Le JSF commence son travail de termite

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Le JSF commence son travail de termite

Nous avons toujours pensé que le programme JSF, par ses ambitions proprement extraordinaires, constituait un cas qu’il importait de traiter hors de son cadre normal, – le cadre des armements, de la technologie, de la stratégie, etc., – pour le considérer comme un artefact fondamental du processus d’effondrement du Système, influençant et affectant comme élément actif, direct ou indirect, ou comme un symbole, tous les domaines du Système. Le JSF, c’est plus qu’un programme d’armement avancé avec la prétention originelle de résumer à lui seul tout un pan de la puissance militaire globale (les USA et ses divers “suiveurs”), avec les effets attendus. (Par exemple : «Le JSF pourrait faire à l'industrie européenne ce que le F-16 a presque réussi: la détruire. [...] Le JSF est au moins autant une stratégie nationale qu’un programme d'avion de combat.» [Richard Aboulafia,1er janvier 2000 dans Aviation Week & Space Technology.]) Aujourd’hui que le désastre est un fait acquis, on apprend (?) que le JSF est d’ores et déjà un white elephant (la traduction français en “objet inutile et coûteux” rend un piètre compte de la puissance de l’expression anglaise, et conduisant à éventuellement proposer une expression familière comme “usine à gaz” [énorme] ou bien un plus classique “catastrophe industrielle”, – mais il reste à inventer l’un ou l’autre néologisme prenant en compte la complète novation déstructurante, dissolvante et autodestructrice du programme JSF)... On constate en effet :

• ... Que l’énormité du programme et tous les enjeux qui ont été accumulés sur lui, en plus de l’aveuglement “exceptionnaliste” des principaux acteurs du drame, – dont l’USAF principalement, – conduisent le Pentagone et ses composants à être véritablement “prisonniers” du JSF. Autrement dit, on ne peut abandonner le JSF mais le JSF ne-marche-pas-point-barre. Tous les œufs se trouvant dans ce même panier pourri (le JSF), il n’y a donc pas d’alternative et la prospective est de type “On navigue à vue en continuant à dire que le JSF est l’avion-miracle du XXIème siècle”.

• ... Que la catastrophe-JSF commence à faire ses effets dans d’autres domaines que la simple dotation des forces armées dans ses divers aspects (budget, planification, etc.). L’on ne parle pas ici des USA, qui continuent à jouer la pièce de l’avion-miracle, mais de certains pays alliés, – complices ou soumis, ou les deux à la fois, et qui semblent sur la voie de l’être de moins en moins, soit par sursaut de révolte, soit par dissolution. (Bien entendu, nous ne parlons pas de l’acteur qui devient, par simple effet de substitution dans une situation réduit quasiment à l’alternative, le principal “concurrent”-substitut du JSF. Nous avons parlé du Rafale dans plusieurs textes dont ceux du 13 avril 2015 et du 7 mai 2015.)

Nous allons mentionner deux cas concernant deux pays (ou un pays et un groupe de pays) importants dans le réseau d’influence et de projection indirecte de la puissance US, donc deux bornes importantes de la pseudo-hégémonie US. Les deux cas permettent d’observer combien la crise sans fin du JSF commence à affecter la position de ces deux entités par rapport aux USA, soit par affaiblissement, soit par incitation à la révolte. Ainsi devient-il évident que “le JSF, c’est bien plus que le JSF” en de sens qu’il commence à se répandre hors de son domaine, comme font les métastases d’un cancer en route de son point localisé d’origine vers la situation irrémédiable de sa généralisation. Les deux entités sont, d’une part le Royaume-Uni, d’autre part les pays du Golfe mais essentiellement l’Arabie Saoudite dans ce cas.

• Lorsqu’il s’agit du JSF, l’establishment britannique concerné (le militaire et l’expertise stratégique) joue à guichets fermés, avec l’inscription : “pour le JSF, tout va bien, tout continue à se dérouler selon le plan prévu”, – sauf qu’il y a de moins en moins de “prévu” et que “le plan” ne cesse de se modifier dans le sens de l’allongement chronologique. Cet aveuglement nécessaire et très britannique, puisqu’il s’agit de marteler que UK reste plus grand que jamais et plus “allié fidèle” (des USA) que jamais, commence à prendre eau, d’abord avec les premiers effets du ridicule convoyé par le système de la communication. On a vu cela en septembre 2014 lorsque les Britanniques illustrèrent le sommet de la résolution antirusse de l’OTAN par une maquette en bois du JSF, puisqu’il n’y avait rien d’autre de disponible.

(Voir le 5 septembre 2014 : «Ce JSF-WW [...] n’était pas, non vraiment pas, une très bonne idée. D’un point de vue extrêmement symbolique et sans que les intelligences poussives des bureaucrates de la communication le réalisent, le JSF-WW dans le contexte de ce sommet de l’OTAN signifie simultanément trois choses : la prétention triomphante de l’OTAN d’être une organisation d’une puissance extrême et en pleine renaissance, grâce à la recette de la soumission du bloc BAO au Système encore plus qu’aux USA ; l’OTAN soumise aux artifices de la fantasy-narrative en affichant son réarmement sous l’auspice du complexe militaro-industriel [CMI], géniteur incontestable du JSF ; la catastrophe technologique et bureaucratique qu’il [le JSF-WW] symbolise, avec le symbole étendue à l’ensemble [Système + CMI + OTAN].» [WW dans “JSF-WW” pour Wooden-Wonder, ou “Merveille en Bois” qui était le surnom donné au formidable Mosquito britannique de la Deuxième Guerre mondiale qui, lui, volait fort bien.])

.... Désormais, c’est la colère qui se déchaîne par une nouvelle voix d’eau contre le système-JSF (JSF maintenu en survie artificielle par le système de la communication et sa narrative-fantasy). Ainsi faut-il en juger avec la sortie, relayée par The Independent le 10 mai 2015, de Sir Nick Harvey, qui fut ministre des forces armées au ministère de la défense de 2010 à 2012, dans le gouvernement Cameron-I. Harvey s’exclame haut et fort quand on lui cite 2018 pour l’entrée en service des premiers JSF-UK, et il parle avec fureur de 2020 au plus tôt (le déploiement des JSF-UK était prévu pour 2012). Un expert parle de “nombreuses années” d’ici sa mise en service, d’un avion affreusement cher et techniquement et opérationnellement inopérant ...

«The Ministry of Defence (MoD) insists the UK fleet will have the “warfighting capability required” by 2018 – six years late. However, former armed forces minister Sir Nick Harvey said there was “not a cat in hell’s chance” the F-35 would be combat-ready by 2018. “I don’t recall ... having heard anyone suggesting that these things could be used in combat before 2020,” he said. Asked if the fighter had become a white elephant, he replied: “You could argue it was already one of the biggest white elephants in history a long time ago.” [...]

» John Marshall, of the Defence Synergia think-tank, said: “This aircraft is massively expensive, technically and operationally flawed and unlikely to enter full and proper operational service for several more years.”»

La situation opérationnelle du Royaume-Uni est devenue pathétique, notamment au niveau de ses forces aériennes dont la planification et la budgétisation dépendent depuis plusieurs années du destin chaotique du JSF. Dans le même article de The Independent, l’ancien chef d’état-major de la RAF, l’Air Chief Mrshal Sir Michael Grayson, observe que, dans trois ans, lorsque les derniers Tornado de la RAF seront retirés, les capacités aériennes offensives du Royaume Uni seront réduites à 60 avions. «Les Saoudiens emploient jusqu’à 100 avions dans leur campagne contre le Yemen. Nous ne pourrions pas arriver à cent avions pour sauver nos vies.»

• Cet effondrement des capacités militaires britanniques où le JSF a une part budgétaire et opérationnelle si importante, impliquant une absence de plus en plus marquée sur le marché des exportations d’armement, est en bonne partie l’explication de l’effacement diplomatique britannique qui prend une allure de plus en plus structurelle, essentiellement depuis le vote des Communes de fin août 2013 refusant l’engagement militaire UK auprès des USA pour une attaque de la Syrie qui fut de ce fait avortée . C’est ce retrait UK que fait remarquer le même Aboulafia déjà cité, parlant cette fois en version-2015 pour saluer le succès d’un avion qui, quoi qu’on veuille, fait partie de l’industrie aéronautique européenne dont Aboulafia version-2000 annonçait la mort par JSF interposé : «Le Rafale réussit très bien car il profite de deux développements a priori hautement improbables. Le premier tient au différend politique entre les Etats-Unis et les pays du Golfe arabique au sujet des printemps arabes, particulièrement avec l’Egypte, et de l’accord nucléaire avec l’Iran. Le second, c’est le repli sur soi du Royaume-Uni. Londres n’a jamais été aussi peu impliqué dans les affaires géopolitiques mondiales en cent ans !» (Voir le 7 mai 2015.)

• On a vu plus haut combien il est question des pays du Golfe, et notamment de l’Arabie Saoudite où l’on évoque une vente de Rafale suivant celle conclue avec le Qatar. L’Arabie est au centre d’un épisode sans précédent d’affaiblissement dramatique de l’influence US, et le JSF, alias F-35, est une des vedettes, sinon une des causes par défaut et a contrario c’est selon, dans cet épisode. En effet, le refus du roi d’Arabie Saoudite de se rendre au sommet des 13-14 mai “convoqué” à Camp David par l’Empereur BHO pour ses vassaux du Golfe (les six pays/Émirats de Conseil de Coopération du Golfe [CCG]) marque l’extraordinaire échec, formel pour l’instant, de cette initiative, et le recul à mesure de l’influence US que cela implique : sur les six rois, émirs et sultans invités, deux seulement (Koweït et Qatar) viendront, les autres étant représentés par des fils, des princes, des sous-fifres, etc.

La cause de ce sommet est (était?) de rassurer les pays du Golfe inquiets, d’une façon obsessionnelle principalement représentée par l’Arabie, par la “menace” d’un Iran post-accord sur le nucléaire. Les pays du Golfe demandent donc des garanties US, notamment une sorte de traité de sécurité écrit et non plus le gentlemen’s agreement dit “Pacte du Quincy” informel, admis depuis la rencontre de F.D. Roosevelt (retour de Yalta) et du roi Saoud en février 1945, à bord du USS Quincy. Plusieurs sources ont introduit le JSF/F-35 dans cet épisode, comme une autre demande faite par les pays du CCG pour renforcer leurs capacités face à l’Iran. La plus précise de ces sources se trouve dans l’article de John Hudson, dans le Foreign Policy du 7 mai 2015 : «[...C]e sommet devrait produire des résultats beaucoup plus modestes [qu’un traité de sécurité entre les USA et les pays du CCG]: des accords sur une série d’exercices militaires communs et des ventes d’armes. Il est probable que Washington refusera la vente de chasseur Lockheed Martin F-35 de la nouvelle génération, qui a d’ores et déjà été promis à Israël pour maintenir sa supériorité militaire sur la région.» Une dépêche AFP du 11 mai 2015 reprenait cette idée : «Les officiels du Golfe ont fait pression sur les USA pour fournir à leurs pays des systèmes d’arme avancés comme le chasseur furtif F-35 ainsi qu’un accord de sécurité écrit face à la menace de l’Iran»

... C’est alors qu’il faut saisir tout le sel de la situation. Il est vrai que les USA, conscients du danger couru par Israël face à la terrible menace (iranienne certes, mais peut-être bien d’ailleurs...) et voulant mettre un peu de baume sur des relations terriblement tendues entre les deux capitales, ont promis en hyper-priorité, par la voix du sémillant Joe Biden, deux F-35 à ce pays qui domine les cieux du Moyen-Orient, – pour mieux les dominer. Certes, on dira : le JSF ne marche pas ; et l’on répondra, dans ce monde de miroirs déformants du système de la communication : et alors ? Puis l’on mettra les deux F-35 en exposition quelque part entre Tel-Aviv et Jérusalem, d’où ils seraient bien visibles de façon à ce qu’il ne soit pas nécessaire de les faire décoller. (On lira avec intérêt l’article kilométrique de The Times of Israel, du 20 avril 2015 où les militaires israéliens du “clan” JSF essaient de convaincre le lecteur autant qu’eux-mêmes du caractère exceptionnel de la chose. Pour corser le propos, le JSF est présenté comme l’avion qui vaincra les S-300 iraniens “dernier cri”, alors que ce système est lui-même présenté comme dépassé par les mêmes Israéliens, mais sans doute d’un service différent ... On s’y perd un peu, sinon diablement.)

La situation est donc piquante : le JSF présenté comme une “arme absolue” dans ce qui apparaît comme une sorte de “course aux armements” un peu irréelle alors qu’il est en train de couler les principales flottes aéronautiques du bloc BAO comme un white elephant dans un magasin de porcelaine, devient le symbole implicite et l’une des causes apparentes d’une brouille entre les USA et l’Arabie qui n’est que l’opérationnalisation de la chute de l’influence des USA dans la région. On verra où tout cela nous mènera pour ce qui est des évènements concernés ; la seule chose assurée, pour notre compte, est bien la mise en évidence de cette perte d’influence des USA où le JSF a sa place comme moyen et symbole de cette perte d’influence, à partir d’une position de puissance complètement faussaire et comme pur produit de la narrative-fantasy du système de la communication.

Ainsi commence-t-on à mesurer les véritables dimensions du programme JSF, dans un univers où la communication règle la perception qui intervient pour l’essentiel dans les décisions politiques. Le JSF trace désormais parallèlement deux voies qui s’opposent radicalement (ce JSF est miraculeux de zèle postmoderne : faire cohabiter en parallèle deux lignes absolument antagonistes!) : d’une part, celle où sa vérité de situation met en évidence l’affaiblissement dramatique qu’il suscite chez ses principaux soutiens et participants (le Royaume-Uni, dans ce cas) ; d’autre part, celle où sa position polémique et contestée fait de lui un symbole de la perception de la puissance US, ou même la condition de la perception de la puissance US, avec un rôle important dans le processus de dégradation de l’influence US jusqu’à des situations de quasi-crise (l’Arabie Saoudite dans ce cas). Ainsi son action dissolvante porte-t-elle sur les situations intérieures et extérieures et s’exerce-t-elle directement et indirectement, témoignant d’une universalité exceptionnelle de cette action. Le programme JSF entre donc dans sa période opérationnelle active : il n’existe pas en tant que tel, il est une catastrophe industrielle sans précédent, il met en cause les bases stratégiques de ses utilisateurs à venir à partir d’une perte de contrôle de la base technologique de ses producteurs, il suscite ou accentue des situations politiques d’antagonisme voire d’affrontement, – tout cela, sans jamais avoir vraiment quitté le sol pour une véritable mission opérationnelle qu’il ne devrait pas être capable d’approcher avant 2020 pour les plus optimistes, avant bien plus loin dans l’inconnu de l’avenir pour les pseudo-pessimistes (en réalité, “optimistes bien informés”). Le JSF n’existe pas mais il existe déjà, réussissant ainsi un processus d’inversion remarquable du Système : commencer le processus d’autodestruction avant même d’avoir atteint son régime de surpuissance qui, en général, se place avant le processus d’autodestruction puisqu’il le suscite et le produit lui-même. Nous pourrions donc dire que nous commencerions finalement à comprendre pourquoi ils n’ont pas abandonné le JSF, qui se révèle comme une termite d'un tout nouveau genre, – sorte de termite transgenre si l'on veut..


Mis en ligne le12 mai 2015 à 12H44