Le JSF et les tulipes de l’incertitude

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Dans un article mis en ligne sur son site d’AviationWeek.com, Robert Wall, le correspondant à Londres de l’hebdomadaire Aviation Week & Space Technology annonce (le 1er juillet 2010) que le gouvernement hollandais a demandé à Lockheed Martin (LM) d’étudier le moyen d’annuler la commande par la Hollande de l’exemplaire (très cher : autour de $140 millions) du JSF d’une sorte, disons, de série de “développement et de pré-production” (ou, plus clairement dit : “IOT&E phase”, – nous redoutons un peu d’avoir à transcrire cette chose en langage sanscrit courant…)… Bref, «Defense Minister Eimert van Middelkoop told legislators that he has notified U.S. officials of the current situation and asked to prepare options to cancel the already placed order for the one IOT&E aircraft and for long-lead funding for a second…»

Ainsi la Hollande présente-t-elle aujourd’hui un cas plus que jamais intéressant pour le programme JSF…

@PAYANT Depuis les élections du 9 juin 2010, des négociations difficiles sont en cours en Hollande. La droite, qui aurait pu former un gouvernement, est bloquée par l’auto-interdiction qu’un de ses parties s’est faite de collaborer avec le parti anti-immigration et anti-islamique PVV de Geert Wilders, qui a emporté 24 sièges et 15% des votes. L’effet de cette situation est qu’on se dirige de plus en plus vers une coalition dite “pourpre plus” (là aussi, une certaine hésitation de notre part sur la signification de la chose). Cela implique une coalition très large où cohabiteraient les écologistes, les travaillistes du parti PvDA, des partis dits “libéraux” (VVD, D66, CDA) allant du centre-gauche à la droite modérée. Cette orientation est certes moins favorable au JSF que le précédent gouvernement (de droite) mais, surtout, elle apparaît dans un paysage bouleversé par d’autres événements.

Le 14 mai 2010, le Secrétaire d’Etat à la défense Jack de Vries, n°2 du ministère après van Middelkoop, démissionnait à la suite d’un scandale de type “liaison extra-maritale”. Hors de la chronique elle-même, c’est un événement important. Lockheed Martin perdait son “point man” dans le gouvernement hollandais. De Vries était unanimement désigné dans les couloirs des ministères comme le lobbyiste de LM dans le gouvernement hollandais, et l’homme en charge du dossier JSF. Son insistance opiniâtre à vanter les vertus de la chose, sa capacité peu commune à détourner les questions des parlementaires et des intervieweurs, à diviser l’opposition au JSF, à rassurer ses collègues du gouvernement, à solliciter avec succès le soutien des industriels hollandais et à se tenir constamment en liaison avec LM, avaient fait merveille en créant et en maintenant pendant des années difficiles pour le programme (depuis 2007) un climat malgré tout favorable au JSF. Son départ a, d’une certaine façon, “rompu le charme”, ou ce qu’il en restait, et d’une façon particulièrement spectaculaire.

Sept jours après sa démission, le 21 mai 2010, le Parlement hollandais votait pour demander l’annulation de la commande du premier JSF. Les partisans du programme ont protesté contre ce qu’ils jugeaient être l’illégalité de ce vote, le gouvernement étant démissionnaire et de nouvelles élections étant prévues pour le 9 juin. En fait, il s’agissait d’une situation assez inédite du strict point de vue formel, mais significative du point de vue de l’opinion des gens, et particulièrement des parlementaires. Le gouvernement sortant, toujours en place, et le ministre van Middelkoop, du CDA qui pourrait à nouveau participer au prochain gouvernement, ont tiré les conséquences d’une tendance contre laquelle plus aucun lobbyiste de LM ne peut agir avec une très grande efficacité puisque le plus important d'entre eux a quitté le ce même gouvernement. Il semblerait que le CDA sent bien que le futur gouvernement, auquel il participera probablement, suivra la tendance signifiée le 21 mai dernier de prendre certaines distances nouvelles du programme JSF.

Il s’agit bien là d’une question de “climat”, ce pourquoi nous parlons de “tendance”. Le sentiment général des milieux politiques, en général favorables au JSF, s’est transformé durant les deux dernières années, particulièrement en 2009. Il a été mis en évidence, notamment grâce à des missions de parlementaires aux USA, que la communication autour du programme JSF était l’objet de manipulations grossières, et que les pays membres du consortium international étaient très mal informés, sinon désinformés. Depuis l’automne 2008, les difficultés du programme ont commencé à être largement et publiquement documentées, mettant en échec cette offensive constante de désinformation. On a pu constater que les réassurances venues du côté US étaient bien faiblardes, comparées à la situation de tension du programme à Washington même. Le vote du 21 mai est l’une des conséquences de cette évolution, et la démarche du ministre van Middelkoop une autre.

L’éventuel retrait de la Hollande du programme initial d’achat des avions de développement n’est pas en soi un fait unique. L'Italie, dès le départ, a refusé ces achats, alors que ce pays reste absolument contrôlé par les réseaux d’influence pro-JSF. Ce qui compte, dans le cas de la Hollande, c’est la dynamique à l’œuvre : d’abord engagé dans cet achat, jusqu’à une commande effective, puis, désormais, cherchant à annuler cette commande. La séquence a fort peu à voir avec une logique purement budgétaire, comme en Italie, et beaucoup avec la confiance dans le développement du programme, qui est désormais au plus bas en Hollande. Cette dynamique peut effectivement conduire au retrait de la Hollande, malgré des obstacles considérables (notamment la très forte participation initiale de la Hollande dans le programme de développement, avec $800 millions). De toutes les façons, la chose est importante en termes de système de la communication, à cause du rôle important que la Hollande tient dans le consortium international du JSF, à la fois à cause de sa participation et à cause de sa réputation d’un pays ayant une force aérienne de grandes capacités et un engagement pro-américaniste très marqué. L’attitude de la Hollande est, dans ce cas, à mettre sur le même plan que celle d’Israël, dont nous avons parlé le 2 juillet 2010. Il s’agit des pays références pour le programme JSF, et leurs hésitations devenues réticences précises, voire pire encore, sont une bonne mesure de la situation du programme. Même l’influence américaniste, considérable dans ces deux pays, semble impuissante à contenir cette évolution. Il est vrai que le JSF est lui-même un cas douloureux pour le Pentagone, qu’on se trouve là dans une addition de désarrois et de situations de déclin et de chaos, et la puissance de l’influence américaniste suit cette évolution.


Mis en ligne le 5 juillet 2010 à 05H25