Le F-22, signe annonciateur d’un “Congrès introuvable”?

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C’est comme une réponse du berger à la bergère… Vingt-quatre heures après le message très ferme appuyé sur une menace de veto de l’administration Obama, le Congrès, – Chambre et Sénat chacun de son côté et chacun à sa façon, – a montré qu’il passait outre. Chacune à un stade différent, les deux chambres ont effectivement avancé dans ce sens. (Voir notamment AFP du 25 juin 2009.)

Jeudi, la Chambre a voté (389 voix contre 22) sa propre version de la loi de finance du budget du Pentagone pour l’année FY2010 en inscrivant en toutes lettres et d’une façon insolente que les dispositions désormais causes d’un éventuel veto du président Obama (une production supplémentaire de F-22 et le deuxième moteur F136 pour le JSF avec un ralentissement de la production de l’avion) étaient conservées en l’état. Le même jour, la Commission des Forces Armées du Sénat a finalisé le projet de loi budgétaire du Pentagone (qui reste à être voté par le Sénat dans sa totalité), qui inclut une production supplémentaire de sept F-22 Raptor et soutient le développement du F136.

Le Daily Report de l’Air Force Association, du 26 juin 2009, présente de cette façon le sort du F-22 dans les deux chambres:

«In marking up its version of the 2010 defense policy bill Thursday, the Senate Armed Services Committee added funding for seven more F-22 Raptors. Sen. Saxby Chambliss (R-Ga.), a leading F-22 proponent, said in a June 25 statement: “I am pleased that a majority of my colleagues chose to support my initiative to fund these aircraft. Our debate and vote took place with full awareness of the Administration’s veto threat, and the result of the vote speaks for itself.” House defense authorizers also voted to boost Raptor numbers, adding money for another 12 to their committee report on the defense bill. Rep. Neil Abercrombie (D-Hawaii), chairman of the House Armed Services air and land panel, speculated that Congress will up the number to 20 new aircraft. And, Rep. John Murtha (D-Pa.), chairman of the appropriations defense panel, said Wednesday he believes there will be a compromise that puts more Raptors in production.»

Dans la même édition, le Daily Report rapporte des déclarations du Représentant John Murtha sur l’exportation éventuelle du F-22 Raptor vers le Japon, autre disposition qui ne plaît pas du tout à Gates (notamment parce qu’elle renforce la survie de cet avion de combat). Une disposition très ferme est introduite dans la loi de finance du Pentagone de la Chambre, recommandant à ce même Pentagone d’explorer avec vigueur la possibilité d’exporter le F-22 vers le Japon. Il est très probable que le Sénat, où le tout puissant sénateur Inouye est un ferme partisan de cette idée, acceptera cette disposition dans la version finale de la loi budgétaire qui sera ensuite (en octobre) envoyée au président, pour qu’il la signe, – ou y oppose son veto…

«John Murtha (D-Pa.) Wednesday said the idea of letting Japan buy the F-22 is attractive, because “if you want to prevent [a war], you have to have the equipment in place so that somebody doesn’t miscalculate.” The chairman of the House Appropriations defense subcommittee said China is a certain future competitor with the US for energy and other raw materials, and in that region, “there should be somebody else besides us” with F-22s. However, Murtha thinks it will be very expensive to render the F-22 suitable for export by reducing some of its capabilities, and the bill may be too high for Japan. An amendment bearing the name of David Obey (D-Wisc.) bans the foreign sale of the F-22, but Murtha told reporters that he and Obey will meet to discuss it. “He’s willing to listen,” Murtha said. If there is a production gap before more can be built for Japan, “one thing for sure, you’re going to lose all the skills you have if you go three years without building an F-22.” Such a slip, and the consequent need to reopen the line, may make the cost prohibitive. “If we don’t continue [the F-22], I don’t see any way the Japanese could come up with enough money that they could buy it.”»

Ces divers événements commencent à apporter un début de réponse aux questions que nous posions le 25 juin 2009. En l’occurrence, c’est Neil Abercrombie, le président de la sous-commission des forces aériennes et terrestres, qui a raison, lorsqu’il parle d’une très forte majorité en faveur des dispositions qu’il a introduites dans la loi, et qui font l’objet de menaces de veto. Le Congrès est dans un état d’esprit extrêmement offensif, nullement impressionné par les avertissements de l’administration, y compris de la Maison-Blanche elle-même. Quand nous disons le Congrès, il s’agit également du Sénat. La décision de la Commission des Forces Armées de recommander la production de sept F-22 de plus, qui va dans le sens de la position de la Chambre, a été prise contre l’avis de ses deux leaders, le président de la commission (le démocrate Carl Levin) et le président de la minorité républicaine à la commission (John McCain). Tous deux, qui sont proches de Gates, qui ont travaillé avec lui sur son projet de budget et soutiennent ses réformes, étaient contre le F-22. Ils ont été désavoués par leur commission. Cela mesure le climat, au même titre que la majorité massive (389 voix contre 22) du vote de la Chambre en faveur du projet de budget du Pentagone.

La conclusion assez probable est qu’il y aura, dans la loi budgétaire finale du Congrès, des F-22 supplémentaires et la poursuite du développement du moteur F136 pour le JSF, c’est-à-dire deux des cas pour lesquels la Maison-Blanche a annoncé qu’elle mettrait son veto. Pour l’instant, on peut observer qu’on va vers un affrontement. D’une façon plus générale, on observe que cette affaire, représentant des postes si mineurs en volume d’argent mais symboliquement et stratégiquement très importants, place les programmes F-22 et JSF au cœur de la vie politique de Washington et des grandes affaires en cours, – avec la réforme du Pentagone en bandoulière.

En tout état de cause, il semble que le Congrès commence à manifester une belle alacrité par rapport au pouvoir exécutif. Dans ce cas, il faut moins retenir le sujet de la discorde que sa forme; la querelle est moins politique qu’institutionnelle. On n’a pas un exécutif qui veut réduire la production d’armements et un Congrès qui veut la poursuivre (F-22), mais un désaccord sur une analyse concernant la question des avions de combat. (Si le Congrès veut poursuivre le F-22 et l’administration l’interrompre, par contre le Congrès préférerait freiner le JSF tandis que le gouvernement veut aller le plus vite possible.) Ce qui est le plus important ici, c’est que le Congrès semble retrouver l’autonomie de sa position, comme il l’avait avant 9/11, avant cette période de mobilisation au nom de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” type Bush-Cheney. (Le plus remarquable dans les nouvelles signalées aujourd’hui, c’est la “mise en minorité” des deux chefs de la Commission des Forces Armées, Levin et McCain, sur la question du F-22. Dans un système parlementaire très formaté qui fonctionne selon une logique hiérarchique stricte à l’intérieur des partis, c’est un fait très inhabituel et très remarquable.) En ce sens, l’état d’esprit manifestée dans cette affaire du F-22 rejoint celui qu’on signalait le 26 juin 2009 concernant l’état d’esprit par rapport aux guerres extérieures. L’administration Obama, qui pouvait juger avoir son “Congrès introuvable” avec une majorité absolue à la Chambre et au Sénat, pourrait effectivement l’avoir dans le sens où cette qualification de Louis XVIII pour la Chambre élue après son accession au trône, qui lui donnait effectivement une majorité exceptionnelle, devait se révéler finalement très ironique avec une Chambre se révélant très rétive. Ce Congrès très fortement démocrate, très sûr de lui pour la prépondérance démocrate des affaires, pourrait désormais se battre pour réaffirmer sa position dans l’équilibre des pouvoirs radicalement réduite durant les années Bush. (Dans ce cas, les républicains seront trop heureux de donner un coup de main à la majorité démocrate...) Le Congrès pourrait donner bien du fil à retordre à l’administration Obama et provoquer des affrontements sévères, d'autant que des personnalités comme Obama et Gates ne sont pas du genre à céder aisément. La question du Pentagone sera un champ d’expérimentation privilégié à cet égard.


Mis en ligne le 27 juin 2009 à 11H43