Le freedom of speech de l’ex-major reconverti dans l’establishment

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Rude coup pour Gordon Brown qui doit nous faire un beau discours aujourd’hui sur les fastes et l’héroïsme de l’engagement britannique en Afghanistan. Un parlementaire travailliste, ancien major de l’armée britannique, démissionne de son poste de conseiller du secrétaire à la Défense en faisant une critique étourdissante de l’engagement britannique dans ce même Afghanistan, ridiculisant la raison officielle de cet engagement, la narrative pompeuse et grotesque héritée de l’équipée Blair-Bush (lutte contre le terrorisme et autres sornettes). Il demande qu’une “stratégie de sortie”, avec calendrier, soit mise en place le plus rapidement possible. Dans sa lettre de démission, Eric Joyce écrit:

«I do not think the public will accept for much longer that our losses can be justified by simply referring to the risk of greater terrorism on our streets. Nor do I think we can continue with the present level of uncertainty about the future of our deployment in Afghanistan…»

Tous les quotidiens britanniques font leur titre sur ce départ, qui rend le discours de Brown, prévu pour relever le moral du pays dans cette stupide aventure, particulièrement inopérant. The Independent écrit, ce 4 septembre 2009:

«The British Government's strategy in Afghanistan was thrown into crisis last night after the Defence Secretary's right-hand man resigned in protest about the handling of the war. Eric Joyce, a former major in the Black Watch, announced that he was standing down as the parliamentary private secretary to Bob Ainsworth. He attacked the treatment of UK forces and protested that Nato allies were doing “far too little”, leaving British troops to shoulder more of the strain of combat. […]

»Mr Joyce did not doubt Mr Brown's commitment to Britain's armed forces, but said that “there seem to me to be some problems which need fixing with the greatest urgency”. He said: “I think we must be much more direct about the reality that we do punch a long way above our weight, that many of our allies do far too little, and that leaving the field to the United States would mean the end of Nato as a meaningful proposition.” […]

»Ministers faced a “critical time for Labour and Defence”. Mr Joyce stated: “It should be possible now to say that we will move off our present war-footing and reduce our forces there substantially during our next term in government.”»

Il y a de tout dans ces observations de Eric Joyce, comme par exemple le fait d’affirmer d’un côté que le comportement des alliés laissant l’essentiel de l’engagement aux USA “signifierait la fin de l’OTAN comme organisation ayant la moindre signification”, et de l’autre qu’il faut très rapidement abandonner la guerre, donc abandonner la chose aux seuls USA – l’une et l’autre propositions confrontées signifiant qu’effectivement l’OTAN n’existe plus et que les “relations spéciales” sont à peu près dans le même état. Ou encore – mais ceci poursuit cela, en un sens – lorsque Joyce écrit ces remarques, que nous devons savourer: «We also need a greater geopolitical return from the United States for our efforts. For many, Britain fights; Germany pays; France calculates; Italy avoids»… Car voici un Britannique qui se plaint que le Royaume-Uni assume un engagement important au prix du sang sans être payé de retour en quoi que ce soit (par les USA), tandis qu’il juge que “les Français calculent”, ce qui signifie qu’il les juge objectivement, selon un point de vue britannique, comme les plus malins, ou, dans tous les cas, comme les plus calculateurs en l’occurrence; une observation à fronts renversés, nous qui avons tant l’habitude de la réputation des Français d’agir pour les autres sans être payés de retour, et de celle des Britanniques de tout calculer avant d’agir, pour être payés de retour… (Renversement de la fameuse remarque selon laquelle “les Anglais sont prêts à se battre jusqu’au dernier Français”.)

• Un autre aspect intéressant du départ de Joyce est celui que développe le même Independent, en fin d’article. Cet officier de l’armé britannique était une forte tête, qui avait démissionné à cause de son caractère indiscipliné et son sens critique; qui s’était reconverti dans la politique, pour devenir une parfaite potiche conforme de l’establishment, en plus touchant des gros sous…

«…But after 12 years of distinguished service, including promotion to Major in 1992, his service was terminated after he described the Armed Forces as “racist, sexist and discriminatory”. His commanding officer described him as “uncommandable by me or anyone else”.

»This was not a characteristic he brought with him to Westminster however, after he narrowly defeated the Scottish National Party candidate in the 2000 Falkirk West by-election. So extreme was his loyalty to the Labour cause, particularly after the Iraq invasion, that it often drew ridicule.

»On Channel 4 News in 2004, Jon Snow asked him: “Is there anything that the Government has done with which you disagree?" Roy Hattersley referred to him as an “embarrassing sycophant” and suggested his loyalty might see him rise to “the giddy heights of parliamentary secretary”, which indeed it did. He first became parliamentary private secretary to Mike O'Brien at the Department of Trade and Industry in 2004 and later served as an aide to Margaret Hodge and John Hutton in the same department. When Hutton moved to the Ministry of Defence, he moved with him and remained there when Bob Ainsworth took over in June this year.

»As well as the Armed Forces, Joyce lists among his interests “poverty reduction”, which caused some mirth when the expenses scandal shed light on his efforts to reduce his own. In the 2005-06 parliamentary session, he claimed £174,811 in expenses, the highest of all MPs, and had the dubious distinction of becoming the first MP to claim cumulatively more than £1m. When one newspaper asked him what he would do if he were asked to repay any of the £40,000 of unpaid capital gains tax on the sale of his second home, he said he would “suck it and see”.»

Voilà donc une chose bien intéressante. Cet homme, cette tête brûlée, s’était complètement rangé, comme on dit d’un noceur qu’il fait un beau mariage avec la fille, assez laide, du riche notaire du coin. Après s’être aligné sur les travaillistes, il était devenu le parfait fonctionnaire du système, sans dire un mot plus haut que l’autre, répandant les mensonges virtualistes du blairisme avec zèle, se la fermant haut et fort et touchant les dividendes de la corruption courante qui vont avec. Soudain, il se révolte, il n’y tient plus. (Ou bien, s’agit-il encore d’un complot? On verra.) Il leur dit quelques vérités bien senties, dont le poids tient simplement en ceci qu’elles décrivent une réalité dont chacun a de plus en plus de mal à supporter la dissimulation derrière les discours absurdes des experts en communication nourris au petit lait agressif du néo-conservatisme.

Ce n’est pas seulement une intéressante leçon de choses sur les limites du caractère supportable (inventera-t-on le néologisme “supportabilité” pour la cause?) du mensonge en pratique quotidienne par la psychologie humaine, c’est une indication de plus que le système a de plus en plus de mal à aller faire paître tranquillement ses moutons malgré que l’herbe soit grasse et succulente. Il faut suivre les petits signes de la sorte, lorsqu’ils nous font signe dans des temps aussi agités.

S’il est habile, l’ex-major Joyce, et s’il tombe à pic, il pourrait former au Parlement un parti “multipartisan” (encore mieux que le “bipartisan” US) regroupant des parlementaires qui oseraient enfin dire tout haut, comme il l’a fait, ce que nombre d’entre eux pensent tout bas à propos de l'Afghanistan. Cela lui assurerait une belle fortune politique. L’ex-major Joyce appliquerait ainsi cette maxime que nous ne cessons de méditer, et qu’il nous est déjà arrivé de citer: «Tout peut, un jour, arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique.» (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, — Le Salut, p.659, La Pléiade.)


Mis en ligne le 4 septembre 2009 à 11H09