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1475Les sanctions décidées par les USA et l’UE contre la Russie après le référendum de Crimée représente un exemple de la logique “du faible au fort” caractérisant certains aspects de la dissuasion nucléaire (celle de la doctrine française, du temps de De Gaulle et du général Gallois). La logique “du faible au fort” consiste à manifester l’apparence ou la symbolique de la puissance dans une démonstration minimale ou une affirmation symbolique, sans aucun mal pour l’adversaire (le“fort”), mais en laissant entendre que cette puissance pourrait se manifester d’une façon beaucoup plus destructive, d’un prix trop coûteux pour le “le fort”, – et en espérant ainsi que l’adversaire, le “le fort”, va céder. Le problème est que l’équation se trompe du tout au tout sur la qualification des adversaires : le bloc BAO ne prétend pas être “le faible”, bien au contraire, et la Russie ne prétend pas être “le fort” mais la Russie tout simplement. C’est-à-dire que la logique de cette sorte de dissuasion ne joue pas et se trouve même complètement subvertie, parce que le bloc BAO prétend être “le fort” et non le “faible” et parce que la Russie est dans une évolution rapide où elle devrait être conduite, en cas d’aggravation de la situation (cas où “le faible” BAO décidait de se manifester comme “le fort” qu’il prétend être en réalité), à rejeter la logique de la dissuasion qui implique une certaine connivence avec l’adversaire.
Le résultat est que ces mesures apparaissent comme une dérobade du bloc BAO, tandis que la Russie, qui se contente d’attendre puisque l’opération criméenne du référendum a été bouclée avec brio, est prête à agir non plus selon une logique partagée mais selon la seule logique de son existence ontologique qui sera nécessairement celle de la radicalisation si le bloc BAO passe à l’échelon des sanctions du “fort”. En attendant, il (le bloc BAO) a démontré qu’il était en position de “faible” malgré sa force, – ce qui est une opérationnalisation de la dynamique qui le conduit, qui est celle du Système, qui mêle intimement la surpuissance et l’autodestruction dans une logique impeccable. Larry Elliott nous explique cela, ou plutôt les modalités de la démonstration de la “faiblesse” du “fort” sans vraiment en chercher les causes ni les conséquences, bien sûr puisqu’il écrit son article dans le Guardian (le 17 mars 2014) qui n’est pas habitué à essayer de comprendre d’une façon rationnelle le comportement de la Russie (et, par conséquent, celle du Système dont ce journal fait partie)...
«The reaction of the financial markets to the west's sanctions over Crimea spoke volumes. Up went the rouble and shares on the Moscow stock market, down went the price of crude oil. Conclusion: the steps announced by the US and the EU were seen as a slap on the wrist for Vladimir Putin, the very least that could be delivered without Barack Obama, Angela Merkel et al all losing face.
»True, the door was left open for a ratcheting up of sanctions in the event that the Kremlin continues to "destabilise" the situation in Ukraine. But this was a weaker response than the markets had been expecting, not just in the number of people targeted by sanctions (21), but in their second-rank status and the limited nature of the visa restrictions and asset freezes. [...]
»There are two possible explanations for this approach. The first is that the west thinks that a modest package of measures is the best way to defuse the crisis, and hopes that Putin will back down at the first whiff of grapeshot. The second is that there is no real appetite for a tougher approach: London and Manhattan are awash with Russian money; Germany's need for Russian gas is stronger than ever now that nuclear power is on its way out; the struggling French economy can ill-afford the loss of lucrative defence contracts with the Kremlin. [...]
»Without doubt, the west could cause serious harm to what is already a shaky Russian economy. Growth slowed markedly during 2013 and is over-dependent on the oil and gas sector. [...] That, though, is not the issue. The west's problem is that it cannot hurt Russia without hurting itself, and fears the consequences of the mutually assured destruction which might follow if the Kremlin were to order the tanks in. [...] Putin knows that too. Which is why the message from the west – these sanctions might not hurt you, but tougher sanctions would – will not have the Russian leader quaking in his boots.»
Autrement dit, le bloc BAO a fait une exceptionnelle démonstration de sa contradiction interne. Il prétend être, non seulement “le plus fort”, mais aussi “le plus vertueux”, celui qui a avec lui toute la puissance du monde et toute la vertu du Ciel. Le cas criméen a été universellement condamné par sa direction-Système d’une part, par sa presse-Système et son immense apparatus de la communication opérationnalisant la vertu-Système, comme représentant à la fois un acte illégal, un trucage éhonté, une chose complètement inadmissible, condamnée par avance sans appel ni retour. Par conséquent, sa force et sa vertu sont complètement en accord ; pour respecter le constat catastrophé et furieux de la vertu outragée, la force devrait déployer toute sa puissance. Au lieu de quoi, c’est le plus faible de la force du bloc BAO qui manifeste une puissance symbolique, qui prend alors l’allure dérisoire d’une dérobade sans gloire. Tous les discours du monde ne dissimuleront pas cela.
On dirait, selon la proposition de la raison : eh bien, le cas est tranché. Le bloc BAO ne peut rien de sérieux, ou plutôt ne veut rien pouvoir de sérieux contre la Russie, et l’on sera donc conduit à s’arranger. C’est compter sans les exigences de la vertu, qui se manifeste, elle, dans toute sa puissance. La diluvienne offensive de la presse-Système, de la propagande, de la narrative de la dénonciation hystérique, d’ailleurs conformes aux vœux du Système (cette fois, donnons son vrai nom au bloc BAO), a constitué et superbement exécuté sa part du contrat, avec le zèle hystérique de cette vertu-Système en état de surpuissance exaltée. (Cette surpuissance de la vertu-Système l’est d’autant plus, surpuissante, que, sur place, en Ukraine, à Kiev, s’agite la clique du Maidan prisonnière de ses extrémistes, pour laquelle la fuite dans le radicalisme antirusse est la seule voie de survie : ceux-là ne lâcheront pas prise dans la dynamique de communication et ils seront l’aiguillon constitué en force hyper-vertueuse qui interdira à la crise de s’apaiser.) Ce sentiment du devoir accompli va nécessairement engendrer une surenchère de cette surpuissance de la vertu-Système, au niveau de la communication ; s’ajoutera désormais, à la routine qui voue Poutine, les Russes et les Criméens aux enfers, une offensive furieuse contre les dirigeants-Système qui ne font pas leur travail, qui se dérobent à leur devoir de surpuissance sans concession contre le Mal incarné qu’est la Russie. Comment les dirigeants-Système peuvent-ils faire comprendre à la vertu-Système que le déploiement de la surpuissance a de très, très fortes chances de conduire à l’autodestruction ?
(Le cas est simple dans sa théorie opérationnelle, comme l’expliquait le conseiller de Poutine Sergei Glazyev, le 4 mars 2014... Il avait été mollement démenti par des officiels du Kremlin et traité d'“idiot” par un ancien ministre du gouvernement Medvedev, adepte des theories libérales. Nous ne sommes pas sûr du tout qu'on en dirait autant, aujourd'hui 18 mars, 14 jours plus tard :«He told the RIA Novosti news agency Russia could stop using dollars for international transactions and create its own payment system using its “wonderful trade and economic relations with our partners in the East and South.” Russian firms and banks would also not return loans from American financial institutions, he said. “An attempt to announce sanctions would end in a crash for the financial system of the United States, which would cause the end of the domination of the United States in the global financial system,” he added.»)
.. Les dirigeants-Système ne peuvent pas faire comprendre à la vertu-Système que “le déploiement [par le Système] de [sa propre] surpuissance [dans le domaine des sanctions] a de très, très fortes chances de conduire à [son] autodestruction” parce que, simplement, ils ne comprennent ni n’admettent eux-mêmes ce dilemme en des termes aussi clairs, qu’ils en sont même inconscients s’ils en sont les prisonniers, qu’ils n’ont de toutes les façons aucunement le courage d’énoncer de telles vérités s’ils les réalisaient. Simplement, ils sont pour l’instant freinés par leurs comptables, leurs financiers, leurs experts, qui alignent les chiffres, tracent les courbes, suivent avec angoisse l’évolution des marchés. Pour l’essentiel, ils ne peuvent comprendre ni admettre une seule seconde que leur surpuissance puisse recéler, aujourd’hui presqu’en effet immédiat tant les choses vont vite, le flux torrentiel de l’autodestruction. Dans cette logique, après ces débuts timides, et tenant compte de ceci que Poutine ne lâchera rien, – il ne le pourrait pas même s’il le voulait, – notamment sur la Crimée qui est maintenant un fait acquis pour la Russie et qui est une pomme de discorde et d’indignation sans fin pour la vertu-Système, les dirigeants-Système devraient être obligés de céder aux pressions folles et furieuses de cette même vertu-Système, qui est la leur après tout.
Alors, nous passons à l’hypothèse fondamentale : ainsi en viendraient-ils, les dirigeants-Système, aux vraies sanctions et, avec elles, au moins à la possibilité du déluge, qui devient dans le cadre dynamique où nous nous trouvons, le déluge tout court dans sa quasi-certitude. Ainsi le Système serait-il sur la voie d’achever la transmutation de toute son énorme surpuissance en dynamique d’autodestruction. Dans cette prospective, il n’y aurait ni vainqueurs ni vaincus, il y aurait autodestruction du Système, et cela serait bien suffisant pour redistribuer toutes les cartes sans qu’on puisse savoir une seconde quel jeu nouveau, c'est-à-dire quel monde nouveau apparaîtrait dans les donnes.
Mis en ligne le 18 mars 2014 à 07H15
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