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15 mars 2007 — Pour une fois que le vote d’une assemblée est intéressant avant qu’il ait lieu et après qu’il ait eu lieu, ne boudons pas cet intérêt. Nous parlons de perception bien plus que des faits comptables (résultat du vote, identité des votants, etc.). Il s’agit du vote des Communes sur le Trident.
Ce fut une victoire “à la Pyrrhus” pour Blair et, d’une certaine façon, un succès pour les conservateurs. Blair l’emporta grâce aux conservateurs.
Débarrassons-nous des chiffres avec ce premier paragraphe d’un article de The Independent sur lequel nous reviendrons plus loin : «Ninety-five Labour MPs, including the former ministers Michael Meacher, Gavin Strang and Frank Dobson, voted against the Government on a rebel motion calling for the decision on Trident to be delayed. It was defeated with Tory support by 167 votes to 413. The motion in favour of building new Trident submarines was passed by 409 votes to 161. It exceeded the 72 who rebelled on student top-up fees some years ago.»
L’intérêt de cette affaire, derrière les discours comme d’habitude de piètre intérêt des hommes politiques, se trouve sans aucun doute dans les réactions de la presse. La première remarque est négative. Nous avons consulté trois des principaux journaux qu’on situe du côté des conservateurs, ou du moins à droite, pour y trouver, enfoui en bout de sommaire (nous parlons des sites), un article pour chacun qui rivalise dans la médiocrité et dans une sorte d’anonymat sans goût ni saveur. Il s’agit du Times, du Daily Telegraph et du Financial Times. Ils avaient pourtant toutes les raisons de pousser quelques cris de victoire :
• Ils sont pro-défense et pro-US et le renouvellement du Trident, qui rencontre ces préoccupations (défense forte et systèmes US), comble ces deux tendances.
• Les travaillistes ont montré leurs divisions, annonçant bien des difficultés pour Brown, et les conservateurs se sont montrés les maîtres du jeu.
La presse de “gauche” ou, disons, plus proche des travaillistes, se lamente. Elle le fait, entre nos deux journaux habituellement consultés, — le Guardian et l’Independent — de différentes façons.
• Le Guardian critique toute l’opération d’une façon, dirons-nous, assez geignarde et de bien peu d’intérêt : en mélangeant le semi-argument moral (à peine), l’argument moderniste (le système nucléaire est dépassé), etc. Lorsqu’il écrit dans son
«Supporters of renewing Trident, who have no specific case of their own for new weapons, have tried to paint its critics as outdated and dangerous. But it is those who back the British nuclear deterrent, though it has no one to deter, who have been left behind. Labour yesterday left the door open to think again, though the circumstances of the prime minister's apparent offer of a future vote are unclear. Gordon Brown should clarify them, in his party's next election manifesto and in the next parliament, and free MPs to reach a better decision than they managed last night.»
• Finalement, c’est dans l’Independent que nous avons trouvé notre miel. Ce passage, extrait de l’éditorial, vaut effectivement de l’or :
«This newspaper is not unilateralist. We believe that Britain should have strong defences. Immediately after the end of the Cold War, we argued that it was too soon to make any irrevocable change in defence provision. Fifteen years on, the picture is clearer. Trident was conceived to counter the military threat from the Soviet Union. Both concept and purpose are now obsolete.
»We sympathise with those who contend that some of the money earmarked for Trident — a cool £20bn or so — would be better spent on equipping our troops properly for the wars they are fighting in Iraq and Afghanistan. But this argument is short term. Our troops should be properly equipped regardless. The more compelling arguments against upgrading Trident relate to the future direction of British defence policy.
»To renew Trident means to renew a commitment to an outdated policy. It means to tie ourselves for another 20, probably 40 years, to the existing alliance with the United States on the present terms, even though Iraq has raised all sorts of questions about its usefulness. It means to perpetuate the illusion that this nuclear deterrent is truly independent.»
Cette partie du commentaire de The Independent est lumineuse parce que, notamment, elle laisse à peine subsister une ambiguïté pour finalement éclairer tout le propos. Au début de l’extrait, le système nucléaire est décrit comme obsolète, dépassé, etc. («Trident was conceived to counter the military threat from the Soviet Union. Both concept and purpose are now obsolete») ; mais, à la fin de l’extrait, ce n’est plus le système qui est obsolète, dépassé, mais la politique qui fait qu’on le renouvelle (« To renew Trident means to renew a commitment to an outdated policy») ; c’est-à-dire l’alliance avec les USA, dont le Trident est à la fois la charge et le symbole («…to tie ourselves for another 20, probably 40 years, to the existing alliance with the United States on the present terms, even though Iraq has raised all sorts of questions about its usefulness») ; pour terminer enfin par la suggestion implicite que le vrai travers du Trident est qu’il n’est pas une force indépendante («It means to perpetuate the illusion that this nuclear deterrent is truly independent»).
Cet éditorial, et ce passage précisément, nous paraissent saisir l’essence de la chose. Ils expliquent, à notre sens, d’une façon indirecte mais puissante, le désordre du scrutin, l’indiscipline des votants, la réserve des vainqueurs et l’incertitude ou la platitude des commentaires, — ou l’absence de commentaires. Le sentiment général qui domine est bien la perception d’une gêne considérable, et le commentaire de l’Independent en propose la cause.
Il devient de plus en plus difficile, au Royaume-Uni, de se supporter comme allié servile et inconditionnel des USA tout en proclamant la grandeur de la chose (“national grandeur” !). Cette alliance est devenue, depuis l’Irak et les palinodies incroyables qui ont accompagné cette affaire, depuis l’Afghanistan et les humiliations permanentes que subissent les Britanniques de la part de leurs “amis“ et “cousins” bien-aimés, un boulet, une charge psychologique épouvantable. On n’ose pas trop en parler quand il est possible de n’en pas parler, — mais comment n’en pas parler ? — et alors, la confusion éclate, surtout lorsqu’un éditorialiste explique que le roi est nu (l’édito de l’Independent).
Tout tient encore à peu près parce qu’un illuminé continue à tenir la barre. Mais lorsque Tony Blair sera parti ? Nous tenons plus que jamais à notre appréciation que le Royaume-Uni va connaître une crise majeure à cause de cette sujétion aux USA. Nous ignorons comment, de quelle façon, par quel biais, et nous serions bien présomptueux de faire quelque hypothèse à cet égard. Mais nous jugeons qu’une telle charge psychologique ne peut être soutenue longtemps, dans un tel pays (l’Angleterre n’est ni le Danemark, ni la Pologne, — quoique, même dans ces pays). Le départ de Blair sera certainement un événement central à cet égard, comme l’on dégoupille une grenade ; reste à savoir quel événement desserrera l’étreinte de l’engin et permettra son explosion.