Le FBI, “arroseur arrosé” ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 5390

Le FBI, “arroseur arrosé” ?

12 août 2022 (10H15) – D’abord, quelques mots rapidement, pour signaler l’ouragan de condamnations et de commentaires furieux, du côté des conservateurs mais aussi avec quelques débordements chez d’autres, après le raid du FBI dans la résidence secondaire de l’ancien président Donald J. Trump. C’est une affaire, – le mot est cité plus loin et je l’adopte, – finalement assez “étrange”. J’ai mis un certain temps à réagir, certes préoccupé d’autres problèmes, mais surtout n’imaginant pas une seconde qu’une telle “affaire”, dans de telles conditions, pouvait avoir eu lieu.

Je pensais à une autre occurrence, quelque chose de classique, préparé, annoncé, etc., bref une péripétie classique ; ce qui m’intéressa aussitôt au détriment des circonstances du “raid”, c’est, comme on l’a lu, l’extraordinaire haine qui continue à régner comme un complet absolutisme submergeant bon sens et mesure dans les psychologies de la politique US, lorsqu’il est question de Trump. Du coup, les réactions à tel acte qui poursuit grossièrement la haine anti-Trump ont une ampleur à peu près égale mais en sens contraire, dans le registre de l’indignation et de la fureur. Ce fut le cas de Larry Johnson dans sa chronique du 8 août 2022 :

« Mais ce qui s'est passé aujourd'hui à Mar a Lago est un moment décisif. Aucun président américain, et surtout pas Joe Biden, ne peut plus prétendre se présenter devant les Nations unies et exiger que les autres pays se débarrassent de leurs dirigeants corrompus. Les dirigeants étrangers seront plus qu’heureux de brandir un miroir et de dire au président des États-Unis : “Regarde-toi d’abord”. Le statut auquel prétendaient les États-Unis en tant que flamme de la liberté  tentant d’éclairer un monde truffé de régimes autoritaires est en lambeaux. »

Deux jours plus tard, sa colère exprimée, Johnson se souvient qu’il fut officier de la CIA, qu’il travailla souvent avec le FBI ; il connaît la musique, aussi bien celle d’hier que celle d’aujourd’hui, et bien entendu dans le cadre de ce qu’est devenu le monde politique aux USA. Il se met donc à penser au “raid” d’une façon plus professionnelle, pour en arriver à son texte du 10 août 2022, avec ce titre sous forme d’une question : « Donald Trump a-t-il piégé le FBI ? »

...Et commençant aussi son texte en enchaînant sur la question, c’est-à-dire en y répondant pardi :

« [C’est une] question raisonnable. Le raid du FBI, lundi, au Mar A Lago de Trump était très étrange. Contrairement aux précédentes perquisitions du FBI sur des personnes liées à Trump, comme Roger Stone, Paul Manafort, Peter Navarro et Steve Bannon, les médias de l’establishment ont été tenus dans l’ignorance. Ils n'ont pas été prévenus. Comment avons-nous appris cette descente de police ? Trump l'a annoncé sur sa page de médias sociaux vers 18 h 30 [heure de New York], lundi. Très étrange.

» Pensez à tout ça. Pas une seule âme dans l'univers de Trump qui était au courant du raid à Mar A Lago n’a soufflé mot de cette affaire infâme. Pas une seule. Et, étonnamment, le FBI ne l’a pas ouverte non plus. Il y a quelque chose d’effectivement étrange dans tout cela. »

Johnson aborde alors le problème en décrivant la dégénérescence accélérée du FBI, disons depuis les années 1990, commençant par rappeler l’excellence de cette organisation fameuse jusqu’à cette époque (quoiqu’on ait eu Edgar J. Hoover, mais bon...). Il en témoigne directement, ayant travaillé à plusieurs reprises avec le FBI, à partir d’opérations anti-terroristes conjointes CIA-FBI.

On constate, au ton extrêmement rude qu’il emploie et que nous prendrons comme symbolique, combien est forte la tension que la situation présente a installée au cœur des organisations de sécurité. Larry Johnson est une référence de qualité à cet égard, comme il le montre depuis plusieurs années, dans ses écrits individuels comme par sa participation au groupe VIPS d’anciens officiers de sécurité nationale (‘Veteran Intelligence Professionals for Sanity’ depuis 2007), qui adresse épisodiquement des mémorandums pour les présidents successifs. Son avis sur le FBI est donc à accueillir avec considération, d’autant qu’il prend à cet égard des risques certains et significatifs.

« Mais c'est du passé. Le FBI actuel est mauvais, corrompu et criminel. Des hommes comme James Comey, Andrew McCabe et Peter Strzok ont écarté les principes sacrés de leur service au profit de la politique partisane et, ce faisant, ils ont discrédité le FBI en tant qu'organisme d'application de la loi de bonne foi. Il est temps de dissoudre le FBI et d'affecter les agents fédéraux à d'autres services. On ne peut plus faire confiance au FBI. [...]

» Je ne fais plus confiance au FBI. Il est devenu un monstre politique et doit être démantelé. Je réalise qu'en déclarant cela, je peux être déclaré ennemi de l'État. Qu'ils aillent se faire voir. Il s'agit de préserver ce qui reste de la République américaine. Un pays pour lequel mes ancêtres se sont battus et sont morts. Comme certains d’entre vous le savent, mon 5e grand-oncle, Charles Thomson, était secrétaire du Congrès continental. »

L’hypothèse développée par Johnson ne l’est pas par hasard. Tout ce qu’on a lu plus haut montre que l’on a affaire, en sa personne, à une source avec  nombre de contacts dans les milieux du renseignement et de la sécurité nationale qui sont aujourd’hui complètement impliqués dans la bataille politique interne. Même ceux qui, comme Johnson, dénoncent cette “politisation”, sont conduits à entrer dans la bataille politique puisque celle-ci leur est imposée dans un pouvoir général en pleine dégénérescence.

C’est ce qui me conduit à penser qu’il faut prendre au sérieux l’hypothèse qu’il présente... Même, et je dirais paradoxalement “surtout”, si l’explication qu’il esquisse apparaît incomplète et disparate ; il s’agirait alors du signe que Johnson écrit en s’appuyant sur des données sérieuses, mais qu’il ne peut pas toutes les exposer pour ne pas mettre en danger ses propres sources.

« L'indignation suscitée par l'assaut illégal et injustifié du FBI dans la résidence de Donald Trump est peut-être due au fait que le président Trump les a appâtés. Qu’est-ce que je veux dire ? Le président Trump a réussi à convaincre le FBI qu’il détenait des informations sensibles sur ‘Cross Fire Hurricane’ [nom de code donné aux enquêtes lancées depuis 2017 par le FBI contre Trump, concernant d’éventuels contacts avec la Russie], qui pourraient détruire le FBI. Le criminel Wray [directeur du FBI] ne se soucie plus de l’État de droit. Protéger le FBI est sa priorité numéro un. Plutôt que d'attendre et de risquer d'être exposé par Trump, Wray, avec le soutien de Garland [ministre de la Justice] et de Biden, a donné le feu vert pour attaquer la résidence de Trump en Floride.

» Pourquoi Trump a-t-il attendu si patiemment toute une journée avant de dire au monde que le FBI se comportait comme le KGB soviétique ou la Stasi est-allemande ? Je pense que c'était une décision consciente et informée. Donald Trump expose le FBI pour les voyous criminels qu’ils sont, corrompus sans foi ni loi. »

Cette sortie de Larry Johnson est intéressante, non pas tant parce qu’elle offre une explication opérationnelle au “raid” que parce qu’elle permet d’apprécier, en fonction de ce qu’est Johnson comme j’ai tenté de le faire, l’importance politique de l’événement. Plutôt que de savoir exactement le pourquoi et le comment de la chose, il est plus fructueux d’observer qu’elle a réactivé fondamentalement la crise de l’américanisme dont le personnage Trump et la haine inextinguible de ses adversaires depuis son entrée en politique sont les acteurs principaux.

Bien entendu, je parle ici de psychologie, car c’est à ce niveau que se joue l’essentiel de la bataille, y compris avec cette idée peu ordinaire de l’existence d’un puissant courant qu’on pourrait baptiser “idéologie de la haine”, – avec ce constat extraordinaire qu’un facteur psychologique quasi-pathologique peut être considéré comme une “idée” (l’“idée” est ce qui est par définition l’essence même de l’idéologie).

L’antitrumpisme (et le FBI) sur la défensive

Le déchaînement public est donc considérable aux USA, où les démocrates, les antitrumpistes, le FBI, la presseSystème sont complètement sur la défensive, et ils le sont presque “par surprise”. Tout se passe comme si personne, dans leur camp, n’avait pu envisager qu’un tel acte provoquât une réaction d’une telle puissance. Jonathan Turley, atterré, note (voir plus loin) dans un second commentaire sur le raid, avec un jugement abrupt et sans appel qui est très inhabituel chez lui :

« Newsweek a rapporté que le FBI espérait que le raid avec Trump absent de sa résidence serait une option “modérée”, de “profil bas” [dans l’offensive contre Trump], – une notion qui frise le délire... »

L’ébahissement des adversaires de Trump, qui vivent dans un autre monde où la haine fait office de façon de respirer et de façon d’exister, peut être mesuré dans des détails en apparence insignifiants mais très significatifs ; comme s’ils se trouvaient embarqués dans cette tempête sans narrative, sans “feuille de route”, sans “éléments de langage”... Par exemple, ce détail de l’attitude du réseau MSNBC (ultra-antiTrump, ultra LGTBQ, etc.), alors qu’on interviewe en ancien du FBI, et soudain placé devant une consigne, comme soulagé de savoir sur tel point (“raid” ou pas “raid” ?!) enfin comment se conformer... Ce monde est formidable !

« “Les officiers [du FBI], d'ailleurs, n'aiment pas le mot ‘raid’, ils ne l'aiment pas”, a déclaré Frank Figliuzzi, ancien directeur adjoint du FBI, à MSNBC.

» “On dirait que c'est une sorte de, vous savez, une chose extra judiciaire non légale. C'est l'exécution d'un mandat de perquisition. C'est un mandat de perquisition autorisé par le tribunal”, a-t-il ajouté.

» Figliuzzi a insisté sur le fait que le FBI souhaitait que l’incident soit décrit comme l’“exécution d’un mandat de perquisition” et que le fait de parler de “raid” a aidé Trump à définir ce qui s'est passé comme une “faute de harcèlement”.

» Presque instantanément, les médias ont suivi les ordres.

» “MSNBC a changé son bandeau, passant de ‘Le FBI fait une descente au domicile de Trump à Mar-A-Lago’ à ‘Le FBI exécute un mandat de perquisition au domicile de Trump à Mar-A-Lago’, quelques instants après l'apparition de Figliuzzi, note Jack Hadfield.

» Le New York Times a également changé le mot “raid” en “search”. »

Le ministre de la Justice Garland est obligé de venir sèchement confirmer devant la presse que oui, bien sûr, il était au courant du “non-raid” chez Trump, qu’il l’avait même autorisé, sinon ordonné. Pendant ce temps, Washington D.C. bourdonne de rumeurs sur une “taupe” qui aurait été dans l’entourage de Trump, et sur des éléments d’inculpation qui aurait été déposés (“plantés”) chez Trump lors de la perquisition couronnant le “non-raid”, laquelle a été réalisée après que la résidence ait été complètement vidée de ses occupants. On imagine ce que ces diverses rumeurs & circonstances vont permettre d’apporter comme éléments de débats devant un tribunal, s’il s’y passe un jour quelque chose...

Bref, on se demande comment des esprits pourtant expérimentés dans les affaires de police et de basse police ont pu avoir l’idée de lancer une affaire pareille, avec tout son apparat de contrainte et de vilaine pratique policière, sans mesurer les effets extraordinaires, à leur désavantage, qu’ils obtiendraient au niveau de la communication. A cet égard, je ne peux m’empêcher d’insister et d’y revenir, en me plaçant sur mon terrain favori de la psychologie. Seule la haine, l’“idéologie de la haine”, c’est-à-dire un réflexe d’humeur folle considéré comme une “idée fondamentale” jusqu’à être qualifiée d’“idéologie”, a pu conduire à une faute tactique, à une erreur stratégique de cette dimension, à un tel aveuglrement...

Sommes-nous déjà en 2024 ?

Nick Arama, de ‘RedState.com’ écrit que « Le raid du FBI a réveillé le géant endormi », – le “géant endormi” étant ce mouvement souvent irrésistible de la dynamique de popularité que Trump sait susciter comme personne lorsque les circonstances lui en donnent l’occasion. Effectivement, l’action du FBI a relancé la popularité de Trump et un mouvement de soutien pour qu’il soit candidat et remporte les élections présidentielles de 2024.

Les critiques de Trump constatent avec horreur que cette affaire donne quasiment à Trump la nomination républicaine pour 2024 et le ‘Guardiangémit plaintivement, “accusant” les républicains, décidément peu sympas, de “weaponiser” le raid chez Trump (d’en faire une arme de communication, selon ce terme si souvent employé ces temps derniers, surtout à propos d’Ukrisis, de ‘to weaponize’)... Évidemment, ait-on conduit à répondre, “qui t’a fait roi ?”. Je crois qu’il faut même être assuré qu’un certain nombre de républicains se jugent obligés d’agir dans ce sens, sans le moindre goût pour cela ; Trump n’a pas que des amis dans son parti, mais aujourd’hui le FBI les a tous regroupés autour de lui. Bref, le FBI s’est conduit comme le meilleur agent de promotion de la candidature Trump, avec le parti républicain rassemble autour de lui, un oeil sinon les deux sur les élections de novembre

Quant à lui, Trump, bien entendu il attaque, il tonne et en fait des tonnes ! Il prend à parti le FBI et exige que les documents saisis soient rendus publics ! Il est dans le rôle qu’il adore de s’affirmer en victime de ses adversaires de l’establishment, du marigot de Washington D.C. Il y est même en homme politique mûri, car je crois que l’on peut penser, – si d’abord les républicains l’emportent en novembre, si surtout il est élu en 2024, – que les services de sécurité nationale comme le FBI (et la CIA, et d’autres) vont se trouver devant des perspectives très sérieuses de purges radicales, dans une mesure qu’il était quasiment impossible d’envisager il y a un mois, voire une semaine. C’est dire qu’il s’agit peut-être d’un coup très sérieux porté, évidemment par inadvertance et l’assaisonnement de la haine, par le Système contre le Système selon sa formule favorite (“surpuissance = autodestruction).

On peut penser qu’il n’est de meilleure conclusion que de se référer au maître des choses constitutionnelles, libéral politique et démocrate de cœur, mais aussi et d’abord strict constitutionnaliste, un Jonathan Turley qui ne peut cacher, dans son second article sur cette affaire, sa stupéfaction devant le comportement des diverses autorités en place...

« Les questions continuent de se multiplier sur la nécessité du raid par rapport à l'utilisation d'une assignation à comparaître ou d'autres moyens. Selon l'avocat de Trump, l'ancien président a reçu une première assignation à comparaître et s'y est conformé, puis a volontairement donné au FBI l'accès à une zone de stockage et a accepté d'ajouter un verrou spécifique sur la pièce. On ne voit pas pourquoi une deuxième assignation n'aurait pas suffi s'il y avait d'autres documents couverts par le Presidential Records Act.

» Il existe également un rapport sur un informateur ou une source confidentielle utilisée dans l'opération. La seule chose qui soit claire, c'est que, si le comité J6 [qui enquête sur les événements du 6 janvier 2021] ne semble pas avoir changé beaucoup de l’état d’esprit, le raid, lui,  l’a bouleversé. Toute possibilité que Donald Trump ne se présente pas semble s'être évaporée avec aucun challenger probable dans le sillage du raid. Cela pourrait changer à mesure que nous apprenons plus de détails, mais le raid a galvanisé les partisans de Trump. Ironiquement, Newsweek a rapporté que le FBI espérait que le raid avec Trump absent de sa résidence serait une option “modérée”, de “profil bas”, – une notion qui frise le délire. L’option de profil bas s'appelle une assignation à comparaître. »