Le général Allen, le massacre afghan et leur “barbarie intérieure”

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Le massacre de 16 Afghans par un soldat (sergent) US aussitôt présenté comme “mentalement dérangé”, – ou peut-être étaient-ils plusieurs soldats dont on peut être moins assuré de telle pathologie de la psychologie, – a rendu Robert Fisk, de The Independent, particulièrement irrité, furieux, “malade” de dégoût... Il l’écrit dans cet article du 17 mars 2012, dans lequel il apporte des précisions particulièrement intéressantes. Il y est question, autant des réflexes-Système de la presse en général, que de l’intervention du général commandant l’U.S. Army en Afghanistan antérieure au massacre mais qui mériterait de lui être liée sans aucun doute.

«I'm getting a bit tired of the “deranged” soldier story. It was predictable, of course. The 38-year-old staff sergeant who massacred 16 Afghan civilians, including nine children, near Kandahar this week had no sooner returned to base than the defence experts and the think-tank boys and girls announced that he was “deranged”. Not an evil, wicked, mindless terrorist – which he would be, of course, if he had been an Afghan, especially a Taliban – but merely a guy who went crazy.

»This was the same nonsense used to describe the murderous US soldiers who ran amok in the Iraqi town of Haditha. It was the same word used about Israeli soldier Baruch Goldstein who massacred 25 Palestinians in Hebron – something I pointed out in this paper only hours before the staff sergeant became suddenly "deranged" in Kandahar province.

»“Apparently deranged”, “probably deranged”, journalists announced, a soldier who “might have suffered some kind of breakdown” (The Guardian), a “rogue US soldier” (Financial Times) whose “rampage”’ (The New York Times) was “doubtless [sic] perpetrated in an act of Madness” (Le Figaro). Really? Are we supposed to believe this stuff? Surely, if he was entirely deranged, our staff sergeant would have killed 16 of his fellow Americans. He would have slaughtered his mates and then set fire to their bodies. But, no, he didn't kill Americans. He chose to kill Afghans. There was a choice involved. So why did he kill Afghans? We learned yesterday that the soldier had recently seen one of his mates with his legs blown off. But so what?

»The Afghan narrative has been curiously lobotomised – censored, even – by those who have been trying to explain this appalling massacre in Kandahar. They remembered the Koran burnings – when American troops in Bagram chucked Korans on a bonfire – and the deaths of six Nato soldiers, two of them Americans, which followed. But blow me down if they didn't forget – and this applies to every single report on the latest killings – a remarkable and highly significant statement from the US army's top commander in Afghanistan, General John Allen, exactly 22 days ago. Indeed, it was so unusual a statement that I clipped the report of Allen's words from my morning paper and placed it inside my briefcase for future reference.

»Allen told his men that “now is not the time for revenge for the deaths of two US soldiers killed in Thursday's riots”. They should, he said, "resist whatever urge they might have to strike back” after an Afghan soldier killed the two Americans. “There will be moments like this when you're searching for the meaning of this loss,“ Allen continued. “There will be moments like this, when your emotions are governed by anger and a desire to strike back. Now is not the time for revenge, now is the time to look deep inside your souls, remember your mission, remember your discipline, remember who you are.”

»Now this was an extraordinary plea to come from the US commander in Afghanistan…»

La présentation que donne ainsi Robert Fisk de cette affaire offre une dimension bien différente de la version aseptisée que le réflexe-Système a imposé à la plupart des commentateurs qui sont sous l’empire du même Système. Elle la place hors de la “logique” que développe constamment le Système pour dissimuler la barbarie postmoderniste générale qui a envahi “les actions” en cours dans le cadre général de ce qui est devenu une activité politique et militaire convulsive, paroxystique et pathologique, – les caractères ironiquement inadéquat de “politique” et “militaire” passant au second plan et s’estompant à très grande vitesse. En effet, il nous paraît que l’évolution est très rapide du passage des derniers restes de “rationalité” dans cette activité, à un désordre psychologique général et complet, entraînant des actes primitifs de haine et de vengeance pure, à partir d’une position qui prétend s’affirmer comme civilisatrice, ou plutôt, dans sa version dite downgraded, qui s’affirme comme “humanitariste”. Nous atteignons à la sauvagerie primitive du barbare à partir de la barbarie sophistiquée et hypocrite du barbare postmoderne, et la seconde sans perdre la première mais les deux s’ajoutant, et la boucle ainsi bouclée pour établir le lien entre la postmodernité et ce qu'elle est exactement de totalement primitif et sauvage dans l'échelle des valeurs plus que dans l'évolution de l'humanité.

Ce que dit implicitement le général Allen, tel que Fisk en rapporte l’intervention, c’est que ces activités-Système, dite par nous du bloc BAO, sont passées du cadre de “conflits” tant bien que mal contenus dans leur perception dans des normes politiques et militaires qu’on voudrait courantes et justifiés, à une insubstance générale de désordre, de confusion et de folie manifestes, concrétisée par des actes également convulsifs, des sentiments extrêmes de sauvagerie, des mécanismes de règlements de compte de type primaire, – tout cela effectivement caractéristiques de la barbarie à l’état pur. C’est-à-dire que la “barbarie intérieure” de la postmodernité (telle que la définit Jean-François Mattei), si elle ne cesse de s’affirmer, se manifeste désormais par des activités et des actes de barbarie primaire : le barbare postmoderniste a atteint le stade d’activité du barbare primitif, mais sans la possibilité qu’avait ce barbare primitif d’évoluer vers un état d’amélioration de soi-même.

Le 24 janvier 2012, nous rappelions la définition que Mattéi donne du “barbare intérieur” que nous sommes devenus : «Dans son règne rationnel sur toute la planète, la civilisation européenne n’a pas dissous la barbarie en conquérant de lointaines steppes ou de nouveaux déserts ; elle l’a introduite en son sein et s’est laissée gagner par son propre processus de dissolution, irriguant de son sable ses déserts intérieurs.» Le terme est bien justement employé par Mattei, que nous employons souvent nous-mêmes tant il définit cette évolution intérieure des psychologies entraînées par le Système dans son propre processus d’autodestruction : la dissolution de soi-même. Le commandant de l’U.S. Army en Afghanistan (général Allen) en est autant l’exemple par ses conseils de modération qui semblent en réalité prévoir sinon suggérer les réactions prévisibles de la barbarie en reconnaissant leur possibilité, que le “soldat mentalement dérangé” (sorte de sergent John Doe, archétype de l’homme de la troupe) qui a effectué le massacre ; tous les deux ne sont pas personnellement “mentalement dérangés”, d’une façon individuelle qui exonérerait le Système d’une responsabilité collective, mais touchés de plein fouet par le “dérangement mental” dévastateur qu’impose le Système à tous ses serviteurs trop affaiblis, trop psychologiquement “dissolus“ pour lui résister. L’impunité des deux (le général Allen toujours et plus que jamais en fonction bien qu'incapable de juguler cette barbarie, le sergent “dérangé” prestement évacué vers des juridictions plus compréhensives pour son acte) est la preuve eschatologique indubitable et suffisante qui nous est fournie, à la fois de l’essence de l'acte comme symbole d'aboutissement de cette guerre nihiliste (le massacre), à la fois de leur responsabilité qui s’inscrit dans le cadre contraignant de la barbarie du Système, à la fois de leur pathologie de la psychologie. L’affaire marque, ou bien confirme, que l’Afghanistan n’est plus seulement, ou même plus du tout, une guerre immonde, à la fois nihiliste et incompréhensible par ses caractères incohérents et arbitraires, d’une bassesse humaine caractéristique de l’époque, mais qu’elle s’est encore abaissée, pour devenir, comme d’ailleurs tous les autres “théâtres” extérieurs et intérieurs de notre crise, le développement général de cette “barbarie intérieure” qui s’extériorise sans plus aucun frein dans une primitivité qui semble lui être devenue consubstantielle et irrésistible. Le massacre avait bien besoin, pour être parfaitement défini et compris, de la déclaration-Système du général Allen pour être apprécié pour ce qu’il est ; le soldat est donc allé, avec sa pathologie de la psychologie, explorer le fond de son âme, il s'est rappelé sa mission, il s'est rappelé la discipline à laquelle il est soumis, il s'est rappelé qui il est, et il a agi ; il en résulte un acte archétypique couronnant une guerre insensée, nihiliste et cruelle, et il témoigne de l’expression désormais constante, dans tous les actes que nous posons et commettons, de la folie qui caractérise cette contre-civilisation se débattant dans la phase terminale de sa Chute.


Mis en ligne le 17 mars 2012 à 05H42

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