nouvelle situation, le “parti de la guerre” va encore se radicaliser et réclamer la guerre comme seule sauvegarde de la puissance américaine, — et cet argument ne sera pas sans écho..