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515Au mois de septembre, le séminaire de l’Air Force Association fut marqué par une sortie terrible du général Bogdan, de l’USAF et nouveau directeur du JSF Program Office du Pentagone, contre le JSF (voir le 20 septembre 2012). Diverses autres interventions et précisions passèrent inaperçue à cause de cette sensation du général Bogdan, bien qu’elles concernassent des projets importants de modernisation de la flotte actuelle des F-15 de l’USAF. Le 1er octobre, un éditorial d’Aviation Week & Space Technology apparaissait comme développant l’hypothèse d’un processus discret (stealthy) de remplacement du JSF/F-35 par la modernisation de l’actuelle flotte de l’USAF se référant effectivement, in fine, à ces projets de modernisation des avions en service en plus de l’adjonction de nouveaux exemplaires de ces vieux modèles. Le texte n’eut aucun écho, ce qui signifiait qu’il était notablement important mais qu’il proposait implicitement une issue particulièrement inenvisageable, du moins du point de vue de la communication publique et des exigences de la bureaucratie de la défense, bref du Système en général : l’abandon du JSF.
…Nous écrivions dans ce sens, dans notre texte du 10 octobre 2012 de commentaire sur l’éditorial d’Aviation Weeek, confirmant ce que nous écrivions précédemment après la “sortie” furieuse du général Bogdan (20 septembre 2012) : «…Et nous pensons que la manœuvre est loin d’être réussie, qu’elle est même désespérée. Paradoxalement, la proposition d’abandon de facto du JSF, elle, n’est pas la solution du désespoir (sinon de leur désespoir, ce qui est leur affaire) mais la solution optimiste de sauvegarde de la puissance technologique US. Si le Pentagone parvient à tuer le JSF, il s’en tire au mieux qu’il peut dans les circonstances chaotiques présentes… Rien n’est moins sûr à cet égard. Il n’est absolument pas assuré que le Pentagone parvienne à éliminer le programme JSF. A cause des forces diverses en action, notamment des systèmes du technologisme et de la communication, à cause de sa propre dynamique et de ses caractères si extraordinaires, le programme JSF est devenue une entité (une égrégore ?!) d’autodestruction extrêmement vivante, qui a ses intentions et sa volonté, qui n’entend absolument pas accepter la restriction, encore moins l’abandon, qui fait bien plus que survivre dans son développement catastrophique, qui est en mode de surpuissance transformé parallèlement à mesure de sa production de lui-même en dynamique d’autodestruction, et cette entité qui entend aller jusqu’au bout d’elle-même. Le JSF continue à se proclamer comme le plus grand et le seul programme du XXIème siècle, et entend aller jusqu’au bout de lui-même. Le Système, – il vient de nous l'avouer avec cet édito d'AW&ST, – est placé devant un monstre qu’il a créé, un Frankenstein du technologisme et de la communication, qui a toutes les chances de l’emporter (lui, le Système) dans sa chute.»
Plus récemment, des sources au Congrès ont indiqué que d’importants projets de modernisation des avions de l’USAF actuellement en service étaient effectivement actuellement en cours d’élaboration. L’allusion concerne notamment le F-15, l’avion de combat de grandes capacités standard de l’USAF, et une référence est faite, notamment, à un article du Aerospace Daily & Defense Report (publication du même groupe que AW&ST), le 25 septembre 2012
«“About two and a half years ago, the U.S. Air Force wanted fatigue tests on C models,” says Brad Jones, F-15 mission systems director for Boeing, which makes the aircraft. […]
»The design service life for the aircraft is 8,000 flight hours and the lead-the-fleet aircraft have flown more than 10,000 actual flight hours and counting, Boeing says. Boeing is now working on full-scale fatigue test certifications to push F-15C/D models to 18,000 equivalent flight hours (EFHs) and F-15E models to 32,000 EHFs. “Structural fatigue improvements in current-production F-15s provide longer life and reduced maintenance requirements,” Boeing says. “We do not have an end date for the F-15,” Jones says. Indeed, he says, there are several programs to make U.S. and international models better with age…»
Le texte détaille ensuite les différents domaines de refonte du F-15, concernant aussi bien la structure de l’avion que ses équipements opérationnels (radar, électronique dans le sens le plus large, etc.). Il s’agit de comprendre que ces projets, portant sur des avions dont la vie opérationnelle atteint déjà 15 à 30 ans selon les modèles, et qui se réfère à un total de 8.000-10.000 heures de vol pour ces durées opérationnelles maximales (30 ans et un peu plus), impliquent une durée de vie doublée sinon presque triplée (vie opérationnelle portée à une fourchette située entre 18.000 et 32.000 heures de vol au lieu des 8.000-10.000 initiales). Cela implique qu’on envisage des programmes pouvant prolonger la vie pour l’instant conceptuelle des F-15 (référence théorique, mais qui est la référence de la planification), dans les cas les plus extrêmes, jusqu’à 2050-2070. (L’appréciation, encore plus théorique, impliquant que de nouvelles opérations de modernisation sont tout à fait envisageables, porte même sur la perspective symbolique sinon mythique de l’indéfini : «We do not have an end date for the F-15…», dit Boeing. On s’abstiendra pour l’instant de parler de l’“infini”, avec toutes les implications que cela suppose, y compris les plus philosophiques, y compris les plus éventuellement critiquables quant à l’état d’esprit que cela suppose également…)
La question du coût de ces opérations n’est pas abordée dans le texte cité. Notre appréciation est que ce coût serait (sera) élevé, sinon très élevé, pouvant très largement atteindre et dépasser le coût de l’avion à moderniser lorsqu’il fut acheté. C’est un cas désormais classique : les différentes modernisations apportées au B-52, conçu et produit dans les années 1953-62 pour une durée implicite de vie opérationnelle de 20-25 ans alors que l’avion approche actuellement une durée de vie opérationnelle des deux tiers de siècle pour les exemplaires conservés, atteignent des montants non précisément évalués mais qui sont certainement autour de trois fois et plus le coût initial de fabrication. Bien sûr, il s’agit de dollars incomparables en valeur relative, mais il n’existe aucune méthode réelle d’ajustement parce qu’il est impossible de déterminer les parts respectives de l’inflation “naturelle” et de l’inflation due au caractère incontrôlable de l’augmentation des coûts de la technologie, due également aux facteurs bureaucratiques, de gaspillages, etc. Il reste que le coût actuel “réel” fait partie d’un budget général actuel également “réel”, et limité dans des temps de crise budgétaire catastrophique. Dans le cas des F-15, il nous semble évident que le coût des opérations de modernisation envisagées va au moins équivaloir, et sans doute dépasser le coût actuel de F-15 neufs des modèles envisagés, peut-même y compris le coût du modèle complètement modifié que propose Boeing (F-15SE Silent Eagle). Dans ce cas hypothétique, pourquoi l’USAF n’achèterait-elle pas simplement de nouveaux F-15 ? Pour poursuivre l’hypothèse, nous estimons que la raison est de pure politique, et d’une sorte de “complot” contre la domination des systèmes en place : un achat de nouveaux F-15 (pour ce cas) signalerait que l’USAF est clairement sur la voie de l’abandon du JSF. L’on verrait alors toutes les circonstances de freinage et d’antagonisme évoqués plus haut, au nom d’arguments divers dont certains sont de pure communication, dont certains sont de pur symbolisme, dont certains sont de pure affectivité et ainsi de suite, émanant du “système” implicite auto-organisé de protection du JSF dont les composants se trouvent répandus dans tous les compartiments du Pentagone (y compris dans cette même USAF, ce qui implique pour le sapiens une contradiction issue de sa dépendance du Système et de la Matière)… Nous parlons effectivement en termes de systèmes non-humains, auto-organisés sous l’impulsion du Système en général, non organisés ni contrôlés par le sapiens, comme nous faisons de façon régulière avec le JSF, le Pentagone, etc., dans le cadre du technologisme et de la communication.
Pour nous, il ne fait aucun doute que l’opération de “remplacement” du JSF est programmée (mais non encore engagée) au sein de son principal acheteur, de son “parrain”, qu’est l’USAF. Il ne fait aucun doute que cette opération se fait sous forme d’un “complot” contre les impératifs du Système en faveur du JSF mais qu’elle va rapidement se heurter à l’obstacle budgétaire (comment financer à la fois le JSF, même si cet avion ne sert à rien et ne débouchera sur rien, et la modernisation des F-15 et de la flotte USAF en général). Il ne fait aucun doute que le “complot” sera ainsi mis à jour avant qu’il aboutisse au vœu secret de l’USAF (abandon de facto du JSF par manque de budget, en plus de l’incapacité de fonctionnement de l’avion, alors que l’option “modernisation du F-15” aura éventuellement montré ses vertus). Il ne fait aucun doute qu’il y aura alors une bataille terrible, avec toute la puissance de communication des mythes qui soutiennent le JSF (nécessité du Progrès dans le technologisme pour soutenir l’image de puissance de l’USAF et des USA). Il ne fait aucun doute que l’enjeu est simplement la survie de l’USAF dans sa forme actuelle de porte-drapeau d’une puissance aérienne supérieure à toute autre.
Compte tenu de la crise générale en cours affectant le Système dans sa phase d’autodestruction, ces péripéties sont pour les prochaines années et les chances de “vaincre” le JSF sont toujours aussi minces. Dans tous les cas, tout cela confirme que l’industrie aérospatiale d’armement est bien à un tournant fondamental de son histoire, avec la question posée de la pertinence de la poursuite du Progrès tel qu’on le connaît et qui aboutit désormais à des “monstres” catastrophiques comme le JSF. (Notre conviction est que l’alternative du développement des drone, séduisante et développée à fond pour l’instant, va se heurter aux mêmes obstacles qui concernent le technologisme en général, et par conséquent les drones comme le reste. La crise est naturellement générale et rien n’est épargné.)
Mis en ligne le 24 octobre 2012 à 05H55
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