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31 mars 2004 — Le scénario du développement des avions de combat américains (F/A-22 et JSF) se poursuit comme l’on pouvait prévoir en-dehors des thèses conformistes qui sont répandues par l’appareil virtualiste américain et par ses relais européens. Deux points se précisent désormais :
• Les deux programmes, confrontés à des difficultés grandissantes, tant techniques que budgétaires, deviennent de plus en plus concurrents. La théorie opérationnelle idyllique de l’origine (JSF complément “bas de gamme” du F/A-22) le cède aux réalités de plus en plus pressantes, essentiellement budgétaires pour ce cas.
• Le Congrès s’est emparé de cette affaire, pour imposer aux deux programmes une revue critique et pour faire officiellement naître la menace de choix nécessaires. Obligé de soutenir sans broncher l’effort militaire, le Congrès cherche à se singulariser et à rappeler qu’il existe, pour ainsi réaffirmer une vertu mise à rude épreuve par son suivisme d’une administration de plus en plus discréditée. Il ne dispose pour cela que d’un seul rôle : celui du gardien sourcilleux à la fois de l’économie des mesures prises par l’exécutif pour la sécurité du pays, à la fois du mythe du “dollar du contribuable” qui continue à exister (le mythe plus que le dollar) dans l’avalanche folle des dépenses militaires. L’application de cette résolution vertueuse du Congrès se trouve dans l’examen approfondi et sourcilleux des produits des dépenses militaires. Les programmes de modernisation aérienne tactique font idéalement l’affaire ; on sait depuis longtemps que les dépenses considérables qu’ils nécessitent ne pourront trouver leur place dans la programmation budgétaire à venir, — et de moins en moins dans le cadre de la “guerre contre la terreur” qui fait naître partout des dépenses imprévues et considérables.
Le 25 mars, Defense News rapportait ceci, qui confirme ce climat parlementaire qu’on a tenté de décrire :
« “The time has come for us to be tough about the way we’re spending money on programs that we can’t see the ability to fund in the out years,” Rep. Curt Weldon, R-Pa., chairman of the House Armed Services Committee’s tactical air and land forces subcommittee, said during a March 25 hearing. “That may sound harsh, but that’s the reality of where we are.”
(...)
» “You have to understand that we are going to look at these programs in a very careful and a very intense way,” said Weldon. “We will take no exceptions.” »
Les premières auditions, qui concernaient des personnalités du DoD interrogées sur les programmes F/A-22 et JSF, ont montré quelques faits confirmant complètement l’antagonisme entre ces deux programmes.
• Le soutien au programme F/A-22 s’affirme et se confirme. Le DoD, qui vient de prendre une décision dont la signification est qu’il déclare officiellement qu’il soutiendra le F/A-22 coûte que coûte, a trouvé une oreille plutôt favorable au Congrès. (Par exemple, cette observation de l’Atlanta Journal Constitution du 26 mars : « A day before the House hearing, an influential senator voiced strong support for the Raptor. Sen. Ted Stevens (R-Alaska), who is chairman of the powerful Senate Appropriations Committee, noted that the panel had “saved” several other craft. “And as far as I'm concerned,” Stevens added, “we're going to save the F-22.” »)
• Le F/A-22 se confirme comme un programme indestructible, quel que soit son état réel (qui est épouvantable), parce qu’il représente la quintessence de l’image de la puissance US. Son inutilité avérée autant que les énormes difficultés qu’il rencontre et qui ne seront sans doute pas résolues, ne sont rien à côté de son statut de représentant exclusif de cette image de la gloire nationale passant par la technologie avancée.
• Le programme JSF bénéficie d’un soutien de principe qui tend à s’effacer discrètement (stealthily ? à mesure que l’on pose la question en termes plus concrets. Tout le monde salue le programme, sa qualité, son ambition, etc, mais face au F/A-22 il sera toujours considéré de façon désavantageuse.
Tous les arguments sont présentés pour expliquer cette position et la faire apparaître pour n’être en aucun cas un abandon volontaire du JSF. Exemplaire à cet égard est cet échange entre le chef des acquisitions du Pentagone Marvin R. Sambur et le député Weldon, tel qu’il est rapporté par AFP. On vient de demander à Sambur quel choix il ferait s’il devait y avoir un choix à faire.
« “The F/A-22 is a reality … it is not, to use an expression, a viewgraph presentation,” said Dr. Marvin R. Sambur, assistant secretary of the Air Force for acquisition. “The F/A-22 is here, but we’re not pulling away from our commitment to the JSF.”
» Representative Weldon said the service might not have a choice. “If financial pressure in tactical aviation continues to grow the way it has, something’s got to give,” he said. “The most likely candidate, if you look at political pressure, will be something that doesn’t exist yet.” »
A ce moment, on se tourne vers un militaire, le lieutenant général Ronald E. Keys, adjoint au chef de l’état-major de l’USAF pour les opérations aériennes et spatiales, et celui-ci répond à propos de la question de savoir si l’USAF peut se passer du JSF : « If we can’t build it, we’re not going to buy it. »
Toute cette rhétorique doucereuse et extraordinairement attentive à éviter la moindre précision significative (le JSF est désigné comme « [t]he most likely candidate » à l’abandon parce que c’est « something that doesn’t exist yet ») apparaît finalement implacable pour le JSF et elle est finalement significative. Personne ne veut prendre de responsabilités, tout le monde s’emploie à ne pas évoquer l’hypothèse de l’abandon en termes spécifiques propres au JSF. Chacun s’emploie à déplorer l’inévitable destin qui attend probablement le JSF si les conditions budgétaires devaient se confirmer comme elles semblent désormais inéluctables. Personne ne se mettra sur son chemin pour l’arrêter.
Ces auditions montrent que le JSF est entré dans la réalité de la bataille bureaucratique et politicienne. Pas une fois, lors de ces auditions, n’a été mentionné comme un argument acceptable le fait que le JSF soit un programme international impliquant une dizaine de pays alliés. Cet argument n’en est pas un lorsqu’on débat de sécurité nationale. Le JSF est destiné désormais au rôle de “complément” budgétaire du F/A-22 (tout l’argent dont le F/A-22 aura besoin sera pris dans la programmation du JSF), de faire-valoir du F/A-22, voire de bouc-émissaire. La “vraie vie” du JSF a commencé, elle se fera à l’ombre du F/A-22, elle sera un véritable martyre que les contributeurs étrangers suivront avec une angoisse sans faille, sans avoir un seul mot à dire.