Le J-20 chinois et l’aveu de Gates

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Partant pour trois jours à Pékin et une visite en Chine, dans l’avion qui l’y conduisait le 8 janvier, le secrétaire US à la défense Gates a fait quelques confidences aux journalistes qui l’accompagnaient. Il a notamment parlé du nouveau chasseur chinois à capacités furtives J-20, à propos duquel les journalistes l’ont interrogé avec insistance. (AFP, repris par SpaceWar.com du 8 janvier 2011).

Ce qui nous intéresse dans l’extrait ci-dessous est la position que prend le secrétaire à la défense, d’une part sur la capacité de l’avion chinois, d’autre part sur la réaction des USA à cette nouvelle.

«Speaking to reporters en route to Beijing for three days of talks, Gates said the Chinese appeared to have made more progress in building their first stealth fighter jet than previously thought, and that an anti-ship missile posed a potential threat to the US military.

»“They clearly have the potential to put some of our capabilities at risk. And we have to pay attention to them, we have to respond appropriately with our own programmes,” Gates said.

»But he said the advances in weaponry underlined the importance of building a dialogue with the Chinese military, and added he hoped his visit starting Sunday would lay the ground for deeper defence ties with Asia's rising power. “My hope is that, through the strategic dialogue that I'm talking about, that maybe the need for some of these capabilities is reduced,” Gates said.»

Notre commentaire

@PAYANT Il y a trois choses dans les déclarations de Gates, dont deux sont à mettre en vis-à-vis et constituent une véritable nouveauté dans l’attitude militaire US, et une mesure de l’effondrement de cette puissance militaire, et de la perception qu’en ont ses chefs.

• La première chose est la reconnaissance par Gates de l’avancement des capacités chinoises dans le développement des avions de combat et des technologies de la furtivité ( “plus de progrès que nous pensions”). Cela contraste avec la première réaction (officieuse) du Pentagone, qui avait été de minimiser les capacités chinoises et le fait même de l’apparition du J-20.

• Deuxième chose, une réaction assez classique, sur laquelle Gates n’insiste pas trop : les Chinois ont la capacité de mettre en échec certaines des capacités militaires US et “nous devons prêter attention à ce fait, et nous devons réagir d’une façon appropriée avec nos programmes”… Gates n’insiste pas trop parce qu’il sait bien qu’il n’a pas les moyens de son avertissement, le Pentagone étant plongé dans une crise profonde, notamment budgétaire, mais même conceptuelle et capacitaire, dans le fait même d’avoir ou de n’avoir peut-être plus la capacité de produire des avions de combat avancés.

• Troisième chose, de loin la plus intéressante. Aussitôt après avoir dit dans les conditions qu’on signale qu’il fallait envisager certaines mesures de renforcement ou d’ajustement, Gates enchaîne sur l’orientation exactement contraire : le J20, dans ce cas symbole du renforcement et de la capacité militaires chinoises, est présenté comme un argument pour resserrer les liens militaires entre Chine et USA, pour rapprocher les points de vue, pour pacifier au maximum les relations, etc. Dans la rhétorique US concernant l’armement conventionnel, celui qui peut être utilisé, c’est une attitude sans précédent de la part d’un secrétaire à la défense.

Nous faisons cette réserve (“l’armement conventionnel, celui qui peut être utilisé”) car, au niveau nucléaire, cette attitude des USA s’est déjà manifestée durant la Guerre froide. Dans les années 1960 et 1970, devant les progrès soviétiques dans l’arsenal nucléaire stratégique jusqu’à presque un point d’équilibre avec les USA, la politique stratégique US a été de rechercher des accords de limitation mutuelle, puis de réduction dans les années 1980 avec Reagan, au lieu de chercher une riposte aux progrès soviétiques pour conserver la supériorité. Mais il s’agissait du nucléaire stratégique, l’arme d’anéantissement faite en principe pour ne pas être utilisée selon la doctrine McNamara (doctrine MAD), arme déjà portée en potentiel à la probabilité d’une “destruction mutuelle” en cas d’engagement. Il s’agissait donc d’arrêter une “course à l’armement” absurde, où la supériorité n’avait aucun sens. (D’où l’exclamation fameuse de Kissinger en 1974 face aux chefs militaires US lors des négociations sur l’accord SALT-II, pour défaire leurs arguments sur la production de nouveaux systèmes supérieurs à ceux des Soviétiques : «What, in the name of God, is strategic superiority? What is the significance of it, politically, militarily, operationnally, at this level or number? What do you do with it?»)

Au niveau conventionnel, niveau où les armes sont destinées à être employées, l’attitude US a toujours été complètement différente, surtout au niveau de l’aviation de combat. La seule règle, depuis 1945, a toujours été de maintenir une supériorité qualitative (technologique) sans contestation possible sur tout adversaire potentiel. Le cas s’est produit à diverses reprises (en 1950 en Corée, en 1965-68 au Vietnam, dans les années 1970 avec le MiG-25 soviétique, dans les années 1980 avec les MiG-29 et Su-27 soviétiques, etc.) Chaque fois, une seule attitude était envisagée et concevable : là où un signe de réduction de la supériorité qualitative US apparaissait, une seule attitude était envisagée et aussitôt développée, qui était celle de lancer de nouveaux programmes, de nouvelles améliorations, pour retrouver une complète supériorité qualitative, par tous les moyens y compris budgétaires bien entendu.

Cette fois, Gates a une attitude générale complètement différente. Certes, il parle de mesures techniques, mais d’une façon accessoire. Son principal argument, c’est : “Entendons-nous avec les Chinois”, de façon à convaincre de facto ces mêmes Chinois que leur effort militaire n’est pas justifié, et, ainsi, espérant ralentir l’effort chinois qui met en cause la supériorité technologique US. Il s’agit, à peine entre les lignes, d’un aveu impressionnant, encore une fois compte tenu du domaine sacré pour les USA de la supériorité aérienne qualitative… Il s’agit de l’aveu que les USA ne peuvent plus budgétairement soutenir un effort de concurrence dans l’armement, voire, plus gravement, de l’aveu que les USA n’ont plus les capacités technologiques et structurelles d’un tel effort, – comme en témoigne la catastrophe du JSF qui, en plus, s’avère de plus en plus comme un choix opérationnel catastrophique en fait de capacités (dans l’hypothèse extrêmement contestable où cet avion fonctionnerait) face aux nouveaux avions russes et chinois. On n’a pas d’aveu plus significatif de la reconnaissance, par celui qui a la charge de la puissance militaire US, de l’érosion, voire de l’effondrement de cette puissance, aussi bien du point de vue opérationnel direct que du point de vue des perspectives de développements.


Mis en ligne le 11 janvier 2011 à 06H27