Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1261
18 mai 2002 — Un autre facteur essentiel apparaît dans le scandale qui secoue Washington depuis trois jours, un élément de plus qui pourrait transformer, — très vite, si cela doit se faire, — ce scandale devenu une crise en un événement marquant un changement important. Il s'agit de l'attitude de la presse américaine, plus précisément les grands médias nationaux de Washington.
Parmi d'autres, deux choses principalement ces jours derniers :
• Le retournement incroyable de Dan Rather, 70 ans, l'homme-phare des médias US. Le présentateur de CBS avait marqué la crise du 9/11 d'un numéro grotesque le 17 septembre, lorsqu'il était venu, larmes aux yeux, dire à un talk-show de CBS qu'il ferait tout ce que lui dirait de faire le président, qu'il se considérait comme mobilisé, — ce qui laissait à penser sur ce qu'allaient devenir la liberté de la presse et l'esprit critique. En un tournemain, Rather a complètement changé. Les médias britanniques ont largement rapporté ce virage de Dan Rather, notammentle Guardian et la BBC dans ses éditions sur site. Il ne s'agit pas ici de se montrer critique, voire sarcastique devant le virage de Rather. Quoiqu'il en soit, il y a sans aucun doute une réelle sincérité, aussi bien dans la position grotesque du 17 septembre de Rather que dans son revirement (et c'est bien là qu'est le problème, — qu'il y ait de la sincérité dans tout cela). Ce qu'il nous intéresse de signaler ici, c'est l'impact de cette prise de position.
• La conclusion, très vite tirée par le Washington Post, que la presse américaine a basculé en vingt-quatre heures dans son attitude vis-à-vis de l'administration GW : du soutien inconditionnel et quasiment béat à une attitude de critique sérieuse, voire de colère. Une citation n'est pas inutile :
« In a single day, the capital's media climate has been transformed. Reporters pounded White House spokesman Ari Fleischer and national security adviser Condoleezza Rice at briefings yesterday, skepticism and even indignation in their voices, as they demanded detailed explanations. It was, in short, far different from the tone of flag-bedecked networks after the Sept. 11 attacks, when President Bush, riding a wave of popularity and patriotism, was treated with deference by the media. Indeed, the administration likely never faced a more hostile press corps than yesterday. »
Cet événement, s'il se confirme, est essentiel. Autant l'administration GW était intouchable, quoiqu'elle fît, après 9/11. Autant elle devient désormais vulnérable à une attaque médiatique. Si celle-ci se poursuit, elle devrait rapidement atteindre à une intensité qui rappellerait celle des grandes périodes de polémique médiatique à Washington. (Dans certains cas extrêmes que l'on peut envisager avec le développement de cette crise, la polémique médiatique pourrait surpasser celle qui fut menée contre Nixon durant l'affaire du Watergate).
Si, — les “si” sont si importants dans cette sorte d'appréciation, — le climat se confirme, c'est l'administration GW qui est directement mise en cause, et tout ce qui va avec, sa politique, la guerre contre le terrorisme, etc. D'ores et déjà, les révélations affluent et nous ne sommes qu'au début, et l'on peut alors envisager que l'on puisse passer aisément de la question autour de l'accusation d'incompétence à la question autour de l'accusation de machination. Dans ce cas, tout deviendrait possible, y compris, au bout du compte, la possibilité ouverte d'une crise institutionnelle. En attendant le déroulement de cette affaires dans les prochaines semaines qui risquent d'être très agitées, les questions qui doivent nous faire réfléchir sont les suivantes :
• L'administration ne risque-t-elle pas d'être conduite à des manoeuvres de diversion si les attaques contre elles s'intensifient ? (Notamment, l'hypothèse d'une attaque contre un État qualifiée de “terroriste”, pour tenter de retrouver la mobilisation patriotique qui ferait taire la presse.)
• Les pressions de cette crise ne risquent-elles pas de briser la cohésion de l'équipe GW ? On voit déjà que GW lui-même et Cheney sont directement attaqués et ripostent en s'engageant dans la thèse officielle. On voit aussi que certains restent très prudents, alors qu'ils nous ont habitués à plus d'alacrité (c'est le cas de Rumsfeld).