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382Une chronique de Loren B. Thompson, homme-lige de Lockheed Martin et ardent défenseur du JSF, – par obligation contractuelle dirait-on, – met en évidence, le trouble qu’a introduit chez certains experts du complexe militaro-industriel US la question de l’avion de combat chinois J-20. Loren B. Thompson fait une ardente plaidoirie pour le F-22 Raptor que le secrétaire à la défense Gates a liquidé avec pertes et fracas il y a près de deux ans… (Dans Early Warening, le 14 janvier 2011.)
«But the person who should really be embarrassed is Secretary Gates, because apparently the former anticommunist hardliner has been so lulled into complacency about high-end security threats by his tenure at the Pentagon that he failed to grasp the rapidity of China's military build-up. Gates terminated production of the Air Force's next-generation F-22 air superiority fighter in 2009 at barely half the service's stated warfighting requirement, saying that China wasn't likely to field something similar before 2020. He may yet turn out to be right, but the fact the PLA is flight-testing a plane that looks a lot like the F-22 only 20 months later doesn't say much for Gates' sources – or his judgment. […]
»Gates has spent much of his tenure focusing on the unfixable problem of Afghanistan, which is one of the most corrupt countries in the world. During that time U.S. forces have done a very effective job of destroying Al Qaeda – the terrorist band that first drew America into the Afghan quagmire – but the distraction of trying to also fight a civil war in the backward country has led Gates & Company to make some poor choices about how to prepare for more important challenges. On one day in spring of 2009, Gates killed the F-22, the Air Force's next-generation bomber, its future secure-communications satellite, and its replacement search-and-rescue helicopter. Now he says he wants to revive the bomber program, but the nation's security would have been better served if he had grasped the significance of the decisions he was making two years ago.
»In recent years, China's military has demonstrated the ability to destroy U.S. reconnaissance satellites, tested a maneuvering ballistic missile that can disable U.S. aircraft carriers, and now flown an aircraft with stealth features similar to America's best fighters. How obtuse do our leaders need to be to miss this pattern? They have wised up about China's predatory trading practices, but they just don't seem to grasp that all those unmanned aircraft they're buying for combating insurgency in Southwest Asia would be gone in the first week of a real fight with China. Instead of buying more stuff that's only suited for dealing with enemies who lack air forces, they ought to be thinking about what the China threat might look like in 20 years. Refocusing there will inexorably lead to the conclusion that our Air Force needs to have more F-22s – the only plane optimized for dealing with the kind of air power China seems to be pursuing.»`
@PAYANT Normalement, Loren B. Thompson est un défenseur acharné du JSF, pas du F-22 qui est considéré comme un programme fini et enterré, et qui a été (et redeviendrait s’il était relancé) un redoutable concurrent du JSF pour le budget déjà en crise de l’USAF. Ainsi en est-il également de Lockheed Martin, qui a abandonné depuis longtemps l’espoir de développer des séries importantes du F-22, et décidant par conséquent de mettre, pour la catégorie des avions de combat, tous ses œufs dans le même panier, – le panier du fameux JSF. Du point de vue de la politique intérieure américaniste, cette position (Loren B. et LM) se comprend aisément, dans la mesure où Gates, soutenu massivement par l’administration Obama et, pour une fois, par le Congrès, a éliminé en avril 2009 le F-22, arrêtant la production à 187 exemplaires. (Au départ, le F-22 était prévu à 750 exemplaires, qui furent ensuite ramenés à 381, avant d’échouer à 187.) Depuis cette date d’avril 2009, Loren B. Thompson et tous ceux qui se regroupent autour de lui, dont Rebecca Grant, du Michell Institute, proche de l’Air Force Association, qui était une partisane acharnée du F-22, sont devenus des adeptes inconditionnels du F-35/JSF.
Or, il semble bien que, de ce point de vue également de la politique intérieure, le J-20 soit en train de changer toute la donne. C’est à ce point, bien entendu, qu’on peut effectivement parler de “désordre”, quelle que soit par ailleurs la valeur réelle de l’avion chinois. On observe alors, sans grande difficulté, que le débat réel à Washington n’a pas grand’chose à voir avec la réalité chinoise, – que vaut le J-20, où va l’hégémonie US dans le Pacifique occidental, etc., – bien que tous ces facteurs aient évidemment leur importance pour saupoudrer ce même débat de quelques grains de LSD pour entretenir la réflexion hallucinatoire. Pour le cas que nous exposons, qui est caractéristique de la scène washingtonienne, il s’agit d’abord de la vindicte existant entre différentes factions qui se reforment, avec la réapparition puissante d’un “parti du F-22”, dont Loren B. Thompson pourrait s’inscrire, si l’on en croit son texte, comme un des partisans les plus zélés.
…Et cela, justement et bien entendu, est une surprise, et le signe, justement, que le désordre washingtonien causé par le J-20 est remarquablement divers et significatif. Normalement, Thompson, expert complètement “indépendant” et appointé officiel et sans vaine pudeur de Lockheed Martin, doit défendre becs et ongles le JSF. Il le faisait sans états d’âme et continuera sans doute à le faire, mais il ne peut tout de même ignorer que le soutien au F-22, qu’il amorce puissamment avec son texte, constitue éventuellement, indirectement mais très puissamment, un obstacle au développement du JSF. Plaider pour la relance du F-22, c’est réclamer implicitement des budgets supplémentaires alors que l’USAF est exsangue de ce côté et que tout le monde ne parle que de réduire le budget du Pentagone. En bonne logique budgétaire des temps de vaches maigres, une relance du F-22 avec l’argent qu’il faut implique une ponction faite sur un autre budget de l’USAF ; vue la rareté des programmes importants et budgétairement “ponctionnable” dans ce domaine, il ne peut s’agir que du budget du JSF déjà maltraité et resserré ces derniers temps, alors que le programme est attaqué de toutes parts… Ainsi Thompson se trouve-t-il en porte à faux par rapports à ses amours principales. (Il se trouve d’autant plus en porte à faux qu’il est par ailleurs l’un de ceux qui, parmi les experts institutionnalisés, plaident le plus vigoureusement pour des réductions du budget du Pentagone, pour lutter contre le déficit pharaonique de Washington D.C. Cela, évidemment, milite encore plus contre un développement conjoint du JSF et du F-22 relancé.)
Mais il n’est pas le seul, Loren B., à se trouver en porte à faux, du moins pour ce qui concerne le cas F-22 versus F-35. C’est aussi le cas de la maison-mère et employeur principal de cet expert “indépendant”, Lockheed Martin, puisque le F-22 est, comme le JSF/F-35, un produit de ce même Lockheed Martin. Il n’est pas du tout assuré que l’apparition du J-20 chinois ne fasse pas renaître, chez Lockheed Martin, quelques rêves rangés dans des cartons, comme une version de pénétration profonde du F-22 (FB-22), un accord pour l’exportation du F-22 vers quelques alliés essentiels, etc., tout cela justifié par la nécessité de “contrer” le terrible J-20. Ainsi, désormais, Loren B. Thompson, Lockheed Martin & consorts se trouvent devant un problème qui n’est bien entendu qu’une des multiples manifestations du désordre washingtonien.
Le J-20 chinois, – encore une fois, quelle que soit sa réelle signification opérationnelle, – ne fait que précipiter la crise de la puissance aérienne US dont les principaux facteurs ont été mis en place par l’abandon du F-22 (mais aussi après toutes les difficultés qu’a connues cet avion) et le choix de l’équipement universel des forces aériennes par un programme (le JSF) qui se trouve emportés par des difficultés sans nombre et un niveau opérationnel de plus en plus douteux par rapport aux missions qui lui sont imparties. Face à cette crise, qui menace tout l’édifice de l’hégémonie de la puissance US, l’establishment, y compris les experts et l’industrie elle-même, se trouve plus divisé que jamais, et dans un état de division qui semble n’avoir pas évolué depuis près de dix ans. L’“opposition” F-22 versus F-35 n’est en effet pas nouvelle, conceptuellement et opérationnellement, et les termes en sont aujourd’hui aggravés par l’urgence, l’état catastrophique chacun à leur façon, des deux programmes, et les capacités budgétaires en réduction du Pentagone. Nous confirmons donc, plus que jamais, que le J-20, en métal sophistiqué et furtif ou en balsa, est vraiment en voie d’accomplir la plus importante de sa mission : installer la discorde chez l’ennemi…
Mis en ligne le 17 janvier 2011 à 07H48