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508Le Government Accounting Office, équivalent US de la Cour des Comptes, vient de publier son rapport annuel sur le Joint Strike Fighter (JSF). Le temps nous a habitués à considérer ce document comme imperturbablement crique du programme JSF, que le GAO suit à la trace depuis des années. Pour autant, la critique est très généralement fondée et se trouve vérifiée par les faits ; la chose est clairement affirmée, justement dans ce rapport d’avril 2011 (disponible en version pdf depuis le 6 avril 2011). Bill Sweetman, qui consacre un article au rapport du GAO ce 8 avril 2011, note effectivement que le GAO ne doit pas être trop mécontent de rappeler à ceux qui ont souvent critiqué ses appréciations, que ses propres critiques étaient fondées : «Finally – and anyone who wants to comment with “the GAO is always négative” had better read this first – Appendix II of the new GAO report is an extensive and detailed “we told you so.”»
Dans son abstract, le GAO rappelle les problèmes rencontrés par JSF dans l’année écoulée, puis offre quelques considérations plus générales sur l’avenir du programme…
«After more than 9 years in development and 4 in production, the JSF program has not fully demonstrated that the aircraft design is stable, manufacturing processes are mature, and the system is reliable. Engineering drawings are still being released to the manufacturing floor and design changes continue at higher rates than desired. More changes are expected as testing accelerates. Test and production aircraft cost more and are taking longer to deliver than expected. Manufacturers are improving operations and implemented 8 of 20 recommendations from an expert panel, but have not yet demonstrated a capacity to efficiently produce at higher production rates. Substantial improvements in factory throughput and the global supply chain are needed.
»Development testing is still early in demonstrating that aircraft will work as intended and meet warfighter requirements. Only about 4 percent of JSF capabilities have been completely verified by flight tests, lab results, or both. Only 3 of the extensive network of 32 ground test labs and simulation models are fully accredited to ensure the fidelity of results. Software development— essential for achieving about 80 percent of the JSF functionality—is significantly behind schedule as it enters its most challenging phase.»
L’un des points relativement nouveaux mis en évidence par le rapport du GAO concerne ce qui est perçu comme une faiblesse des capacités furtives du JSF dans l’évolution actuelle du programme. Dans l’article cité, Sweetman cite précisément des extraits du rapport qui concernent ces problèmes relatifs à la technologie furtive intégrée dans le JSF, et qui impliquent que de nouvelles formules de production vont être développées, conduisant à des modifications sans doute disponibles en 2015 (ou plus tard), qui devront par conséquent être intégrées dans les exemplaires de JSF d’ores et déjà construits…
«“Defense Contract Management Agency officials noted difficulties in manufacturing outer mold lines, resulting from tight tolerance specifications and multiple manufacturing methodologies among the different JSF parts suppliers. The manufacturing processes are new and different from legacy practices.
»“Inability to meet the outer mold line requirements could have major impacts on cost as well as stealth requirements and capabilities.
»“This problem is not expected to be resolved until the June 2015 time frame after which a large number of aircraft will have been built and would need to be retrofitted for any design changes…»
Après cet extrait du rapport, Sweetman fait un commentaire de son cru sur cet aspect assez nouveau des difficultés du JSF. Outre l’aspect technique lui-même, on voit que l’extrême complication du programme, avec de nombreuses sources de production des composants de l’avion (dans ce cas, des sources ayant des techniques différentes), fait que ce qui est perçu comme une amélioration de la production devient une complication entraînant des révisions techniques, des modifications structurelles, des problèmes de délais et de coûts supplémentaires.
«When an airplane is illuminated by radar, several things happen. One of them is that the radar energy generates surface electrical currents that flow over the skin – it's been compared to St Elmo's fire. Physical or electrical discontinuities – steps and gaps, or where composites touch metal – can cause complex scattering and compromise stealth.
»Avoiding or managing the problem is a big deal in stealth design. Many early stealth aircraft made heavy use of putties and other sealants on panel gaps. That's undesirable, because if the sealants have to be removed and replaced it not only takes time directly, but may ground the aircraft while multiple layers of sealants and coatings are allowed to set.
»On the F-22, a lot of major panel joints were saw-toothed. With the F-35, however, the idea was to avoid that complexity and instead build the aircraft to higher tolerances.
»As for “multiple manufacturing methodologies among the different JSF parts suppliers”, this reminds me of research for a 2003 Air & Space story about the origins of Airbus: the visionary goal of having pieces from France, Germany and Britain turn up in Toulouse and just snap together took a lot of very difficult work.»
Les caractères du JSF sont tels que tous les échelons de l’évolution sont affectés de problèmes qui se manifestent dans toutes les directions. Ici, on se trouve devant un problème qui surgit et s’aggrave à mesure que le développement et la production progressent, notamment en découvrant la variété méthodologique des divers fournisseurs, – sélectionnés selon des critères de compétitivité économique, – qui conduisent à des disparités inacceptables pour les autorités centrales du programme dans la manufacture de pièces diverses de l’avion. On se trouve ici devant la contradiction, qui va bien plus loin que le cas d’Airbus évoqué par Sweetman, entre un programme gigantesque dont l’approche systématique est double, et entre deux orientations absolument contradictoires.
• D’une part, il s’agit d’un programme de très haute technologie et de très grande valeur de sécurité nationale. Il répond donc à des critères extrêmement précis, sinon tyranniques, venus d’une autorité centrale (le Pentagone, la bureaucratie militaire) extrêmement pointilleuse, absolument intransigeante dans ses exigences. C’est bien entendu le cas, particulièrement, pour la technologie furtive qui est le pilier technologique du programme, présentée comme la clef des capacités opérationnelles de l’avion, comme la justification absolue de la présentation qui en est faite d’un avion de combat de la 5ème génération, d’une supériorité fondamentale sur tous ses concurrents, etc. L’enjeu est donc énorme, et la nécessité de respecter les exigences de l’autorité centrale ne connaît aucune dérogation.
• D’autre part, l’économie du programme a été de rechercher et de suivre les règles de sélection des fournisseurs aux capacités technologiques données conformément à la doctriné du marché libre et de la concurrence, selon des critères effectivement économiques. Le but était, bien sûr, de parvenir à des coûts de développement et de production les plus bas possibles pour parvenir à un prix de vente très bas. Dans ce domaine, au contraire du précédent, les règles échappaient complètement aux autorités centrales pour devenir une simple comptabilité économique, charge aux contractants de trouver le meilleur moyen de parvenir à remplir leur partie du contrat. Ce “meilleur moyen” devient, comme on s’en aperçoit avec la technologie furtive qui répond à des règles de conception et de production extrêmement précises et strictes, la source de disparités inacceptables chez divers fournisseurs, pour répondre aux exigences de la technologie furtive.
Le résultat est, du point de vue du programme, qu’il semble bien que, dans de nombreux cas, ce soit plutôt les défauts des deux méthodes (centralisation bureaucratique et décentralisation économique) qui ont été privilégiés. Les conséquences en délais et en coûts sont bien entendu considérables. Il faut noter que nous ne sommes pas au bout de nos surprises de ce point de vue, mais au tout début, puisque nous entrons dans la phase où vont s’empiler les situations de fournitures extérieures, de coordination, de complémentarité, etc., avec dans tous ces cas la possibilité de problèmes nécessitant effectivement la recherche de solutions globales et la nécessité d’intégrer ces solutions dans les unités du JSF déjà produites. Dans le pire des cas, c’est-à-dire dans un cas presque absurde, on peut imaginer un programme JSF qui, à mesure qu’il progresse, s’allongerait de plus en plus, à mesure des modifications de plus en plus nombreuses à mettre en place, à intégrer dans la production et à réinstaller dans les modèles produits de plus en plus nombreux… Ce sont l’énormité du programme, ses contradictions radicales de gestion, les pressions antagonistes qui pèsent sur lui, les impératifs de la bureaucratie de sécurité nationales versus les impératifs économiques, qui permettent d’envisager des cas effectivement aussi absurdes.
Mis en ligne le 9 avril 2011 à 17H46
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