Le JSF entre les lignes de Sweetman

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Les articles et analyses de Bill Sweetman sont toujours intéressants, à cause de la personnalité de l’auteur, de sa position, de son expérience et ainsi de suite. Disons que Sweetman est un homme qui en sait beaucoup, qui n’en dit pas trop mais qui en laisse entendre un peu plus, – tout cela dans le domaine de l’industrie stratégique de l’armement, notamment de l’aéronautique, avec les implications stratégiques et politiques. On a déjà lu qu’une de ses spécialités, c’est le JSF dans un environnement délicat, – pour l’avion lui-même, comme pour l’auteur qui, quoique britannique, est rédacteur en chef de Defense & Technology International, mensuel du groupe McGraw Hill (Aviation Week & Space Technology). Il s’agit donc de l’exercice d’une spécialité où le sous-entendu a autant sa place que le reste, l’analyse conforme, et l’interprétation est nécessaire au bout du compte.

…D’où l’intérêt de lire son article dans le numéro d’août 2008 de Defense and Technology International. Sweetman y décrit le panorama des divers engagements internationaux attendus dans le programme JSF, en énonçant quelques difficultés et quelques satisfactions, mais sans laisser jamais transparaître une impression générale radicale sur l’état réel du programme et ses perspectives. On a l’impression d’un programme certes massif et essentiel en importance, mais qui ne va pas trop, trop mal même s’il rencontre des difficultés parfois importantes; une approche critique modérée si l’on veut.

L’important est donc dans les remarques glissées ici ou là, qui peuvent donner une signification intéressante ou constituer une indication non moins intéressante. Nous avons joué au jeu d’isoler ces remarques. Cela a donné ceci…

• Sweetman annonce en “sous-titre” de son article, mais sans confirmation, explication ni même mention de rappel dans le texte, que le poids du JSF dans sa version embarquée (la plus lourde) F-35C à pleine charge est aujourd’hui à 70.000 livres (près de 35 tonnes). Jusqu’ici, l’affichage courant était d’un poids maxi de 60.000 livres. Le JSF est en train de devenir un énorme “truck-like vehicle” comme disait l'ancien CEM de l'USAF, le général Fogleman, surtout pour un monomoteur.

• Détaillant les procédures proposées par Lockheed Martin pour obtenir l’achat très rapide des premiers exemplaires et l’engagement de commande ferme des coopérants internationaux, Sweetman précise que tout cela se fait dans une atmosphère que nous pourrions qualifier, en toute esprit de plaisanterie, de policière: «Those commitments will be backed up by sanctions. “Partners who do not buy according to the program of record will cover the costs incurred by other partners,” says the Program Office director, Maj. Gen. Charles Davis.»

• Les “clients” non-US du JSF fondent officiellement leurs arguments, – puisqu’il faut bien donner des explications au choix d’un avion autre que le “parce qu’il est américaniste”, – notamment et essentiellement par la technologie furtive qui le rend en principe presque “invisible” au radar. Sweetman confirme que cette technologie furtive ne sera présente que fort parcimonieusement dans les versions export, et nous apprenons sans surprise que cela ne gêne guère les acheteurs non-US du JSF, – cas particulièrement exaltant d’une rigoureuse logique. «Moreover, there is no longer any serious doubt that not all F-35s will be equal in stealth. Asked earlier this year to confirm that all would have the same signatures, George Standridge, Lockheed Martin’s vice president for business development, responded: “That is a matter for the U.S. government. I cannot and will not answer that question.” The partner countries so far show signs of being able to live with the aircraft’s performance and the stealth capabilities they have been offered. The main exceptions are the U.K. and Italy, which will use the Typhoon as their primary air-to-air fighter.»

• Enfin, dans un court paragraphe de conclusion, Sweetman définit l’enjeu actuel du programme JSF avec ces quelques mots, – parmi lesquels nous nous sommes permis d'en souligner certains en gras pour attirer l’attention, notamment sur le pessimisme indirect de l’auteur: «If the JSF program succeeds in locking up its international partners, the project could be within reach of its goal of an F-16-like, mid-four-digit production run and a near-monopoly of the fighter business outside Russia and China. The only other Western program with a long-term future will be whichever team wins India’s 126-aircraft order. But if JSF falls short of its goals — as almost every major military aircraft program has in the past 25 years—it will throw the re-equipment plans of a dozen air arms into disarray.»

Dans cet article d’un homme réputé pour ses capacités d’analyse et sa bonne information dans le domaine, autant que pour sa position respectée dans le milieu aéronautique anglo-saxon, nous apprenons que le programme JSF en est, du point de vue de ses perspectives, au même point qu’il était, par exemple, en 2000, lorsque Richard Aboulafia, du Teal Group, écrivait dans Aviation Week & Space Technology (2 janvier 2000): «It could be said that JSF is as much a national industrial strategy as it is a fighter program. […] The JSF could simply do to the European military industry what the F-16 almost did: destroy it.» C’est d’ailleurs une marque de la présentation médiatique et virtualiste du programme JSF que de répéter cette affirmation de la perspective de l’écrasante et inéluctable victoire, comme on le voit avec le même Aboulafia, répétant, en général mot pour mot, en 2005, ce qu’il disait cinq ans avant.

Mais notons tout de même une différence autour de cette perspective immuable et inéluctable de la victoire totale. Huit ans après, la perspective de la victoire totale n’est plus présentée comme inéluctable, et n'est donc plus immuable par la même occasion, mais comme un terme d’une alternative; le second terme est l’échec de la chronologie d’engagement dans le programme et, pour le moins, «…the re-equipment plans of a dozen air arms into disarray». La situation a donc évolué, mais toujours selon l’esprit d’une “montée aux extrêmes” puisque l’alternative envisagée par Sweetman est évidemment radicale.


Mis en ligne le 6 août 2008 à 10H02