Le fantôme de Tony Blair ricane jaune...

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Le fantôme de Tony Blair ricane jaune...

Les Français qui savent encore ce que cela signifie qu’être Français, ces Français-là éprouveront un sentiment mêlé d’ironie devant le paradoxe du Système et de tristesse fatiguée devant l’usage courant de la République-poire en constatant que, soudain, un accroc se manifeste du côté britannique. Les Français sont sous l’empire patelin du président-poire, parfaite illustration d’une soumission de type notaire-de-province monté à Paris au diktat du Système, et ils ne se posent aucune question. La démocratie fonctionne, proclament les salons ; ils n’imaginaient certainement pas, les salons, qu’un spasme qu’on serait conduit alors à décrire comme “anti-démocratique” puisse venir du majestueux Royaume-Uni, allié si fidèle de la politique-Système et modèle incontestable de la dignité postmoderne. “Les Français qui savent encore...” pourraient alors entonner : “Ici Londres, des Français parlent aux Français...”

Trêve de billevesées ... Il se fait pourtant que Tony Blair, bien calfeutré dans sa tombe remplie de prébendes glanées au fil de conférences et de missions internationales royalement rétribuées dans le Circuit-Système, doit en ricaner de malaise, c’est-à-dire ricanement coloré de jaune comme le rire du même genre. Il se fait pourtant que son brillant et empâté successeur, David Cameron, se trouve confronté à une opposition parlementaire autobloquante, – une vraie de vraie, une opposition démocratique... Du coup, le secrétaire au Foreign Office Hague, déposant son couteau entre les dents qui le gêne pour parler, nous annonce que, eh bien, peut-être, sans doute, va-t-il falloir postposer de quelques jours cette fameuse attaque (voir le Guardian, ce 28 août 2013). (Notez d’ailleurs une nuance subtilement apparue : l’attaque chimique en question est désormais identifiée comme la pire horreur du domaine, “pour le XXIème siècle”. Cela permet de ne pas trop enquêter sur l’historique du XXème siècle à cet égard.)

«William Hague has played down the prospects of an imminent attack on Syria, saying talks about the crisis could go on at the United Nations “over the coming days”. Speaking after a meeting of Britain's National Security Council, the foreign secretary said the UN security council should “shoulder its responsibility” over Syria; if it failed to do so, however, Britain and and its allies would act on their own. “This is the first use of chemical warfare in the 21st century,” he said. “It has to be unacceptable. We have to confront something that is a war crime, something that is a crime against humanity.”»

Ce qui se passe est que les Communes, qui débattent aujourd’hui de l’attaque promise, eh bien les Communes rechignent. Le Titanic britannique prend haut de toutes parts certes, mais dans ce cas par deux voies d’eau bien identifiées.

• Des rangs des tories eux-mêmes d’abord. Il y a comme un air de révolte, avec tout de même quelques noms importants, dont ceux de trois anciens ministres (Cheryl Gillan, Peter Luff et Sir Gerald Howarth). Au décompte d’hier 28 août 2013, on en dénombrait une solide trentaine. Bref, tous ces gens ont des scrupules : ils ne sont pas contre l’attaque, certes, mais ils voudraient en savoir plus avant de se lancer dans une aventure qui dissimule peut-être de méchantes chausse-trappes. Leur vote aux Communes pourrait être en conséquence.

• Et puis, il y a les travaillistes. Cameron croyait les avoir in the pocket, ne serait-ce qu’en référence solennelle et respectueuse au grand ancien, l’homme de l’Irak et du copinage avec GW, Tony Blair The Earl of Bassorah. Pas si vite ! Voilà que le jeune chef des travaillistes Ed Miliband voit dans cette affaire, que le public n’apprécie guère même s’il ne le manifeste guère, une superbe occasion de renforcer son patrimoine électoral pour les temps à venir. Miliband veut que l’ONU fasse son travail (enquête sur place) pour qu’on y voit plus clair, peut-être voudrait-il une bénédiction de l’ONU pour une telle attaque (ricanements lointains mais clairement identifiables de Poutine-Lavrov, veto en bandouillère). Il voudrait même, – il faut se bien tenir pour n’en pas tomber de sa chaise, – que le très-souverain Royaume-Uni ne suive pas aveuglément, like a poodle, les ordres du président des USA (lequel pourtant nous interprète Hamlet à Stratford-sur-Potomac, – mais bah, dans le désordre ambiant...). Miliband serait-il gaulliste, et nous interprétant, lui, une version étrange du “Des Français parlent aux Français” ? Interrogation incrédule du président-poire surpris en pleine réflexion métaphysique sur les suites du mariage gay. (Guardian du 29 août 2013, avec cette étonnante leçon de choses de Miliband parlant à Cameron : “Vous devez réaliser qu’après l’Irak, plus personne ne nous fait confiance...”.)

«Ed Miliband, who takes pride in the way he confronted Rupert Murdoch over phone hacking, identified an even larger target on Wednesday when he announced that Labour would vote to block an immediate military strike against the Assad regime. While that created a parliamentary headache for David Cameron, Labour aides acknowledged it also marked a direct challenge to Barack Obama's plan to launch the strikes before the weekend. [...]

»Miliband wants to show he is prepared to stand up to a US president, even a Democrat. He also wants to ensure that the UN route has been exhausted. “We have been here before in not giving the UN weapons inspectors enough time,” one Labour source said after the publication of the Labour amendment, which would delay action until after the inspectors have reported. Miliband raised the legacy of Iraq in his meeting with Cameron and Nick Clegg on Tuesday afternoon in No 10. One source said: “Ed said to the prime minister: ‘You have to realise that after Iraq nobody trusts any of us. We therefore have to exhaust every avenue.’ It is not easy for the prime minister.”»

Bien, soyons sérieux... Il ne s’agit certainement pas d’un tournant politique, voire stratégique, d’une sorte de réflexion décisive de l’un ou de l’autre sur l’opportunité d’attaquer, sur la question de savoir qui est responsable de quoi en Syrie, etc., toutes ces billevesées. Nous n’attendons même pas le vote des Communes pour statuer là-dessus parce qu’il n’a guère d’importance en lui-même en vérité ; pour notre édification le désordre nous suffit, et le désordre ne cesse de galoper.

Rien de politique, rien de stratégique, parce que ni l’un ni l’autre, Cameron-Miliband, ne raisonne en ces termes. Il y a beau temps qu’on ne s’en préoccupe plus. Les directions politiques des divers ensembles et diverses entités sous l’empire du Système raisonnent en fonction des consignes du Système et de leurs petites cuisines personnelles (électorales éventuellement). Le second facteur est accessoire et sans le moindre intérêt sinon d’éventuellement influer sur le premier, qui est essentiel. Les frondes diverses qui se dressent soudain devant Cameron alors que tout semblait repassé et plié nous disent clairement que les consignes du Système, désormais, ça se discute. Il y a même cette confidence, qu’on pourrait juger stupéfiante, de Miliband à Cameron, montrant que ces gens-là vont finir par ne plus vraiment croire à leurs propres narrative sur la grandeur des causes qu’ils défendent : “Vous devez réaliser qu’après l’Irak, plus personne ne nous fait confiance...”, – ce qui pourrait vouloir dire, effectivement, qu’eux-mêmes n'ont plus confiance en eux-mêmes. Tout cela mis ensemble, c’est simplement un signe de plus que le Système n’est plus du tout au mieux de sa forme, que la séquence paroxystique actuelle de la crise syrienne nous montre une fois de plus son état navrant, – et que, pour reprendre le refrain de la chanson, la dynamique de l’autodestruction est si proche de la dynamique de la surpuissance qu’on ne distingue plus l’une de l’autre, mêlés dans une architecture qui a tout de la Roche Tarpéienne.

“[L]les consignes du Système, désormais, ça se discute”, et au Royaume-Uni d’abord, – et pourquoi pas ? Les Britanniques ont une vieille habitude du réalisme politique pur, entre asservissement volontaire et félonie conjoncturellement renouvelée. Ce n’est pas comme les Français, chargés comme des mulets du poids de leur scintillante intelligence, qui devient une non moins pure bêtise lorsque les circonstances les mettent dans cette situation de simulacre où on les voit aujourd’hui, où triomphe l’imposture banale, l’imposture-poire si l’on veut. Ils ont alors, eux les Français, la fidélité et le moralisme de la bêtise. Par conséquent, il n’est pas étonnant que ces coups de menton souverains ponctués d’un bras d’honneur d’un éventuel futur Premier ministre à l’intention d’un BHO déchiré d’incertitude nous viennent d’outre-Manche. Rien n’est tranché, rien n’est dit, mais aussi et surtout rien n’est changé dans notre jugement général sur l’état général du Système parce que l’épisode britannique de la farce nous informe bien plus que de coutume sur son état de santé (du Système) et sur l’efficacité déclinante de son influence et de ses pressions sur ses hommes-liges. On peut faire la différence entre 2003 et 2013 si l’on veut la référence blairiste de l’Irak : février-mars 2003, des millions de gens dans les rues et le gouvernement britannique lancé sans encombre dans l’aventure irakienne, – et le Système triomphant, par conséquent ; 2013, personne dans les rues, et les dirigeants politiques qui se déchirent pour assurer leurs arrières, sans vraiment se soucier des consignes ... L’aventure de la crise syrienne, cette évidence, se déroule beaucoup plus chez nous, dans nos divers cénacles du pouvoir où l’on pense et où l’on agit, que dans les plaines et les montagnes désolées par le fracas cruel et sanguinaire de la guerre civile de Syrie. Sa rapidité pour faire évoluer les choses est confondante.


Mis en ligne le 29 août 2013 à 08H52