Le JSF et la fascination du pire

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Il est loin le temps où rien ne pouvait être dit du JSF, directement ou indirectement, à son avantage ou pas, qui ne tournât effectivement à son avantage. Aujourd’hui, il s’agirait plutôt, et même complètement, de la tendance inverse : rien ne peut être dit du JSF qui n’alimente aussitôt l’interprétation la plus spectaculairement pire, et nullement de la part spécifiquement des “ennemis du JSF”.

Ce 22 avril 2011, sur DoDBuzz.com, Philip Ewing rapporte que, face aux réductions de coût et surtout à la “revue” des programmes du Pentagone ordonnée par le président Obama dans le cadre de la réduction des dépenses publiques, le secrétaire à la défense Gates a peut-être fait une erreur tactique vis-à-vis du F-35. Gates a expliqué que le pire serait de penser qu’il faut des réductions de coûts égales dans tous les programmes. La position du secrétaire à la défense signifie qu’il faudra faire des choix : ici, on ne touche à rien, là tel programme est susceptible d’être affecté… («So that means the Mother of All Reviews must make tough strategic decisions, and that means a new round of winners and losers. »)

Durant ses explications compliquées, Gates précisa notamment qu’il y avait des choses que le Pentagone ne pouvait contrôler, donc des programmes qu’il était hors de question de toucher parce que les besoins qu’ils rencontrent sont impératifs, déjà reconnus et intangibles… Et, curieusement, lui qui s’affiche comme le défenseur n°1 du JSF, il n’a pas cité le JSF parmi ces “intouchables”.

«…Even still, it’s not that simple, Gates said. DoD can’t control the cost of fuel and other big expenditures into the future, and it has some things it must buy: The tanker, new surface ships for the Navy as its 1980s-era fleet gets old, and a modernized nuclear triad.

»Gates didn’t say the F-35, although we know he considers it a top priority. But by failing to lay down a chip for the jets at this early stage, he may have consciously or unconsciously put them in play….»

Là-dessus, Ewing passe à un article que vient de publier (le 21 avril 2011) le bureau de Washington du Wall Street Journal, sur une conférence de presse de l’amiral Venlet, qui occupe la très délicate fonction de directeur du JSF Program Office (JPO), au Pentagone. D’une façon générale, Venlet parle en des termes très favorables des “progrès” faits par le JSF dans ses essais (alors que l’amiral est connu pour être l’homme directement nommé par Gates pour remettre de l'ordre dans le capharnaüm qu'était devenu le programme JSF au Pentagone). Mais il (Venlet) commence par un avertissement, que d’aucuns pourraient qualifier de “façon de parler“, sans plus de conséquence…

«The F-35 Joint Strike Fighter is more than an aircraft: It’s the Pentagon’s costliest procurement project. So when the man tapped by Secretary of Defense Robert Gates to revamp the troubled fighter program speaks, defense budget watchers might want to listen.

»In a briefing this morning, Vice Adm. David Venlet – whose formal title is program executive officer for the F-35 — told reporters this morning that no Pentagon weapons project should “feel it’s insulated or it’s above being looked at” in the current budget environment.

»President Barack Obama recently announced a plan to cut defense spending by $400 billion over the next decade. While the Pentagon has yet to figure out how it would do that, big-ticket procurement items like the F-35, worth potentially $382 billion over decades, present a particularly ripe target.

»That doesn’t necessarily mean cuts for the F-35 are coming down the pike…»

Le lendemain de cette remarque du Wall Street Journal et le même jour que l’article de DoDBuzz, le 22 avril 2011, le Daily Digest de l’Air Force Association (l’AFA) publie son compte-rendu de la conférence de presse de l’amiral Venlet. On ne dit rien de ce que disent les deux autres textes cités, mais on dit à nouveau “du mal” du JSF en rapportant la confirmation d’une mauvaise nouvelle. Certes, l’AFA est l’association de lobbying de l’USAF, et l’USAF est concernée au premier chef par la “mauvaise nouvelle”, – sauf que, tout de même, la “mauvaise nouvelle” n’est pas “nouvelle” puisqu’elle n’est que la nième confirmation de ce qui a été dit et répété depuis presque deux mois, alors que Venlet, lui, apporte aussi des “bonnes nouvelles” (les essais du JSF marchent très bien), – mais, tout de même, confirmation de ce que Lockheed Martin a déjà clamé haut et fort.

«It's unlikely that the Air Force will have its first unit of combat-configured F-35A strike fighters available for use in 2016, Vice Adm. David Venlet, F-35 program executive officer, told reporters Thursday. Discussing the F-35 program's status during a press conference at his office in Arlington, Va., Venlet said it will be up to the service Chiefs to make the call when their respective F-35 models are ready for operations. However, based on the schedule flowing from last year's F-35 technical baseline review, which re-set F-35 schedules and dollars, 2016 isn't in the cards for USAF—or the Navy, for that matter, he said. “Last year, they had the [initial operational capability] dates in '16. Our TBR schedule now has development test completing in '16, so, realistically, I don't see [IOC] being in '16 for the Air Force and Navy,” said Venlet. His remarks echoed those of Air Force senior leaders who told Congress recently that the F-35A's IOC date would slip from 2016. They said this milestone might not happen until as late as 2018—a critical difference since the F-35's in-service date will determine whether the Air Force must extend the service lives of some legacy fighters.»

Notre commentaire

En entame de ce Bloc-Notes, nous écrivons : “Aujourd’hui, il s’agirait plutôt, et même complètement, de la tendance inverse : rien ne peut être dit du JSF qui n’alimente aussitôt l’interprétation la plus spectaculairement pire, et nullement de la part spécifiquement des ‘ennemis du JSF’.” Nous devons dater cette tendance de 2008, avec un tournant en septembre 2008 (voir notre F&C du 23 septembre 2008). Cela doit nous rappeler quelque chose, septembre 2008 ; s’il s’agit de la rupture de “l’image” du JSF et du commencement de sa chute, – la chute de l’“image” du JSF, sans nul doute, mais aussi la chute du JSF, – il s’agit aussi de la chute de Wall Street, le 15 septembre 2008. Il s’agit de la chute du concept “too big to fail”, que nous avons tendance, bien souvent, par remplacer par “too big to fall” qui nous semble bien mieux approprié à l’analogie de la Chute. Certes, nous répondraient les adeptes de la raison et du “je crois ce que je vois”, Wall Street est toujours bien (re)dressé et baigne dans les $milliards de bonus ; et le JSF d’“après la chute” poursuit son petit bonhomme de chemin. Aussi poursuivrons-nous notre chemin, nous, en donnant quelques précisions, une fois de plus, sur le fonctionnement de notre Système en chute finale, dont le JSF est, avec Wall Street et d’autres centres de pouvoir, un excellent artefact.

Il est bien d’être un adepte de “la raison et du ‘je crois ce que je vois’” quand la raison fonctionne et quand il y a quelque chose à voir, qui puisse être vu de soi-même et sans automatiquement générer la tromperie pour la perception. Il faut faire avec son époque, qui est celle de la déroute de la raison prise la main dans le sac de ses fréquentations douteuses, et qui est celle du désordre des multiples réalités, plus ou moins virtuelles, qui nous obligent à enquêter en permanence, et parfois sur de bien étranges territoires, pour approcher la vérité. Ce que nous avons décrit ci-dessus (avant et après la chute du JSF, de septembre 2008) est un processus de communication, de ce système de la communication qui, aujourd’hui, est l’interlocuteur de la perception, et qui est, par rapport au Système qui le commandite, un véritable Janus. Nous avons donc décrit ci-dessus un processus de communication rendant compte des perceptions et les influençant en retour, pour décrire le JSF avant la chute de septembre 2008, et après cette chute qui est en cours. Le JSF n’est donc plus une réalité technique ou politique que nous pourrions tenir pour la vérité du JSF, mais un artefact de communication où, nous devrions de plus en plus nous en convaincre, est inscrite la vérité du JSF.

(Nous sommes passés au JSF qui est le sujet du jour, et un de nos sujets favoris, mais il va de soi que le raisonnement a valeur universelle dans l’exploration du Système en crise terminale. Il vaut pour Wall Street et pour d’autres centres de pouvoir, comme le Pentagone, l’Europe institutionnalisée de Bruxelles, Sarkozy, etc. C’est à ce point que nous avons toujours tenu le JSF comme un sujet prodigieusement intéressant, dépassant la problématique militaire, technologique, etc., ayant sa spécificité propre d’artefact de la crise, avec des relations certaines et un peu incestueuses avec le Pentagone et sa crise. Nous sommes dans la même galère.)

L’action décrite du système de la communication avec son comportement de Janus concerne d’abord notre psychologie et sa perception première, avant notre perception raisonnée, notre jugement, notre raison en tant que telle, etc. Ce qui fait la valeur et l’avantage possible de ce processus, c’est qu’en plaçant la “psychologie et sa perception première” en première ligne, face au système de la communication tout puissant, on peut faire intervenir, ou laisser intervenir l’intuition haute pour colorer l’apport de la psychologie vers les instruments de la pensée avec une orientation qui agira comme un puissant contre-poison de l’influence du Système. L’intuition haute se dérange-t-elle pour le JSF, même si c’est à l’insu de la perception dominante ? Dans ce domaine de la résistance et éventuellement de la contre-attaque, il n’y a ni petit profit, ni petite cible, – d’ailleurs, avec la réserve que le JSF n’est pas une “petite cible” mais un artefact fondamental du Système. Quoi qu’il en soit, le JSF est soumis à un effet qu’on décrirait ici comme “fratricide” du système de la communication. A partir d’une prudence de langage de Gates (ne pas placer le JSF dans les programmes désormais intouchables) et d’une phrase d’introduction anodine de l’amiral Velnet (aucun programme n’est intouchable parmi les programmes soumis à la grande revue critique des programmes “non intouchables”, par définition même du processus), un puissant journal comme le Wall Street Journal en tire la conclusion que le JSF est sur la sellette, “à nouveau”, comme s’il n’avait jamais cessé d’y être, mais dans ces conditions donnant l’impression d’une nouvelle aggravation de la situation du programme. Le reste des commentaires, suivant ce climat, s’intéresse à d’autres aspects cahotants du même programme. Le résultat est que ces diverses interventions, faites pour proclamer que le JSF, qui allait très mal, a été repris en main, et qu’on enregistre même des succès (campagne d’essais excellente au premier trimestre 2011), aboutissent en fait à semer “à nouveau” le trouble et à alimenter le doute. La chute de l’“image” continue. On dirait aussi bien que c’est injuste pour le JSF, qui, s’il ne va pas merveilleusement, ne va pas plus mal et va même un peu moins mal qu’il y a quatre mois ; mais ce n’est que justice pour un programme qui est un artefact si déstructurant du Système et justice finalement pour l’ensemble du programme qui a évolué si longuement et en toute impunité dans la plus complète tromperie.

Cet acharnement involontaire du système de la communication contre le JSF est désormais un élément important dans la chute et la destruction de ce programme. Nous nommons cela “fascination du pire” car il y a sans aucun doute un facteur fascinatoire dans la chute du JSF, qui joue un rôle puissant auprès des psychologies, par l’entremise du système de la communication. Il n’est pas nécessaire de considérer cette évolution comme une “victoire” contre le Système (“victoire” de qui, d’ailleurs ?), mais comme un renforcement du constat de la plongée régulière, de la Chute du Système dans son propre désordre, “organisée” par sa propre puissance devenue impuissance totale.


Mis en ligne le 26 avril 2011 à 11H35

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