Le Japon et le nucléaire, et l’inévitable JSF

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Il est intéressant de rapprocher plusieurs nouvelles situations pour susciter une réflexion sur ce qui pourrait être un point central, et relativement inattendu, d’affrontement entre le Japon et les USA, avec des répercussions sur les relations des USA avec ses alliés. Nous parlons de trois nouvelles situations d’inégales valeurs et d’inégales ampleurs (assorties d’une quatrième remarque), mais seule leur confrontation importe pour notre propos.

• La première de ces situation concerne l’évolution en forme de dégradation entre les USA et le Japon, depuis quelques semaines. Nous en avons parlé à plusieurs reprises.

• La deuxième de ces situations est celle dont nous parlions dans cette même rubrique, le 25 novembre 2009, à propos du traité secret entre les USA et le Japon sur le nucléaire (US).

• La troisième de ces situations est l’annonce précipitée, et fort étrange d’une façon générale, de l’intention du Japon soudainement affichée, mais à partir de sources non identifiées au ministère japonais de la défense, de commander 40 avions de combat US de type JSF, ou F-35.

• Ajoutons un fait “annexe”, qui n’est pas une surprise mais une confirmation d’une politique constamment imposée par la bureaucratie du Pentagone, selon laquelle les USA détiendrons le contrôle complet du JSF, tant du point de vue des technologies que des code sources, de la logistique, de l'entretien, etc. La chose fait l’objet d’une analyse de Reuters du 24 novembre 2009, accommodée d’interviews d’officiels US qui annoncent toujours la même nouvelle depuis au moins 2006. Il est bon, également, de rappeler le degré de la paranoïa de la bureaucratie du Pentagone, selon un mot que rapporte le site DoDBuzz.com le même 24 novembre 2009, à propos de la nouvelle de Reuters. Il s’agit du constat que transférer les codes sources du système JSF aux Britanniques (on en débat vigoureusement pour ce pays particulièrement, depuis 2006) «would […] turn the British JSF into a Trojan Horse».

@PAYANT En effet, cette annonce venue du Japon, dans les conditions qu’on sait, a des caractères bien inhabituels. On en a souligné quelques-uns dans le précédent Bloc-Notes où nous parlions de la nouvelle, mais il est utile de les mettre dans une autre perspective, qui est celle du nouveau gouvernement japonais qui est en train de prendre en mains les affaires publiques. Nous disons bien “en train” puisqu’il en est toujours à découvrir dans les divers coffres et placards tel ou tel accord secret USA-Japon, par exemple sur la présence “transitoire” de nucléaire US dans l’espace de “souveraineté” du Japon. Il est manifeste, dans les conditions politiques que connaît le Japon (plus d’un demi-siècle de “dictature démocratique” du parti-lige, dit libéral-démocrate, du contrôle US sur le Japon) que la transition n’est pas des plus aisées et que nombre de dossiers échappent encore au contrôle du nouveau gouvernement.

C’est dans ce cadre qu’il faut placer l’affaire de l’annonce d’une commande de JSF par le Japon, abandonnant brusquement ses pressions pour un F-22 à l’exportation alors que cette possibilité (le F-22) n’est pas nécessairement bouclée si l’on considère l’actuel désordre à Washington concernant la question des avions de combat (JSF et le reste). Ce retournement de la bureaucratie du ministère japonais de la défense, évidemment suscitée en bonne partie par les pressions US pour renforcer le cas du JSF à l’extérieur, semble correspondre également à l’hypothèse d’une pression de cette même bureaucratie relayant les pressions US sur l’actuel gouvernement japonais pour verrouiller une entrée du Japon dans un programme US d’avions de combat – n’importe lequel, parce que les choses sont urgentes, et alors le JSF fait l’affaire puisqu’il est le programme central US en développement. Les USA craignent en effet que l’évolution actuelle du Japon conduise ce pays à envisager un autre fournisseur en armements qu’eux-mêmes, et la bureaucratie japonaise de la défense partage cette crainte.

Ce type d’opération implique la mise en place d’une base d’influence spécifique et nationale pour que les USA fassent effectivement pression d’une façon efficace sur le gouvernement japonais pour une telle commande. D’autre part, le cas du JSF est un cas extrême, comme l’on sait, parce qu’il s’agira – si le JSF connaît effectivement l’aboutissement opérationnel que les USA en attendent – d’un avion absolument contrôlé, dans tous ses équipements, jusqu’à la logistique et l’entretien eux-mêmes, par les USA de bout en bout. Retournons l’image citée plus haut (extraordinaire en elle-même pour illustrer la paranoïa bureaucratique US): le JSF sera un “cheval de Troie” US dans les forces aériennes japonaises (comme dans les autres acquérant le JSF), ou plutôt un contrôle quasiment direct de ces forces par les USA, par l’intermédiaire du JSF. (On comprend que le projet de commande japonaise serait, dans ce cas, une première tranche avant d’autres; l’essentiel étant de créer la nécessité de l’enchaînement.)

L’on sait également que le JSF, dans sa forme très officielle de F-35, est officiellement désigné pour être porteur d’armes nucléaires tactique. Ce point précis qui posera un problème aux pays européens engagés dans le JSF, en poserait un bien plus grave au Japon en cas d’acquisition du JSF. C’est en effet dans ce cadre qu’on doit rappeler l’affaire du traité secret USA-Japon, dont on annonce qu’elle sera officiellement détaillée en public en janvier 2010. La connexion contradictoire et explosive est alors aisée à établir entre des avions que la force aérienne japonaise veut acheter, qui seraient totalement contrôlés par les USA, jusqu’à leur équipement, et dont on sait qu’ils seront à capacité nucléaire. Ce contrôle pouvant aller jusqu’à l’armement lui-même, on distingue le problème potentiel qui existe à ce point, et l’on comprend qu’il est bien plus grave pour le Japon que pour d’autres pays, en fonction des rapports très particuliers de ce pays avec le fait nucléaire.

C’est de ce point de vue qu’on doit observer la mise en place de conditions qui pourraient conduire à un affrontement potentiel, ou disons un affrontement potentiel de plus, entre les USA et ce Japon new look qui se trouve en alerte face à toutes les initiatives de sécurité venant des USA. Si le nouveau gouvernement japonais réalise les implications des capacités nucléaires du JSF et du contrôle US sur cet avion, il sera conduit à réaliser les risques pour le Japon à cet égard, et pourrait alors s’opposer frontalement à sa force aérienne et aux USA, contre tout engagement dans le JSF. Cela formerait le potentiel d’une cause d’affrontement de plus, gravissime celle-là, dans les relations “nouvelles” entre les USA et le Japon. Et tout cela pourrait survenir très vite, avec l’intention affichée de la force aérienne d’une commande rapide, et le débat sur le nucléaire qui accompagnera les révélations sur le traité secret Japon-USA, probable début 2010. Sans qu’il y ait même débat sur la commande, il pourrait y avoir débat sur le principe de la commande, voire débat sur le principe de l’équipement en systèmes militaires US du Japon. (Dans ce domaine du nucléaire et compte tenu de la situation spécifique du Japon, ce qui compte est la perception d’une possibilité, bien avant d’en venir aux modalités techniques de cette possibilité.)


Mis en ligne le 26 novembre 2009 à 13H24

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