Le Gripen et sa contre-offensive brésilienne

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La Suède suit largement la voie française dans son offre faite au Brésil pour tenter d’emporter le marché d’un nouvel avion de combat brésilien (programme FX-2). Defense News, le 25 novembre 2009, consacre un article à la visite d’une délégation suédoise au Brésil, qui a eu lieu les 25 et 26 novembre. La délégation était essentiellement composée d’industriels suédois, menés par SAAB, et elle avait à sa tête le ministre suédois de la défense Sten Tolgfors. Les rencontres ont eu lieu au niveau militaire et industriel, mais également politique, autant, selon ce qui était prévu, avec le ministre de la défense brésilien qu’avec le président Lula lui-même.

«The discussions mark an escalation in the Swedish government's push to persuade Brazilian authorities to engage in a broad aerospace partnership with Sweden. The possible collaboration hinges on Brazil agreeing to purchase the Gripen, Sweden's export-driven combat aircraft. “The Brazilian government is close to making a decision on which type of fighter plane to purchase, even though the exact decision date is not known. We want to use every opportunity to highlight the Gripen, and we hope to be able to advance Sweden's interest in this,” Tolgfors said.»

Les Suédois ont structuré leur offre selon les lignes de l’offre française, avec transfert complet de technologies, fabrication de Gripen au Brésil, exclusivité donnée au Brésil de commercialiser le Gripen en Amérique du Sud, offre de partenariat de SAAB dans la construction et le développement de l’Embraer KC-390.

Defense News, qui fait une place importante à la “contre-offensive” suédoise alors qu'il était resté assez élégamment discret à propos des premières péripéties franco-brésiliennes, ajoute un avantage pour les Suédois, selon son interprétation: «Another trump card in Saab's offer is that Brazil would have the full freedom to choose weapon systems for the fighter. Sweden has spiced up its offer by guaranteeing a countertrade package worth 175 percent of the aircraft order value.»

Notre commentaire

@PAYANT D’une façon générale, les Américains restent en retrait avec le F/A-18E/F Super Hornet. Les Français considèrent que les USA, ayant perdu tout espoir de remporter le marché, soutiennent à fond les Suédois. On a déjà vu que cette thèse est largement répandue, le soutien US étant appuyé sur des garanties de transfert de technologies (technologies US intégrées dans le Gripen) reposant sur l’engagement US à ce sujet – dont on sait, selon la formule consacrée, qu’il vaut ce qu’il vaut, et qu’il vaudrait notamment selon le montage US habituel dans cette sorte de circonstances – promesse assurée au départ, se perdant dans le marigot des interventions tatillonnes du Congrès. Cette situation s’est établie à partir de la rencontre Lula-Sarkozy et des remous qui ont suivi. Jusqu’alors, les USA constituaient le principal adversaire de la France; puis ils ont semblé s’effacer devant la résolution brésilienne de ne pas acheter US, et ils ont propulsé les Suédois sur le devant de la scène, contre le Rafale.

Depuis le 7 novembre 2009, on sait également que les Britanniques (ils ont un accord de soutien de vente entre BAE et SAAB) soutiennent à fond l’offre suédoise. (Peut-être les Britanniques espèrent-ils recevoir en remerciement indirect des USA, deux ou trois bouts de ligne des millions de lignes de code du JSF.) Les Français estiment être face à une coalition, avec en prime l’armée de l’air brésilienne qui lui est peu favorable, notamment pour des raisons politiques, notamment à cause de l’intervention de Lula et de Sarkozy du 7 septembre, mais aussi parce que les militaires ne pardonnent pas au gouvernement brésilien la privatisation d’Embraer qui s’est faite avec une participation de 25% de Dassault. Quant à la position d’Embraer, justement, les Anglo-Saxons clament qu’elle est acquise en faveur de l’offre SAAB, ce qui avait été démenti officiellement par Embraer – mais qu’importent les démentis.

L’aventure est corsée car il y a, contre cette formidable contre-offensive destinée à bloquer l’offre française, l’engagement public et solennel de deux présidents, le rappel continuel que c’est Lula qui aura le dernier mot, etc. Cela signifie que deux dirigeants politiques suprêmes ont engagé publiquement leur prestige en faveur du Rafale. Il n’est pas sûr du tout que les industriels français, Dassault en premier, soient vraiment à la fête, parce qu’ils sentent évidemment les pressions extrêmement fortes des autorités politiques françaises et brésiliennes pour offrir les conditions les plus avantageuses possibles, bien sûr pour tenter d’emporter le marché, dans tous les cas pour justifier une décision éventuelle de Lula tranchant en faveur du Rafale contre l’avis de l’armée de l’air par exemple.

Il n’est pas assuré qu’une option choisie ne soit pas celle de l’échappatoire, c’est-à-dire un report du choix (normalement annoncée après le terme du processus d'évaluation des offres, d'ici la fin de l'année). Une source industrielle française envisageait que le processus de sélection pourrait être prolongé jusqu’au milieu 2010, faisant remarquer là-dessus que Lula arrive en fin de mandat le 31 décembre 2010, ce qui compromettrait toute l’affaire en la faisant basculer dans le marigot des incertitudes politiciennes.

La thèse des français (coalition contre eux, avec des coups fourrés divers) est-elle juste? Nous aurions effectivement tendance à l’accepter. Il y a deux raisons à cela: l’habitude des méthodes US dans ce domaine, qui se sont déchaînées depuis 9/11; la réalité de l’analyse US qui est que la France, et Dassault avec son Rafale, est l’ennemi principal dans cet affrontement brésilien comme sur le marché général des avions de combat, ce qui implique le raisonnement que n’importe qui doit l’emporter sauf la France. Dans ce cas de la justesse de cette thèse française, une autre hypothèse est alors à envisager, qui serait un affrontement plus direct qu’il n’a eu lieu jusqu’ici avec les USA, ou/et avec les pays “coalisés” avec les USA. C’est alors passer à l’hypothèse politique, impliquant de la part de la France une affirmation plus nette qui nous sortirait de la rhétorique molle utilisée jusqu’ici (“nous sommes concurrents avec les USA mais nous restons des amis et des alliés”, rhétorique type du ministre de la défense Morin, au temps nouveau et béni de la “réintégration” de l’OTAN). Cette rhétorique ne tient aucun compte de la dimension politique des ventes d’armement; elle pourrait être au contraire, dans certaines circonstances, exacerbée et transformée par l’engagement politique et médiatique des deux présidents français et brésilien.

L’establishment français a une peur bleue de cette sorte d’affrontement, y compris les industriels, qui s’imaginent pouvoir conserver des avantages industriels avec les USA en ménageant la critique du type de “concurrence” US fondée sur la désinformation et sur l’attaque politique, et qui restent également dépendant d’un tropisme atlantiste qui n’a jamais disparu de leurs conceptions. Mais l’époque peut briser cette sorte de prudence dans des affrontements exacerbés, et le marché des avions de combat au Brésil en est un, dans les conditions autant que dans les postures des dirigeants politiques. Avec un peu de chance (façon de parler ou souhait?), effectivement l’affaire brésilienne peut déboucher sur un affrontement d’où sortiraient certaines vérités jusqu’ici gardées à distance.

…Tout cela, et l'on allait oublier une dernière précision qui n’est pas sans intérêt. Sarkozy était hier au Brésil, à une conférence des présidents des pays amazoniens (la France, avec la Guyane française) pour discuter d’une position commune pour la conférence de Copenhague. Il a eu un entretien avec Lula, hier 26 novembre 2009, à 18H45. Après la visite de la délégation suédoise, par conséquent. Si l’on dut parler du temps qu’il fait et du temps qu’il fera à Copenhague, il serait bien étonnant qu’on ne se soit pas dit un mot, également, de la question des avions de combat. (Autre précision de l'Elysée: au même moment, hier en fin d'après-midi, Sarkozy avait un entretien téléphonique avec Poutine qui se trouve à Paris, dans une occurrence où l'on devrait parler de la vente éventuelle du Mistral à la Russie. On est entre pays du BRIC, semble-t-il, et dans la question stratégique des grands contrats d'armement...)


Mis en ligne le 27 novembre 2009 à 12H59