Le JSF au cœur de la crise du système général

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Le programme JSF prend de plus en plus rapidement et massivement sa place au centre de la structure crisique qui constitue la crise nationale des USA, elle-même noyau incandescent de la crise générale de notre système. On lit par ailleurs (voir Ouverture libre, ce 17 novembre 2010) les rumeurs en constante aggravation de l’état du programme, avant une réunion importante au Pentagone, lundi prochain, pour décider des conditions de la poursuite du programme.

On fait par ailleurs mention d’une intervention de John McCain (Ouverture libre, ce 17 novembre 2010), critiquant le JSF, mais tout en défendant la gestion du Pentagone et le maintien du budget de la défense à son niveau sans intervention intempestive du Congrès. Dans la même intervention, en effet, McCain s’en prend aux “neo-isolationnistes” qui arrivent au Congrès (Huffington.post, le 16 novembre 2010), c’est-à-dire les teapartiers, et particulièrement Rand Paul, qui veulent réduire le budget du Pentagone… (Il confirme en cela l’inquiétude qu’il avait déjà exprimée au Canada, comme nous le rapportions le 8 novembre 2010.)

«Sen. John McCain (R-Ariz.), the ranking member of the Senate Armed Services Committee, expressed concern Monday that some new Republican legislators would be defined by their "protectionism and isolationism," two views that the Vietnam War veteran feared would result in a butting of heads within the party on Afghanistan and defense spending. “I think there are going to be some tensions within our party,” McCain said during a conference put on by Foreign Policy Initiative, a DC-based think tank. “I worry a lot about the rise of protectionism and isolationism in the Republican Party.”

»A prime example, McCain continued, was Rand Paul, Kentucky's next U.S. Senator. “I admire his victory, but ... already he has talked about withdrawals [and] cuts in defense,"”McCain said. Indeed, Paul appears to have taken after the more libertarian side of foreign policy issues, much like his father, Texas Rep. Ron Paul (R). […]

»But, Paul isn't alone in his inclination to address defense spending in the context of his fiscal concern. As ThinkProgress documents, there are at least five other GOP Senators who have announced plans to examine these types of spending cuts. Potential 2012 Republican presidential hopeful Mike Huckabee also added his name Monday to a growing list of Republicans who say that that defense spending should be on the table.»

Ainsi le JSF est-il entre le marteau et l’enclume… Il est attaqué aussi bien par les défenseurs du Pentagone (McCain) que par ceux qui veulent réduire le train de vie du même Pentagone, – puisqu’il est évident que des réductions budgétaires réalisées sous l’influence des “neo-isolationnistes” toucheraient évidemment le JSF, peut-être mortellement.

@PAYANT Cette situation du programme est caractérisée par des signes qui ne trompent pas. Qu’un organisme aussi prudent que l’Air Force Association/AFA (voir à nouveau Ouverture libre, ce 17 novembre 2010) sorte du bois et relaie les rumeurs anti-JSF, puis enchaîne sur la nouvelle de la possibilité d’une relance du F-22, voilà qui indique que la chose est vraiment, vraiment très sérieuse. Il faut y voir l’indication que l’USAF perd de plus en plus confiance dans le JSF et envisage des réductions, sinon pire ; que l’USAF vit déjà dans l’après-Gates (départ prévu, début 2011), ce secrétaire à la défense qui a liquidé le F-22 et tout misé sur le JSF ; que l’USAF a peut-être d’ores et déjà des assurances de la nouvelle majorité républicaine, dont on voit partout des signes qu’elle n’aime plus le JSF et qu’elle pourrait en revenir au F-22… On retrouverait, à l’extrême de la crise, un schéma déjà envisagé avec la possibilité de l’abandon du JSF, de nouvelles commandes de F-16 pour le gros des forces et de nouvelles commandes de F-22 pour l’aspect qualitatif de la puissance des forces. Même l’écho de l’AFA évoque ce schéma comme une possibilité dite “en cas de malheur” (pauvre JSF). On comprend que cette orientation, s’il s’avérait effectivement que l’USAF envisage de “lâcher” le JSF, signifierait la mort quasi instantanée du programme dès les premiers indices éventuels de sa concrétisation. Cela signifie, pour l’immédiat, que cette option-là, jusqu’alors absolument impensable (“unthinkable”, comme la guerre nucléaire stratégique), commence à figurer dans le champ des possibilités terrestres…

Mais on voit également combien ce programme s’insère dans un débat beaucoup plus vaste, disons pour résumer, entre McCain et Rand Paul, et pour élargir la chose jusqu’au fondamental, entre les interventionnistes qui sont paradoxalement sur la défensive, et les neo-isolationnistes qui ont le vent en poupe. (En passant, on peut apprécier le caractère coriace de Tea Party. Cette tendance vers l’isolationnisme est bien entendu venue de ce seul groupe, comme par une étrange “génération spontanée” sinon pour l’action d’influence de la branche libertarienne du mouvement, – la famille Paul, dira-t-on désormais, – et elle commence à s’élargir à des personnalités importantes qui n’en font pas partie, comme Mike Huckabee.)

Le JSF est, dans ce débat, la victime désignée des deux adversaires, les défenseurs du Pentagone parce que le JSF est devenu l’archétype du gaspillage et de la paralysie qu’il faut extirper du Pentagone sans attaquer le budget du Pentagone ni les capacités du Pentagone, et même pour protéger ce budget et ces capacités ; les adversaires du Pentagone, pour exactement les mêmes raisons (“JSF archétype du gaspillage et de la paralysie“) mais selon l’idée qu’on ne peut sauver le Pentagone en coupant la branche pourrie JSF, que cette branche pourrie n’est qu’une indication un peu plus spectaculaire de l’état général du Pentagone, – mais qu’on s’en débarrassera évidemment, comme première attaque contre le Pentagone… Puis le même débat est encore haussé à un niveau supérieur, et le JSF reste la référence à abattre : peut-on continuer à alimenter la branche pourrie JSF alors que le déficit budgétaire explose ? Peut-on continuer à alimenter la branche pourrie JSF pour des aventures extérieures où il n’a aucune utilité et où il ne saura même pas figurer, alors que l’état intérieur de l’Amérique est au bord de l’effondrement ? C’est alors toute la politique générale interventionniste des USA qui est au centre du débat, et le JSF encore en “vedette américaine”…

On voit d’ailleurs l’extension du domaine symbolique et politique de ce système monstrueux qu’est le JSF avec la grotesque affaire israélienne. Le JSF devient un “cadeau”, et tous les commentateurs (sauf l’avisé Paul Woodward) en parlent de la sorte, comme un renforcement formidable d’Israël, etc., alors que le JSF est la branche pourrie qu’on sait. Les militaires israéliens, eux, savent bien ce dont il s’agit puisqu’ils ont résisté autant qu’ils ont pu à la commande initiale de 20 JSF. Mais les politiques, en cette matière, ne les écoutent guère, préoccupés de la seule communication qui construit le virtualisme où peuvent s’ébattre leurs embrasements idéologiques divers. (De même concernant l’Iran d’ailleurs : la réalité israélienne est que les généraux israéliens ne partagent nullement le zèle d’une attaque préventive contre l’Iran, comme les politiques rêvent de faire, et n’ont aujourd’hui qu’une idée : en faire le moins possible en fait d’aventures militaires. Cette réalité est en général complètement ignorée, parce qu’elle sort de la description virtualiste de la situation.) La réalité rocambolesque est donc que l’outil de soumission ou de pression US sur Israël, cela dépend de la version qu’on adopte, est fait d’un système d’armes qui est en cours accéléré d’effondrement, et qu’Israël ne recevrait qu’autour de 2016-2020, s’il le reçoit jamais, – et, cela, en privilégiant de plus en plus la deuxième hypothèse. Ainsi, la politique de sécurité nationale la plus fondamentale des USA et d’Israël est-elle appuyée présentement sur une branche pourrie, sur un fantôme d’avion, sur le noyau central de la crise du Pentagone et de la crise du technologisme…

On peut encore mieux mesurer les caractères de la crise du JSF et, surtout, la façon dont cette crise est en train de faire éclater ses dimensions restreintes au domaine spécialisé où elle semblait cantonnée. La cause de cette “extension du domaine de la crise” est évidente : à la fois les réalités quantitatives énormes du programme telles qu’elles furent claironnées dès le départ, son identification non à un type d’avion mais à une véritable politique industrielle et de sécurité nationale (comme le disait Richard Aboulafia dès 2000 : «Le JSF est au moins autant une stratégie nationale qu'un programme d'avion de combat.») ; ensuite, l’inflation virtualiste qui a caractérisé la “politique de communication”, grossissant encore l’importance et l’image du programme. Ainsi le JSF en est-il arrivé à être une sorte de représentation du système de l’américanisme lui-même, – représentation du triomphe de l’américanisme tant que la technique de la communication permettait de maintenir cette fiction, représentation de la crise fondamentale du système de l’américanisme dès lors que la chose ne peut plus être dissimulée.


Mis en ligne le 17 novembre 2010 à 10H04