Le géant d’Airbus sur fond de négociation (non, querelle) transatlantique sur les principes

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Le géant d’Airbus sur fond de négociation (non, querelle) transatlantique sur les principes


18 janvier 2005 — Grande célébration aujourd’hui à Toulouse, avec la première sortie publique des hangars de l’Airbus A380, le “super-Jumbo” européen, qui doit asseoir la suprématie européenne sur Boeing, avec la deuxième année consécutive de suprématie des ventes d’Airbus sur Boeing.

(La cérémonie d’aujourd’hui est importante et elle est effectivement européenne, dans le sens qu'on n’ose donner, mais qui existe, d’une “Europe-puissance”. On sait bien quand l’Europe est puissante: les Britanniques se sentent européens au point d’annexer l’Europe. Ainsi, l’excellent Independent présente-t-il la présentation de l’A380 dans sa rubrique ‘UK’ et non dans sa rubrique ‘Europe’.)

Voilà pour passionner les foules et les hommes politiques. Les choses sérieuses, on le sait, se passent du côté de la table des négociations. Les Américains ont relancé l’attaque contre Airbus parce qu’il importait que GW fût réélu ; du coup, la fonction créant l’organe, cette attaque est devenue sérieuse. Le New York Times en fait un édito en se félicitant du climat de bonne entente Europe-USA tout en ne doutant pas que les négociations déboucheront là où le bon sens et la vertu veulent qu’elles débouchent: sur la capitulation d’Airbus (par l’abandon de la pratique des subsides publics).

La satisfaction a été unanime que la querelle, d’abord portée devant l’OMC, en a été retirée pour revenir en bilatéral transatlantique : trois mois de négociations entre l’Europe (Mandelson, Commissaire européen) et Washington (le remplaçant de Zoellick) pour finir par s’embrasser (“Embrassons-nous, Folleville”), accord évidemment conclu.

Tout cela est un peu vite dit. Il nous paraît bien étrange de se réjouir que la querelle revienne en transatlantique, comme si le dialogue transatlantique était un tapis magique où tout se résolvait. Même avec un Britannique en charge de la partie européenne (Mandelson), la partie est loin, très loin d’être jouée. Airbus représente un des rares domaines de puissance acquise des Européens, c’est-à-dire un domaine où les représentants de l’Europe, même s’ils sont britanniques, ont beaucoup plus de mal qu’à l’accoutumée de céder.

D’autre part, l’aspect politique a joué un rôle très important, peut-être décisif pour les deux côtés. Il importait d’annoncer ces négociations avant la venue de Bush à Bruxelles, pour renforcer le climat d’une reprise apparente de la coopération, et faire de cette visite un succès, au moins en apparence. (Même le patron de Boeing, Harry Stonecipher, qui est tout sauf un tendre, a salué la reprise des négociations comme une démarche qui faisait espérer un accord. Il fallait que les consignes officielles d’apaisement fussent impératives.) Cette idée de faire de la visite de Bush un succès est aussi importante pour les deux parties. Passée la visite, cette obligation politique de coopération a toutes les chances de disparaître.

Les négociations s’ouvrent alors que les deux parties ont des positions différentes sur une question, non pas de volume, non pas de nuances, non pas de quantités, mais une question de principes: subsides ou pas, c’est-à-dire intervention de l’Etat ou pas. L’édito du NYT, malgré son ton doucereux, ne cache pas la différence radicale des positions et, comme on l’a dit, ne voit qu’une issue à ces négociations, — non pas un compromis là où c’est d’ailleurs impossible, mais la capitulation de celui qui doit capituler.


« Announcing last week the agreement to try to settle the dispute out of court, American and European negotiators characterized the coming talks in worryingly different ways. The Americans said they were pleased that Europe had finally agreed that the elimination of all subsidies was the ultimate goal. The Europeans said that while that was the goal, subsidies might be allowed if they were fair and open.

» It's long past time for Airbus to fly on its own. The Bush administration should make sure that this time, it gets the end of subsidies etched in stone. »


Le commentaire du Christian Science Monitor du 21 octobre 2004 reste toujours d’actualité: « On the surface, the dispute appears to be about boosting jobs and exports. But really, it's a magnification of the European-US culture clash over the role of government. » Au lieu d’aplanir les termes du débat, comme cela aurait été le cas devant l’OMC où l’on n’aurait fait que débattre du cas juridique, la négociation transatlantique risque au contraire de les magnifier, de les grandir, effectivement de transformer cette négociation en « European-US culture clash ».

L’état d’esprit européen dans cette négociation sera nécessairement marqué par un certain triomphalisme, ce que les Américains jugent déjà comme de l’arrogance de la part d’Airbus, évidemment renforcé par la sortie de l’A380 comme par l’annonce d’une deuxième année consécutive (2004) où Airbus vend plus que Boeing. L’état d’esprit américain est encore mieux souligné par un commentaire intéressant de Irwin Stelzer, dans le Sunday Times du 16 janvier. Stelzer est un Américain de Heritage Foundation, proche de la droite dure et de l’administration GW. Il place la question des négociations USA-Europe dans le cadre des récriminations USA-Europe sur la position du dollar (« The blame game hots up as dollar keeps falling »).

Voici ce qu’écrit Stelzer sur la question Airbus-Boeing :


« To make matters worse, good news turned to bad in the fraught negotiations between America and the European Union over aircraft subsidies. Last year Europe’s Airbus delivered more passenger jets than America’s Boeing (320 as against 285), and it will do so again this year (350-360 compared with 320).

» As if that were not bad enough from the American point of view, Airbus has announced that it will add smaller planes to its line of giant long-distance aircraft, designed to compete directly with Boeing’s main product line.

» Both manufacturers have long accused each other of receiving subsidies that are illegal under the rules set by the World Trade Organisation (WTO).

» But they agreed not to file suits at the WTO when US trade representative Bob Zoellick and EU trade commissioner Peter Mandelson struck a deal to negotiate rather than litigate their differences — or so it seemed.

» The ink was hardly dry on the document, and Mandelson had hardly finished taking bows and accepting kudos, when The Wall Street Journal reported Mandelson's “surprising admission” that he had settled only because he knew he would lose if he went to the WTO. And Airbus announced that it was seeking a €1 billion subsidy from four governments, including Britain, to help it meet the €4 billion cost of launching its A350 long-range airliner.

» Zoellick, meanwhile, will be leaving the trade job to take over the No2 post under Condoleezza Rice when she is confirmed as secretary of state in a few weeks. His successor will be wondering just what it means to agree a deal with Mandelson, only to see it come unstuck within days of the favourable press notices. »