Le général israélien qui en disait trop

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Uzi Eilam a 75 ans. Il fut général détaché de Tsahal, chargé du programme nucléaire israélien et, en général, de toutes les matières nucléaires pour Israël. Concernant l’Iran, Eilam a quelques mots qui tuent, idem sinon plus concernant Israël et son establishment de sécurité nationale.

Le Sunday Times du 10 janvier 2010, la plume un peu contrainte et sans faire un édito pour la cause, rapporte les paroles d’Eilam: les capacités nucléaires militaires de l’Iran sont un mythe et l’hystérie des dirigeants israéliens actuels n’y est pas pour rien.

«A general who was once in charge of Israel’s nuclear weapons has claimed that Iran is a “very, very, very long way from building a nuclear capability”. Brigadier-General Uzi Eilam, 75, a war hero and pillar of the defence establishment, believes it will probably take Iran seven years to make nuclear weapons.

»The views expressed by the former director-general of Israel’s Atomic Energy Commission contradict the assessment of Israel’s defence establishment and put him at odds with political leaders. […]

»Eilam, who is thought to be updated by former colleagues on developments in Iran, calls his country’s official view hysterical. “The intelligence community are spreading frightening voices about Iran,” he said.

»He suggested that the “defence establishment is sending out false alarms in order to grab a bigger budget” while some politicians have used Iran to divert attention away from problems at home. “Those who say that Iran will obtain a bomb within a year’s time, on what basis did they say so?” he asked. “Where is the evidence?”

»He has just published Eilam’s Arc, a memoir in which he reveals that he opposed the Israeli attack on Iraq’s nuclear reactor at Osirak in 1981.

• A propos d’une possible attaque israélienne contre l’Iran, Eilam observe: «[S]uch an attack would be counter-productive. One strike is not practical. In order to delay the Iranian programme for three to four years, one needs an armada of aircraft, which only a super-power can provide. Only America can do it.»

Notre commentaire

@PAYANT Les vieux soldats sont parfois embarrassants. Il semble probable qu’on ne fera pas les gros titres de ces déclarations d’Uzi Eilam, qui contredisent vertement les dernières évaluations à la mode des supposées capacités nucléaires, correspondantes à une supposée volonté de se doter de l’arme nucléaire, de l’Iran. Sur le fond, l’évaluation du général Eilam n’a rien pour étonner – et tout pour confirmer l’univers de manipulation frénétique dans lequel se débattent l’establishment de sécurité nationale israélien, et, derrière lui, ses correspondants divers dans le système américaniste et occidentaliste. Bien entendu, observer que le roi est nu au milieu d’une foules d’hystériques braillant à propos de la forme et des couleurs explosives des vêtements royaux constitue une démarche bien déstabilisante.

…Car le mot essentiel est là, quelles que soient les raisons qu’avance Eilam pour expliquer cet état: «Eilam […] calls his country’s official view hysterical.» Effectivement, l’état d’esprit est celui de l’“hystérie” même sous une forme très particulière, qui mérite des guillemets, qui est celle d'un enchaînement quasi-mécanique; bien entendu, on le rencontre aussi bien ailleurs qu’en Israël, qu’en Israël même. Eilam caractérise l’évaluation qu’on fait des capacités et des intentions iraniennes, mais cela pourrait être aussi bien que celles qu’on fait des attentats terroristes, d’al Qaïda au Yémen, de la situation en Afghanistan, des intentions russes ou de la volonté d’hégémonie de la Chine, des manœuvres de Chavez ou de la vente du Mistral à la Russie. Le mot “hystérie” caractérise aujourd’hui l’évaluation de la communauté experte en général dans les pays occidentaux, ou du courant occidentaliste et américaniste, de cette communauté qui est proche du pouvoir, qui sert le pouvoir et qui l’influence à la fois. Cette attitude “hystérique” rencontre effectivement les analyses des directions politiques et les influencent dans ce sens, lesquelles analyses des directions politiques, à leur tour, pèsent sur les évaluations des experts dans le même sens. Il y a bien “hystérie” et nullement manipulation; il y a bien un circuit fermé qui tourne en rond avec des groupes qui s’influencent les uns les autres dans le même sens et nullement des groupes d’influence d’une part et des groupes influencés d’autre part. Cette circulation en circuit fermé, caractérisée par l’“hystérie” générale, semble écarter les notions de “responsables” et de “victimes” de manipulation, de “manipulateurs” et de “manipulés”, à l’intérieur des cercles de direction, d’experts et de chefs militaires, et de dirigeants politiques. Il s’agit du phénomène de groupthink ou groupthinking, ou de virtualisme bureaucratique, poussé à l’extrême de l’“hystérie”, qui conduit par ailleurs à l’anathème et à l’excommunication automatiques et conjoncturelles de celui qui tente d’y échapper. (“Conjoncturelle” parce que même ces attitudes de rejet relèvent de l'automatisme et ne durent que le temps de l'incident.)

Eilam ne se soucie sans doute guère d'être excommunié, il est trop vieux pour cela. Il existe d’autres voix discordantes, en Israël et ailleurs, y compris certaines qui viennent de ces milieux d’experts si bien qualifiés d’“hystériques”, y compris bien entendu nombre d’avis de “dissidents” du système, aussi qualifiés sinon plus que ceux du système pour émettre un avis sur les problèmes envisagés. Nous vivons dans cette sorte d’état second, ou dans cette sorte d’état double où se côtoient cette “hystérie” générale des milieux dirigeants et d’experts, et les voix discordantes qui les accompagnent et les dénoncent, parfois même venues de ces milieux. Mais rien ne semble devoir vraiment confronter les uns et les autres même si ce sont occasionnellement les mêmes, jusqu’à provoquer un débat d’où pourrait jaillir quelque lumière assurée. C’est le propre de l’“hystérie” de ne pas envisager le débat, là où la pathologie encore plus que la foi ou l'idéologie sert d’aliment à la réflexion, et le conformisme pathologique et quasiment mécanique de mode d’attitude. Cette question de l’armement nucléaire de l’Iran qui nous est promis, notamment par les experts israéliens, pour dans 6 mois-un an depuis à peu près 2005, atteint aujourd’hui un degré d’intensité “hystérique” qui dépasse largement celui qui a accompagné la question des “armes de destruction massive” de Saddam Hussein. Notre conviction est plus que jamais qu’il s’agit de l’effet d’une mécanique à l’œuvre qui nous dépasse et n’a même plus de but politique cohérent, dont le groupthinking est un des rouages psychologiques essentiels, et dont l’“hystérie” grandissante est le résultat de la confrontation de plus en plus contraignante avec la réalité. (Confrontation avec la réalité? Notamment parce que des puissances importantes comme la Chine et la Russie, qui ont de plus en plus leur mot à dire et de plus en plus leur place dans les rouages internationaux par où passe l’action vis-à-vis de l’Iran pour le cas qui nous occupe, échappent à cette “hystérie”; notamment parce que ces projets “hystériques” sont extrêmement risqués, dévastateurs, et que les puissances concernés ont de moins en moins de moyens pour les conduire à bien, et de plus en plus de craintes à ce propos.)

Bien entendu, de telles déclarations venant d’un général israélien, spécialiste des questions nucléaires de surcroît, vont encore exciter cette “hystérie” générale parce qu’aucun argument rationnel et convainquant ne peut lui être opposé. Là-dessus, il est en difficile de proclamer que le général Uzi Eilam est un antisioniste, voire un antisémite, et qu’il favorise secrètement le projet de sombres puissances qui cherchent à “rayer Israël de la carte”. Quelle explication trouver? L’argument de la sénilité est tout aussi court, car Uzi Eilam semble bien montrer qu’il ne l’est pas du tout, autant qu’il semble bien parler à partir de données précises qu’il a obtenues de l’intérieur même du système, où des experts “hystériques” laissent parfois échapper quelques avis sensés lorsqu’ils échappent un instant à l’emprise de ce système qui impose l’“hystérie”. Ces déclarations ne vont faire qu’accentuer le malaise de cette confrontation de l’“hystérie” avec la réalité, accentuer cette “hystérie” et ainsi de suite.


Mis en ligne le 11 janvier 2010 à 05H54