Le facteur catholique et l’exemple de Michael Moore

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Le facteur catholique et l’exemple de Michael Moore

Un point important de la bataille générale des forces structurantes contre les forces déstructurantes est la position du monde catholique, notamment dans l’orientation de sa hiérarchie, notamment par rapport à la question du capitalisme déstructurant. L’exemple de Michael Moore, fameux par ses documentaires antisystème et qui triomphe aux USA avec son Capitalism: a Love Story, est intéressant. Moore est l’archétype du dissident US anti-capitaliste, évidemment étiqueté “gauchiste” par ses adversaires, et instinctivement identifié comme adversaire des structures religieuses, surtout catholiques, parce que le classement naturel des conformismes idéologiques hérités d’autres temps (modernité du postmodernisme de salon, sans nul doute) désigne l’Eglise comme une “force de la réaction”.

Un article de The Observer du 11 octobre 2009 présente un aspect intéressant de Michael Moore – catholique, pratiquant, et ne cachant pas qu’à son sens l’Eglise est potentiellement une puissante force anti-capitaliste. C’est en effet un des aspects les plus intéressants de son film Capitalism : a Love Story – l’affirmation que le capitalisme est fondamentalement anti-chrétien – ce qui ne manque pas de placer la droite ultra-chrétienne et ultra anti-Moore dans une position inédite…

«Rightwing critics of controversial film-maker Michael Moore call him many things: a socialist, a hypocrite, unpatriotic – and they even make unkind remarks about his weight.

»But, with his new anti-capitalist film showing on US movie screens last week, Moore has unveiled an unexpected trump card against conservatives who so vociferously attack him: Christianity. Moore is a practising Catholic and has put religion at the core of Capitalism: A Love Story. Alongside the political arguments about inequality, Wall Street corruption and the failures of George W Bush, Moore argues that capitalism is also fundamentally unchristian.

»In the film he interviews several Catholic priests, who explain their belief that capitalism and the free market, by emphasising greed and the self over community, go against the Bible's basic tenets. One priest, Dick Preston, tells Moore: "Capitalism is evil, immoral and contrary to the teachings of Jesus." Moore also describes his own Catholic upbringing and includes a skit where free-market slogans are dubbed inappropriately – and hilariously – over scenes from a movie of Jesus's life.

»The tactic appears to have unnerved many on America's right wing, who are used to attacking Moore as a symbol of leftwing secularism. On a recent TV appearance on cable channel Fox News, Moore was interviewed by rightwing host Sean Hannity. Moore surprised Hannity by identifying himself primarily as a Christian, not a socialist. He then turned the tables and asked Hannity when he himself had last been to church and what the subject of the sermon had been. The exchange left Hannity unable to answer and was an instant hit across the liberal blogosphere.»

@PAYANT C’est là un aspect intéressant de la situation présente, résumée en un homme dont il n’est pas sûr qu’il mesure toute la portée de ses convictions et de ses confidences. Nous estimons depuis longtemps que l’Eglise a pour destinée d’être une force structurante contre la marée déstructurante de la postmodernité aux abois et devenue folle de la “puissance impuissante” dont elle dispose (le technologisme, la communication, le “droitdel’hommisme” comme moyen de coercition politique et ainsi de suite). Ecrire cela, ce n’est pas faire acte de dévotion, ni soutenir une religion, ni aller à la messe (c’est là le jardin intime du chacun). C’est constater objectivement que l’Eglise catholique, par ses structures même, sa présence au sein de la civilisation occidentaliste, le rôle qu’elle y a joué et les traces laissées par ce rôle, a un rôle absolument temporel à jouer aujourd’hui, hors de toute idéologie et de tout argument théologique. Moore emploie certainement des arguments de croyant et de pratiquant, et d’idéologue qui implique, dans son chef, qu’il croit pouvoir suggérer une idéologie pour l’Eglise. Cela ne nous importe pas. Nous raisonnons en termes de structuration contre déstructuration, en termes d’affrontement de l’”idéal de perfection” contre l’“idéal de puissance” (voir Ferrero, pour constater que sa classification n’a rien à voir avec la religion, et tout avec la civilisation). C’est là que nous situons le rôle temporel de l’Eglise, qui est, de sa part, non pas la conséquence obligée de sa mission sacerdotale mais la part de politique temporelle qu’elle doit assumer, en toute responsabilité, et par choix explicite, dans l’immense crise actuelle dont elle ne peut se tenir détachée.

L’Eglise a aujourd’hui pour mission naturelle de lutter contre la barbarie déstructurante; pas pour remplir ses églises, non, mais pour tenir sa place dans le grand affrontement de l’effondrement de notre civilisation que nous vivons. C’est plus une question de responsabilité humaine et politique qu’une question liée à l’enseignement de Jésus transcrite en une idéologie contemporaine quelconque. Ce n’est pas une question d’idée, c’est une question de manifestation fondamentale dans la bataille en cours pour la survie. Ceux qui accueilleraient ces considérations avec quelques remarques acides ou sarcastiques sur le passé de l’Eglise ou en rappelant la gloire républicaine de l’anticléricalisme ne démontreraient qu’une chose, que leur pensée retarde d’a peu près un siècle par rapport aux événements en cours. Cette considération qu’on peut avoir aujourd’hui du rôle de l’Eglise ressemble à la considération qu’avaient et qu’ont encore – s’il en existe encore – ces intellectuels français qu’on surnomma “les cathos du dehors”. (Ces intellectuels qui n’étaient pas nécessairement pratiquants, voire pas nécessairement croyants, qui étaient souvent hors du champ de l’Eglise catholique, mais qui tenaient pour essentiel le rôle de l’Eglise dans la composition fondamentale de la nation française – ces intellectuels, selon Gustave Thibaudet en 1927: «Chateaubriand, le Sainte-Beuve de Port-Royal, Auguste Comte, Barbey d'Aurevilly, Barrès, Maurras, Péguy, Montherlant»; ou bien encore, selon le mot de l’Allemand Curtius: «L’“athéisme catholique” est un phénomène exclusivement français»; ces intellectuels, dont certains sont les mêmes, qu’on peut évidemment rapprocher des ““antimodernes”, autre catégorie non reprise au registre du ministère de la culture mais également marquante de la gloire des Lettres françaises).

L’Eglise possède naturellement une position instinctive et constructive s’organisant autour de l’idée de la tradition, qui est une des armes puissantes contre le courant de déstructuration barbare qui tente de détruire la civilisation. Dans ce cas, elle n’est pas une référence religieuse mais, fondamentalement, une référence sociale et psychologique et, au-delà, une référence politique. Et, bien entendu, elle ne peut aujourd’hui être qu’anti-capitaliste. Cela n’a rien à voir avec l’argent et tout à voir avec l’usage subversif, destructeur de l’humanité, qui est fait de l’argent. Dans une telle bataille, les références fondamentales, lorsqu’elles sont du même côté, mènent un combat similaire, quelles que soient leurs différences. Moore est donc gauchiste, anti-capitaliste et catholique pratiquant. Cela est bien plus logique que les votes infâmes que notre fantôme de démocratie nous invite à pratiquer pour des partis qui ont autant de substance, selon le mot de Theodore Roosevelt à propos du président McKinley, “qu’un éclair au chocolat”.

 

Mis en ligne le 12 octobre 2009 à 07H06