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7 septembre 2006 — D’abord, un extrait d’un grand article détaillé de Air Force Magazine, mois de septembre 2006, sur le JSF.
L’article concerne surtout la scène intérieure et dit ceci : (1) le JSF est promis à être un succès magnifique, — ou plutôt “était” car, sur ces entrefaites, (2) des forces extérieures (au Pentagone et au CMI) interviennent pour semer le désordre. (Cela donne ceci : « The F-35 Lightning II looks like a big winner, but sudden nervousness in Washington could spell big problems. ») Cette alerte développée courtement en début d’article est non seulement sérieuse mais radicale. Elle annonce que le JSF est en train de passer sous la coupe réglée du Congrès.
… Puis, sur la fin, l’auteur et ses divers interlocuteurs s’avisent qu’il y a des pays non-US dans le programme. On dit alors quelques mots pour eux pour leur signaler l’intérêt qu’on leur accorde toujours et que, pour eux, contrairement à ce que dit le thème central de l’article, tout va très bien madame la marquise, — aux conditions expresses et inamovibles du Pentagone. Ce sont ces quelques paragraphes qui nous intéressent ici, précisément le passage sur la question du transfert de technologies.
Les voici :
« There was concern early in the program that each partner would want unique equipment or special modifications on their own aircraft, creating in effect dozens of unique configurations on the assembly line and frustrating the cost-saving ethic of commonality. That hasn’t happened, [JSF program’s Director, Admiral], Enewold said.
» “The countries have stayed common,” Enewold reported, adding, “I think [they] are realizing ... that they just don’t have enough money to do something on their own. It’s very expensive to shoulder the entire bill of a [modification], ... so with very few exceptions, they’re going to get the same hardware.”
» [Lockheed Martin’s]Burbage said there have been some minor studies on unique equipment — Norway wanted a drag chute because of the icy conditions at many of its runways — but such tweaks are “really on the margin. Most of the partners are fully engaged with going with the configuration that we’re designing in the baseline.”
» After delivery, though, he expects some follow-on development work on adapting country-specific weapons to the JSFs sold overseas.
» There have been some public disagreements on work share on the JSF, and Britain has threatened a few times to pull out if its demands are not met on having access to source code and stealth materials so they can fix and modify the aircraft on their own.
» “Frankly, the Brits are just the most vocal” with such complaints, Enewold said. All the partners have the same gripes.
» “The reason we can’t come to an accommodation on everything is that we don’t know how we’re going to do a lot of this stuff” for the US, yet, he said. Moreover, “this stuff is very expensive. ... To have your own assembly line or have your own reprogramming center ... takes a lot of capitalization. I just don’t think they can afford it.”
» Some of the nations may opt for their own support facilities, but the program wasn’t designed that way, to save on cost.
» “They may decide to afford it because it’s a sovereignty issue, but I just don’t think that’s a very cost-effective solution for them.”
» Enewold also said the JSF program could not be any more open with foreign partners. They have representatives working on design and development, are on the management team, are invited to all status meetings, and have visibility into practically the whole program.
» He expected the answers will be found to the friction items, and because the partners are so plugged-in, “when we know, they’ll know.” »
Ces quelques observations, notamment de l’amiral Enewold (directeur du programme jusque fin juillet), sont instructives parce qu’elles constituent une mise au point pas loin d’être finale sur la question des transferts de technologies. Elles suivent la rhétorique de la dérision : “tout cela n’est pas très sérieux…”, — ou, selon le grand Will parlant du JSF, comme il le fit implicitement à plusieurs reprises : « Much ado for nothing ».
• Le cas britannique est évoqué avec un certain dédain et une légèreté caractéristique. Les Britanniques font beaucoup plus de bruit que les autres mais ce n’est pas une raison pour les prendre plus au sérieux, et même au contraire (« “Frankly, the Brits are just the most vocal” with such complaints, Enewold said. All the partners have the same gripes. »). L’affaire est close, ils seront traités comme les autres.
• De toutes les façons, il est simplement impossible de se rendre aux exigences de transfert de technologies des coopérants non-US. La raison est la meilleure qu’on puisse imaginer : les US eux-mêmes, c’est-à-dire pour eux-mêmes, ignorent de quelles technologies il s’agit puisque les parties de l’avion impliquées ne sont pas développées, ou n’importe quelle autre raison de cette sorte (« “The reason we can’t come to an accommodation on everything is that we don’t know how we’re going to do a lot of this stuff” for the US, yet… »). En d’autres mots encore : comment peuvent-ils vouloir le transfert de certaines technologies alors que ces technologies ne peuvent même pas être transférées aux Etats-Unis eux-mêmes puisqu’on ignore de quoi il s’agit…
• Au reste, et pour en finir, il faut se dire que nombre des exigences des partenaires en matière de transfert de technologies, par exemple pour la fameuse “souveraineté opérationnelle” tant réclamée par les Britanniques, coûteront vraiment très cher. Les Britanniques et quelques autres veulent leurs propres systèmes de soutien des avions, pour leur fameuse souveraineté ? Simplement, on (les USA) n'a pas prévu cela et, pour y parvenir, c’est tout juste s’il ne faudra pas faire un nouveau JSF, spécial-caprice britannique : « Some of the nations may opt for their own support facilities, but the program wasn’t designed that way, to save on cost. “They may decide to afford it because it’s a sovereignty issue, but I just don’t think that’s a very cost-effective solution for them.” » … La souveraineté cela se paye, très, très cher.
• De toutes les façons, que personne ne s’inquiète : quand les USA sauront, les autres sauront… Donc, il est à prévoir, non seulement que tout s’arrangera, mais que tout est déjà arrangé puisqu’il n’y a rien qui ne soit déjà arrangé. (« He expected the answers will be found to the friction items, and because the partners are so plugged-in, “when we know, they’ll know.” »)
Les USA, du moins ce que nous en dit l’amiral qui commandait le programme en juillet, sont complètement rassurants : il n’y a aucun problème parce que les problèmes ne se posent pas et que, d’ailleurs, même non posés ils seront résolus… Les USA demandent, avec un sourire patelin et une tranquille assurance, un chèque en blanc, avec la seule signature du coopérant. Le Pentagone remplira les cases vides. Il est même possible qu’il informe le signataire de certains des paramètres choisis par lui-même (le Pentagone) pour remplir ces cases vides.
La pantomime est complète. Nous ne sommes d’ailleurs nullement assurés que certaines des affirmations les plus ahurissantes de l’amiral ne soient pas véridiques, dans l’imbroglio bureaucratique du Pentagone. Il est bien possible que les USA (bureau du JSF) ne soient nullement informés des technologies nécessaires à l’établissement de la souveraineté opérationnelle que réclament les Britanniques. Pour la “philosophie” des réponses aux inquiétudes alliées, les choses sont claires : ces inquiétudes ne sont pas fondées et ne seront donc pas rencontrées, et tout va très bien ainsi.
Ces indications valent selon nous bien plus qu’une analyse savante de tel ou tel expert gavé de contrats de consultance des partenaires industriels US et habitué plus à la relation publique et à la propagande qu’à l’information. Considérées comme il faut, elles aident à relever le défi à l’information que lance un programme saturé ad nauseam de propagande et de mensonges virtualistes. Perdues au fond d’un article dont le thème reste la grande bataille du JSF avec le Congrès, elles font discrètement passer un ‘message’ qui reflète les vues les plus solidement ancrées du Pentagone.
Ce message est que le Pentagone commande tout et ne lâchera rien aux alliés, à moins de surcoûts dont il est assuré qu’ils seront pharaoniques. Il ne reste plus aux ‘alliés’ qu’à signer à l’endroit indiqué et à s’estimer privilégiés de pouvoir acheter au prix US et aux conditions US, et sous le plus complet contrôle US, un avion déjà triomphal avant même d’exister. Les règles du jeu sont clairement rappelées.