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547628 décembre 2022 (20H50) – Dans une chronique pour ‘Strategic-Culture.org’, le 24 décembre (voir une traduction dans ‘Réseau International’, le 26 décembre), Pépé Escobar s’attache, ou bien s’attaque à la livraison d’un système ‘Patriot’ par les USA à l’Ukraine. Selon ce qu’on en a, on pourrait traduire son titre (« Let the Patriot Games Begin ») par quelque chose comme “Que commence la farce du ‘Patriot’”, – ou bien, si l’on est d’humeur plus sombre, “Que se mette en place le piège du ‘Patriot’”, – ou mieux encore, ou pire encore : “Que sonne l’heure fatale du ‘Patriot’”...
Lisant les élucubrations de ce site où se trouve cette chronique, on sait ce que je pense de cet engin, de son efficacité, de ses capacités, etc., et bien entendu quand en plus on le réduit en grand tra-la-la à un système du genre offert en un seul exemplaire. Pourtant, Pépé s’y met, et d’ailleurs pour l’excellente raison qu’il n’a pas et qu’il n’y a pas grand’chose à dire pour les 24-48 heures considérées à propos de la visite aux États-Unis de Zelenski... Oyez et voyez son argument, puis l’introduction de son sujet, tout cela fort bien balancé :
« Il est vain de s’attarder sur l’horrible visite du clown de Kiev au mannequin de crash test de la Maison-Blanche, couplée à un discours “churchillien” aux dominions du parti de la guerre au Capitole. L’histoire ridiculisera ce feuilleton hollywoodien pendant les siècles à venir.
» La dernière émission de relations publiques du parti de la guerre, sponsorisée par Raytheon Productions, est bien plus intéressante. Après tout, Lloyd Austin, l’actuel chef du Pentagone, est un ancien vendeur d’armes de Raytheon.
» Après une grande fanfare, il a été établi que le Pentagone ne fournira pas une collection, mais une seule batterie Patriot à Kiev – soit avec quatre ou huit lanceurs de missiles, et soit la version PAC 2 ou PAC 3... »
Escobar nous donne quelques indications diverses sur le modus operandi de base de cet apport capital à la puissance ukrainienne. Il fait remarquer que ce système, ainsi installé en Ukraine, et quelle que soit la nationalité de ses très nombreux servants (autour de 90, il y a foule), sera considéré par la Russie comme un “objectif légitime”.
Là-dessus, il enchaîne sur les questions à la fois plus politiques et plus “intégrationnistes” par rapport à l’ensemble de défense anti-aérienne de l’OTAN. En effet, par sa nature même, par l’absence du moindre souci bureaucratique des conséquences politiques, par les exigences de ses équipements, etc., l’unique système ainsi déployé en Ukraine sera un système intégré dans le vaste système de l’OTAN. Cela donne ceci.
« Donc, en supposant que tout ce qui précède se produise en pratique en 2023, ce sera un plaisir de comparer les performances des Patriot en Ukraine avec celles des Patriot à l’œuvre sur les terres d’Arabie – qui étaient régulièrement dribblés par les missiles iraniens et houthis. Les Houthis se sont toujours amusés à cibler les installations pétrolières saoudiennes.
» Ce qui pourrait changer, c’est que, contrairement à la péninsule arabe, toute la puissance de feu collective de l’Occident en matière de renseignements, de reconnaissance et de satellites est en état d’alerte en Ukraine 24 heures par jour, sept jours sur 7.
» L’inestimable Andrei Martyanov a déjà présenté la description de tous les éléments essentiels des Patriot. Concentrons-nous sur quelques détails intrigants.
» Une seule batterie Patriot aura un impact inférieur à zéro sur le champ de bataille ukrainien. Cette batterie couvrirait en thèse les installations ukrainiennes les plus stratégiques : une zone très limitée, comme une petite base militaire. Cela n’a rien à voir avec la protection de Kiev.
» Ce qui est beaucoup plus significatif, d’un point de vue conceptuel, c’est que ce déploiement de Patriot, en liaison avec d’autres systèmes de défense aérienne tels que NASAMS, IRIS-T et le transfert éventuel du SAMP-T, prouve une fois de plus que l’Ukraine est de facto sous un système de défense aérienne multiniveau de l’OTAN. Le Patriot est complètement intégré au NATINADS, le système de défense aérienne de l’OTAN.
» Traduction, si nécessaire : cela contribue à évoluer, rapidement, vers une guerre totale entre l’OTAN et la Russie. »
Je me rappelle, dans les années 1960, lorsqu’avait été installé le système NADGE (‘NATO Air Defence Ground Environment’), transformé en 1972 en NATINADS (‘NATO Integrated Air Defense System’), il y avait eu une vive polémique en même temps que le retrait de la France du commandement intégré, décidé en 1964 par de Gaulle et exécuté en 1966. Finalement, on s’était plus ou moins entendus (notamment, accords Ailleret-Lemnitzer de 1967), tout cela revenant d’ailleurs à une question d’intégration totale ou non en temps de guerre. En effet, le statut d’intégration-OTAN complet ne joue à plein qu’en temps de guerre. Cela est pour rappeler que l’intégration OTAN est complète structurellement, mais qu’elle n’est pas verrouillée opérationnellement en temps de paix, – ou, disons, de non-guerre, dans ces temps où les engagements nationaux restent sous directions politiques nationales .
C’est ici, à mon sens, que l’affaire du ‘Patriot’ livré aux Ukrainiens devient intéressante. Ce n’est pas tant, à mon avis, la question de l’OTAN impliquée telle que la suggère Pépé qui importe, sous la forme où il la présente dans tous les cas, – mettre en posture d’affrontement un système US sous contrôle ou semi-contrôle US et intégré dans l’OTAN, face à la Russie :
« ...Le Patriot est complètement intégré au NATINADS, le système de défense aérienne de l’OTAN. / » Traduction, si nécessaire : cela contribue à évoluer, rapidement, vers une guerre totale entre l’OTAN et la Russie. »
Escobar suggère logiquement que la présence du système ‘Patriot’ en Ukraine implique nécessairement l’OTAN puisque ce système est automatiquement (c’est-à-dire techniquement et fonctionnellement) intégré au système général NATINADS ; donc toute action du système (contre les Russes) et toute action (des Russes) contre le système implique directement l’OTAN en tant que telle. Le constat est logique mais je ne le suivrais pas pour autant dans toute sa logique, ou plutôt dans les chemins qu’il suggère ; disons qu’il est logique jusqu’à mi-chemin...
Mon idée à cet égard est que, si effectivement tout le fonctionnement bureaucratique et opérationnellement passif du ‘Patriot’ est intégré et implique l’OTAN, une intention politique spécifique peut interférer. Cela vaut bien entendu pour les USA, mais aussi pour les autres pays du NATINADS dans la mesure où le commandement de l’ensemble (le contrôle de l’action) ne devient lui-même hiérarchiquement intégré qu’en cas de guerre officiellement déclaré, ce qui n’est pas le cas ici. Cette disposition vaut d’autant plus pour les USA que le Pentagone, s’il veut bien livrer du matériel aux Ukrainiens, fait tout, absolument tout ce qui est possible pour éviter son implication directe dans un incident/un affrontement directement avec les Russes, pouvant lancer une escalade dont on connaît les terribles sommets qu’elle peut atteindre.
C’est cette disposition qui permit à la France, dans sa période gaullienne de retrait du commandement intégré, de rester “un pied dedans-un pied dehors” pour tous les dispositifs OTAN. La France restait passivement et techniquement intégrée tout en gardant la maîtrise complète de ses systèmes et le pouvoir de décider l’intégration opérationnelle ou non en cas de conflit, selon ce qu’elle en jugeait, – et donc la possibilité d’opérer au côté de l’OTAN, dans une même opération, tout en restant sous commandement français.
(Aujourd’hui, certes, ce n’est plus le cas : nous sommes, depuis Chirac puis Sarkosy, de parfaits petits soldats. Pourtant, nous avons encore un certain pouvoir d’autonomie comme le permet dans la pratique le système général. Ainsi, lorsque les opérations contre la Libye de Kadhafi furent entreprises en 2011, les pilotes français préférèrent utiliser les données d’intervention nationales pour le choix et l’identification des objectifs plutôt que celles de l’OTAN qu’ils recevaient à cause de la lenteur et de la lourdeur des processus bureaucratiques intégrés.)
Je rappelle tout cela pour en arriver à mon hypothèse qui est qu’une implication de l’OTAN à partir du ‘Patriot’ US pourrait par contre venir d’un troisième larron dont l’intérêt serait de déclencher un affrontement direct entre l’OTAN et la Russie. Je pense notamment à la Pologne et aux trois pays baltes, qui font bien entendu partie de NATINADS et qui rêvent d’impliquer l’OTAN, c’est-à-dire les USA, en Ukraine.
Je n’ai aucune piste ni certitude, ni hypothèse technique à cet égard, mais il m’est déjà arrivé, dans ma jeunesse journalistique, de parler à cœur ouvert avec des officiers généraux (notamment belges) ayant servi dans des systèmes intégrés de l’OTAN, pour comprendre qu’à côté de certains aspects rigides on trouve souvent d’étranges laisser-aller. Ce fut le cas avec un officier qui commandait une unité confiée à son commandement national, de fusées ‘Honest John’ sol-sol à très courte portée, mais pouvant emporter des têtes nucléaires tactiques US selon le système de “la double-clef”. (En théorie, accord des USA et accord du pays détenteur du système porteur pour l’emploi d’une arme nucléaire.) Il m’avait laissé l’impression de cet étrange laisser-aller justement, et cette situation ne s’est certainement pas améliorée ces dernières années, – on le voit ici, dans le cas du nucléaire US justement.
Ce que j’envisage c’est que la complication de l’intégration, avec les mélanges des autorités diverses, les imbrications, les redondances, peuvent conduire à une situation où un acteur extérieur à cette situation d’antagonisme USA-Russie à propos du ‘Patriot’ introduise un facteur de discordance conduisant à la possibilité d’intervention hors de la zone ukrainienne, jusqu’à provoquer un incident majeur. Comme exemple de ce type d’incident, il y a eu l’épisode toujours mystérieux du S-300 ukrainien se désintégrant en Pologne, et dénoncé pendant quelques minutes ou quelques heures, par les Polonais et les Baltes, comme une attaque russe contre la Pologne.
Il me paraîtrait évident que les Polonais ou l’un des trois pays baltes pourraient être tentés de s’engager dans une combine de cette sorte, parmi ces pays qui sont des rêveurs, et qui ne rêvent que d’impliquer les USA contre les Russes. Encore n’est-il nullement nécessaire qu’une autorité politique au plus haut niveau soit impliquée pour déclencher de tels incidents, justement à cause de ces curieux trous de l’ étrange laisser-aller devenant laisser-faire qu’on trouve dans ces processus hautement inflammables.
Ce que je veux finalement suggérer, c’est que tout le bruit fait autour du ‘Patriot’ (totalement injustifié par ailleurs, mais là n’est pas le propos) donne à ce système une importance démesurée qui pourrait suggérer à tel ou tel esprit, – machiavélique évidemment, – son emploi pour un tel usage. Sa position dans la mécanique de l’intégration, dans des situations si rapides et pressantes que la défense arienne va évidemment dans le même sens. Le ‘Patriot’ n’est pas un HIMARS, même emprunté à une unité de l’US Army qui fait partie des forces intégrées de l’OTAN.
Ce que je veux finalement et encore plus suggérer, – à la fin du fin ! – c’est que le ‘Patriot’ pourrait devenir une sorte d’objet de chaos, de désordre, en impliquant des pays et des intérêts dont certains sont prétendument alliés, ou forcés de l’être et se le faisant croire à eux-mêmes. Dès lors, le ‘Patriot’ devient un parfait objet technologique tel que je le conçois : au lieu d’établir une maîtrise totale du monde, il introduit, par sa complexité, par son absence d’harmonie et d’équilibre, par sa prétention au fin du fin, le venin du désordre dans l’ambition de l’homme postmoderne qui se veut maître du monde. En d’autres termes, un peu plus simple, je suggérerais que, dans certaines conditions, le ‘Patriot’ et ses vertus a deux balles pourraient un jour, come ça, au coin du bois, faire voler en éclat la bonne unité de l’OTAN.