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1053Le 5 avril, on apprenait l’étonnante nouvelle que le Pentagone estimait désormais le coût du programme JSF à $245 milliards, alors qu’il était encore présenté à $200 milliards en juin dernier. Cette augmentation de près de 23% du coût du programme-vedette du Pentagone a été un choc considérable. Même Lockheed Martin, le constructeur du JSF, a été surpris.
Voici de larges extraits de la dépêche de l’agence Reuters du même jour (5 avril) annonçant la nouvelle.
« The total cost of Lockheed Martin Corp.'s Joint Strike Fighter program will surge $45 billion, or 22.6 percent, to $245 billion, the Pentagon said on Monday, citing rising labor costs and program delays.
» The U.S. Defense Department has recently signaled rising costs for the new jet, also known as the F-35, which is designed to be the main U.S. fighter in coming decades. But the extent of the increase caught even Lockheed and program critics by surprise and could prompt tough scrutiny by Congress, which is worried about rising federal deficits.
» “I'm totally shocked. To us this is the height of fiscal irresponsibility,” said Eric Miller, defense analyst with the government watchdog group, Project on Government Oversight. “The JSF is barely a gleam in the Pentagon's eyes and it's already well on its way to becoming the biggest defense boondoggle of all time,” he said.
» Citing cost overruns and tight budgets, critics have begun to question whether the military really needs so many F/A-22 fighter jets, also built by Lockheed, and nearly 2,500 F-35s.
(...)
» Bethesda, Maryland-based Lockheed, prime contractor for the family of modular fighters being developed for the Air Force, Navy, Marine Corps and U.S. allies, was stunned by the news and insisted it had won praise for its management of the program. Spokesman Tom Jurkowsky said the report was intended to help map out costs over the next 40 years. He said thus far Lockheed had only won an $18.9 billion development contract for the program, with no production contracts signed. Lockheed beat Boeing Co. to win the lead on the JSF in 2001.
(...)
» The Pentagon said “revised contractor direct labor and overhead rates” alone would raise the price by $13.7 billion.
» Outgoing Pentagon Comptroller Dov Zakheim acknowledged in an interview [5 April] that JSF program costs were rising. He blamed the increased weight of the plane, adding that such problems were common for new aircraft. He said the Pentagon wanted to stick to the basic design and get through development and testing before making any decisions on cutting back the number of planes to be built.
(...)
» “If you do start playing around with development and trying to ‘cut costs,’ you're really just cutting off your nose to spite your face,” Zakheim said. “If you tolerate some increase now, you'll have less of an increase later,” he said.
Cette énorme augmentation du coût du programme n’est pas une surprise en soi (on veut dire par là qu’elle est réelle, du point de vue des estimations de l’USAF, qu’elle s’amplifiera encore). On sait, — on devrait savoir que le JSF a d’ores et déjà commencé sa spirale inflatoire et qu’il ne va cesser de l’accélérer. Ce qui est une surprise, c’est que le phénomène soit annoncé de façon si ostentatoire, et sans consultation préalable des acteurs du programme. Il est vrai que Lockheed Martin n’avait pas été averti de l’annonce publique (non des projections de dépassement de coûts, qu’il connaît évidemment) et il en a été stupéfait. Inutile d’ajouter que les coopérateurs non-US l’étaient encore moins et sont laissés dans l’incertitude complète concernant cette affaire.
Il s’agit d’un changement brutal de la politique de RP (relations publiques) du Pentagone pour un programme qui est, dès l’origine, un programme développé selon une présentation virtualiste. La politique de RP y tient donc un rôle fondamental et sa modification aussi importante est elle-même un point fondamental.
Il est caractéristique que la nouvelle donne budgétaire ait été annoncée par Dov Zakheim, Contrôleur en chef du Pentagone qui quitte son poste à la fin du mois, et qui est très proche de l’USAF. (La nouvelle évaluation figure dans la revue bisannuelle des coûts projetés des programmes en cours d’acquisition. Bien sûr, la décision d’y faire figurer l’évaluation ne répond pas à une nécessité d’honnêteté comptable mais à une volonté politique, de politique interne au Pentagone.)
La présentation de Zakheim de cette décision de rendre publique la situation du JSF est intéressante (« “If you do start playing around with development and trying to ‘cut costs,’ you're really just cutting off your nose to spite your face,” Zakheim said. “If you tolerate some increase now, you'll have less of an increase later,” ») En d’autres termes, il s’agit d’une sorte d’opération “vérité des coûts” qui se veut vertueuse et responsable, mais qui s’inscrit surtout dans l’évolution tactique de l’USAF vis-à-vis du JSF. Comme on le sait désormais, le JSF est directement placé en concurrence avec le F/A-22 pour l’USAF, avec la préférence de l’USAF allant évidemment au F/A-22. Ce dernier est, depuis des années, disséqué au niveau des coûts, de façon publique et polémique. Il est évident que, pour “retrouver un équilibre”, le JSF doit être soumis au même traitement.
Il apparaît, à la lumière de cet épisode, que le JSF est désormais l’objet de manipulations systématiques ; au moins de la part de l’USAF, et il en sera ainsi jusqu’à ce que le F/A-22 soit complètement “sécurisé” dans son budget, sa production (que l’USAF veut garder proche de 300 exemplaires) et son déploiement. Cela durera plusieurs années, au cours desquelles le JSF sera l’objet de manoeuvres innombrables, et, sans le moindre doute, de pressions budgétaires et de réductions de commandes pour faire passer des crédits au F/A-22. Comme on l’a vu dans le même texte, le Congrès prêtera son concours. Désormais, la chasse au JSF est ouverte, et sans restrictions.
Pendant ce temps, que pensent et disent (tout bas) les alliés, — les pays non-US qui coopèrent dans le programme JSF, après y avoir mis $4,5 milliards (dont $4,1 milliards pour les seuls Européens) ? Un seul mot : ils paniquent.
Il est dit en général que ce sont les Italiens qui, aujourd’hui, sont les plus effarés par l’orientation prise par le programme JSF. Il n’est donc pas surprenant que ce soit d’eux que viennent les plus belles fleurs de rhétorique sur les vertus de la coopération transatlantique, et combien cette vertu serait plus grande encore si les Américains jouaient le jeu (ouverture de leur marché, transfert de technologies et tutti quanti). Par exemple, ces mots de Stephen Bryen, Italien d’adoption (de coeur) puisque président de la branche US de Finmeccanica, après une rencontre fin mars avec les industriels et officiels US : « I thought the basic mood was optimistic. There was a feeling that the United States understands Italy is a very good ally and has very good products that have great usefulness in United States. »
Bien entendu, simples fleurs de rhétorique, sans aucun espoir de survivre au-delà d’un petit printemps ; par contre, les critiques voilées (les épines des fleurs, pour poursuivre l’image) qu’on trouve plus ou moins bien dissimulées sont, elles, promises à proliférer à mesure qu’elles seront justifiées.
Un texte de Defense News du 5 avril nous restitue quelques-unes des remarques italiennes, à un séminaire tenu le 30 mars (une conférence sur “U.S.-Italy Military and Aerospace Industry conference, organisée par le député Curt Weldon, R-Pa., vice président de la House Armed Services Committee [Chambre des Représentants]).
« The U.S. government must open its markets to Italian aerospace and defense firms, allowing a freer flow of technology and expertise, Italian and U.S. defense officials and industry executives say.
» “It is necessary for the United States to allow the best European companies to compete and collaborate with American industries, without any restrictions or protectionism, in order to enable our companies to manufacture products that meet the highest expectations, in addition to strengthening our cooperation,” said Pierfrancesco Guarguaglini, chairman and chief executive of Rome-based Finmeccanica, Italy’s largest defense and aerospace group.
(...)
« With a few big exceptions, most of Italy’s small- and medium-sized defense firms are unhappy with the lack of access to the U.S. market, said Remo Pertica, chairman of Italian Industries Association for Aerospace Systems and Defenses. “U.S.-Italy industrial cooperation can be improved,” Pertica said. “How can the Italian industry talk with the United States to try to reach two objectives, that for us are of strategic importance — to be considered a partner in domestic programs and a privileged partner in international cooperative programs. And as a consequence to gain access to the American defense market, one of the most protected in the world.”
» Italy has joined U.S. President George W. Bush and his administration’s call for a war against terrorism and has sent its soldiers to Afghanistan and Iraq, and expects a more equitable share of work on defense programs, Pertica said. Meanwhile, the record of cooperation between the two countries is not very encouraging, he said.
» “We are invited to be players of cooperative programs at the last moment, when decisions are taken and industrial assets are already decided, or invited to tender when native competition is already well trained to answer,” Pertica said. “We ask to be a true preferred partner, to compete equitably, to share the costs, technological know-how and use resources jointly in this war against terror.”
» Even when cooperative programs are set up, lack of open access to sensitive U.S. technologies is another frustration, said many Italian executives and officials. »
Bien, — maintenant quelques mots où nous tentons d’être plus sérieux que dans les commentaires auxquels ces discours invitent. La réalité est que, comme nous l’avons dit, les alliés paniquent. Les Italiens surtout, mais également les Néerlandais. Il y a eu, en décembre 2003, un très sérieux effort à La Haye pour envisager une sortie du programme JSF.
Des sources industrielles allemandes précisent que le gros problème qui se pose désormais aux alliés est celui-ci : comment sortir du programme aux moindres frais ? On ne dit pas que la décision est prise mais que c’est cette possibilité qui est explorée avec le plus de fièvre.
Mais nos sources vont tout de même plus loin : elles disent que certains des alliés (des Européens) cherchent une clause juridique, un argument formel qui justifierait une décision de sortie de programme, sans frais bien entendu. « Les uns et les autres découvrent que ce n’est pas facile. S’il y a une matière où les Américains mettent le paquet, c’est la matière juridique. Ils ne tiennent aucune de leurs promesses non écrites en matière de transfert de technologies, de coopération industrielle, etc, mais ils prennent garde à ne jamais se mettre juridiquement en défaut. »