Le GAO, Juge Suprême?

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Avec sa prise de position concernant la marché du ravitailleur en vol de l’USAF KC-45, qui devrait être rapidement suivie d’une décision de l’USAF de recommencer le processus de sélection, le GAO s’impose comme un acteur central du jeu politique, bureaucratique et industriel autour du Pentagone. Rien n’a changé pourtant. Le GAO a, dans ce cas comme dans des centaines d’autres, fait son travail normal, réputé pour sa probité et sa précision. Mais les conditions du programme sont, elles, extrêmement différentes, elles sont même uniques, et elles impliquent nécessairement le GAO et son statut par leur résonnance médiatique et politique.

• Il s’agit d’un programme stratégique fondamental pour les USA (plus de 500 ravitailleurs en vol, avec une première tranche portant sur 179, pour remplacer les KC-135 datant des années 1950 et 1960). Ce programme aurait dû démarrer en 2003-2004 dans sa phase actuelle, après plusieurs autres périodes précédentes où l’on tenta sans succès de le lancer. Aujourd’hui, l’USAF voit sa flotte de ravitailleurs en vol au bord de l’impotence.

• Le sélectionné a été EADS (Airbus)/Northrop, c’est-à-dire principalement une société européenne. L’attribution de cet énorme contrat stratégique à l’Europe a soulevé une très vive émotion à Washington.

• Boeing a décidé de contester la décision de l’USAF, tant à partir d’arguments concernant le processus de sélection qu’à partir des caractéristiques de son modèle contre celui d’EADS/Northrop. L’affaire a été portée devant le GAO, qui a choisi logiquement d’apprécier le processus de sélection de l’USAF. Le GAO s’est interdit de juger des qualités des appareils, comme Boeing l’y invitait, dans la mesure où ce travail revient à l’USAF, mais à partir de son processus de sélection rénové selon les observations du GAO. Tout cela, – l’importance du programme, la polémique autour du choix, l’appel de Boeing, la position très “objective” du GAO, – a institué de facto le GAO en arbitre du litige, et de toute l’affaire en général. Tout le monde a accepté cette position, donnant au GAO une position suprême incontestable. Les circonstances ont donné au statut du GAO un poids politique nouveau sans que cet organisme en ait, à l'origine, le moindre en substance.

La GAO n’a aucun pouvoir d’imposer sa décision. Pourtant, son avis sera fort probablement suivi, ce qui implique que cet organisme est de facto investi d’une sorte de position de “Juge Suprême” dans cette affaire, par consensus de toutes les parties en présence. Ce n’est pas la première fois que ce cas se présente (avis du GAO de révision de procédure d'acquisition suivi par le Pentagone) mais le formidable retentissement de l’affaire fait de cette circonstance, là encore, un événement politique. Le GAO devient partie prenante, et partie prenante décisive avec une autorité politique dans cette sorte d’affaires liée au Pentagone. Cela intervient au moment où la contestation monte autour du Pentagone, avec des perspectives d’affrontements réformistes. Dans ces circonstances, le GAO sera d’autant plus sollicité comme autorité suprême et objective des cas de contestations diverses qui ne manqueront pas d’apparaître.

Cette position devrait influer sur l’autorité et l’influence du GAO dans d’autres affaires polémiques, dans d’autres “causes célèbres” du Pentagone. Le Congrès, qui va être impliqué dans la mise en cause du Pentagone, devrait utiliser plus qu'il ne l'a jamais fait le GAO, qui est son “bras comptable” pour les affaires publiques, dans les mois et années à venir pour tenter de reconquérir son influence au Pentagone. Quant au Pentagone, justement, il devrait cesser de considérer comme quantité négligeable, voire avec un mépris bureaucratique à peine voilé, comme il l’a fait jusqu’ici, les avis du GAO. La chose devrait notamment être importante pour le programme JSF, dont le GAO est un critique attentif et assidu. Dans ce cas délicat, le Pentagone va désormais devoir également s’abstenir de traiter avec condescendance les avis du GAO le mettant en cause. (Voir encore l’avis récent du Pentagone sur deux rapports du GAO sur le JSF, contredit par le rapport SAR du Pentagone: «La publication du SAR a été accompagnée de commentaires peu obligeants pour les estimations du GAO. Le major général C.R. Davis, qui dirige le programme, a fait ce commentaire: “[GAO] did not do any of their own estimates. They took other services’ and agencies’ estimates of the program and added those numbers together [some up to four years old]. They added $38 billion [in growth] to our program estimate of $298 billion. There is no basis to that estimate.”»)


Mis en ligne le 19 juin 2008 à 13H08