Le JSF, la psychologie et l’hypothèse suprême

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Le JSF, la psychologie et l’hypothèse suprême

18 août 2009 — La cavalerie australienne charge. Pour une raison difficile à déterminer, sinon éventuellement le reflet d’une très forte opposition non-officielle à l’achat de l’avion par l’Australie (100 exemplaires commandés) cherchant à s’exprimer par les voies dites “alternatives”, l’opposition australienne au JSF sur Internet est d’une réelle puissance. Et, aujourd’hui, Internet est un adversaire bien plus redoutable du JSF, et diablement prix au sérieux, que la presse-Pravda dont la veulerie et l’ignorance sont les deux mamelles de l’activité à cet égard.

Le site Air Power Australia (APA), rayon des compétences scientifiques affichées publiant des études très fouillées et très techniques, mène la danse. Ce site vient de frapper un grand coup, aussitôt relayés par d’autres sites australiens désormais de bonne réputation – avec sa publication, le 17 août 2009, d’une analyse sur le thème: “l’effondrement du programme JSF n’est plus une question de ‘si’ mais une question de ‘quand’” («F-35 Joint Strike Fighter Program: Collapse is a “When” Question, not an “If” Question»). La carapace too big to fail” ne tient plus.

(Les deux auteurs et animateurs du site sont ainsi présentés, selon une nomenclature caractéristique des ingénieurs anglo-saxons: Dr Carlo Kopp, SMAIAA, MIEEE, PEng, Head of Capability Analysis, Air Power Australia; Peter Goon, BEng (Mech), FTE (USNTPS), Head of Test and Evaluation, Air Power Australia. Nous nous étions notamment fait l’écho d’une analyse de Peter Goon, le 21 février 2009, notre texte sous l’aimable titre de «Et voici le JSF-Bullshit».)

Après leur longue analyse du programme JSF dans sa situation actuelle, et les raisons pour lesquelles il est en voie d’effondrement, les deux animateurs du site qui sont les signataires de l’article, concluent:

«It is therefore only a matter of time before the penny drops, and the reality that the Joint Strike Fighter program is a failed project, sustained artificially by the OSD, becomes obvious to all observers.

»What happens then? The US will have to do what it should have done years ago, which is to kill the F-35 Joint Strike Fighter, perform a critical and unbiased forward looking appraisal of its fighter recapitalisation strategy, and launch more realistic fleet replacement programs for the participant services.

»Until this happens, we will continue to see vast quantities of scarce taxpayer’s funds squandered on the F-35 Joint Strike Fighter, for no purpose other than seemingly to keep this disastrous program alive. In the meantime, the Services will have to continue to make do with reducing numbers of rapidly tiring and steadily outclassed aircraft.»

L’analyse a été aussitôt reprise, en partie ou totalement, par deux autres sites australiens qui tiennent une place importante dans le “front anti-JSF”.

• Le site d’Eric L. Palmer, ce même 17 août 2009, présente l’analyse en la commentant. Palmer met notamment en évidence le fait que les auteurs sont des ingénieurs spécialisés dans les questions technologiques militaires.

«The top uniformed leaders in the U.S. Department of Defense (DOD) get up in front of our elected officials and state that the F-35 program is well enough to bet the whole ranch on it. And for the United States Air Force, there is no Plan-B. It is too bad that there isn’t a shred of evidence to back up their position. Others aren’t taking this view lightly. In what has to be one of the most direct proclamations on the future of the F-35 program, we are told it isn’t a matter of “if” the F-35 program will fail, but when.

»Where it gets interesting is that the people making this statement are engineers. One who even graduated from the Navy’s flight test engineering school. Maybe it is the new math that bothers these old guys. For example, the F-35 program officials spare no glowing claim in the marketing of the aircraft yet they have so little to show for all of the talk. In the engineering world, marketing hype can not replace hard evidence.

• Sur le site Plane Talking, Ben Sandilands reprend intégralement l’analyse de Air Power Australia, toujours ce 17 août 2009. Plane Talking a également publié une analyse qui lui est propre, sur le programme JSF, d’un intérêt évident, le 10 août 2009: «Joint Strike Fighter: Too big to fail & too big to succeed». La situation hypothétique décrite est celle d’un programme prisonnier de très nombreuses exigences contradictoires, que ce soit technologiques, économiques, politiques et militaires; description d’un programme parvenu à un point de tension absolu, où la moindre défaillance dans un domaine peut entraîner celle de tous les autres.

Certes, les trois sites cités, à partir d’une seule analyse, ne semblent pas faire en soi “un événement” ou une “perception” générale. Mais le site APA est une référence intéressante. Il est suivi depuis plusieurs années comme le site indépendant techniquement le plus capable au niveau de l’aéronautique militaire, et donc du JSF. Il est assez considéré pour avoir, par une de ses études sur les capacités air-air du JSF, participé d’une façon décisive au déclenchement d’une polémique où Lockheed Martin (LM) et le JSF Program Office (JPO) son intervenus publiquement, et selon une tactique défensive-agressive qui en disait long sur l’effet produit par ces affirmations (voir notamment notre F&C du 23 septembre 2008, où le rapport cité dans cette dépêche de Reuters s’appuyait justement sur des recherches d’APA: «Published reports that Russian-built Sukhoi fighter jets thrashed the F-35 in simulated dogfights last month are “just flat false,” Air Force Maj. Gen. Charles Davis, the Pentagon official in charge of the program, said in a teleconference hastily called by Lockheed to rebut negative publicity at a critical juncture for the program.»)

Triomphe du “soft power” (perception de la psychologie)

Il faudrait réaliser une étude de “la psychologie du programme JSF”, c’est-à-dire l’évolution de la perception psychologique liée à ce qu’on nommerait la “situation psychologique” accompagnant le développement de cet énorme programme. Il y serait moins question de faits, d’événements, bref de réalité, que de “perception” seulement. Dans ce cas, nous ne disons pas “perception” au sens classique (interprétation de faits ou d’événements) mais de perception d’une situation psychologique – si l’on veut, pour simplifier ou compliquer les choses c’est selon, parlons d’une “perception de la perception” – de la perception extérieure de la perception régnant aujourd’hui autour du programme JSF.

En d’autres mots, le rapport d’APA, sans aucun doute excellent, aurait pu être réalisé il y a un an, sans doute avec une conclusion moins abrupte, tout en respectant ses divers attendus et propositions. La conclusion elle-même, du rapport tel qu’il est présenté, clôt une logique poussée à son terme, sans aucune fausseté du raisonnement, là où, sans doute, il y a un an, cette logique n’aurait pas été poussée aussi loin. Entretemps (nous prenons cette référence d’une année sans intention particulière), aucun incident ou accident décisif n’est intervenu pour justifier dans les faits qu’on poussât la logique à son terme; d’un point de vue psychologique, c’est différent et il y a eu une évolution manifeste – et tout est là.

Effectivement, l’analyse APA, qui va désormais officieusement figurer dans le dossier du programme JSF, constitue un apport important dans l’évolution psychologique d’une affaire qui, jusqu’ici, a effectivement évolué essentiellement dans ce domaine. La “réalité” du programme JSF étant enfermée depuis au moins 2001-2002 dans la forteresse que constitue l’alliance JSF Program Office du Pentagone et Lockheed Martin (JPO-LM), l’information donnée par JPO-LM s’est constituée en une structure virtualiste sans le moindre ouverture possible sur la réalité, alors que divers événements irréfutables montraient la dégradation du programme. Le jugement ne pouvant être normalement fixé à cause de l’hermétisme virtualiste de JPO-LM, l’évolution de la perception s’est faite au niveau de la psychologie, qui s’est structurée au travers des “fuites”, hypothèses, informations accidentelles ou indirectes, qui ont entouré le complexe JPO-LM. La puissance considérable du programme JSF verrouillée par JPO-LM a présenté de ce fait, et en fonction bien entendu de la dégradation constante du programme, une face de plus en plus vulnérable, au niveau de la perception. Les hypothèses n’ont cessé de s’aggraver, tandis que les démentis contre ces hypothèses n’avaient aucun effet puisqu’ils étaient marqués par le discrédit complet caractérisant l'information venue de JPO-LM.

On arrive actuellement au dernier stade de cette évolution. On a bien perçu, sans que rien d’officiel n’ait pourtant été dit, que le programme JSF se trouve structurellement à un tournant, avec la toute-puissance de JPO-LM soudain mise en cause par une intervention du pouvoir civil, par l’intermédiaire de l’équipe JET instituée en “juge d’instruction”. Du coup, la perception psychologique de l’évolution du programme JSF se trouve confirmée dans ses hypothèses les plus noires, et les analyses extérieures peuvent désormais aller au bout de leur logique, comme le fait APA.

A cette argumentation, on opposera à l’hypothèse du “soft power” (la perception psychologique) la toute-puissance du “hard power” (le pouvoir au Pentagone, la volonté supposée de conduire le programme JSF à son terme quoi qu’il arrive). Faudrait-il encore que ce “hard power” sache exactement où il en est et contrôle parfaitement le programme JSF, même éventuellement dans un état déplorable. Ce n’est pas le cas. Nous sommes dans une entreprise de reconquête du contrôle du programme JSF, par rapport à des partenaires (le JPO et LM) qui restent en place. Cela signifie que les arguments faussés, les chausses trappes, etc., continuent à être échangés et posés dans toutes les directions. Cela signifie que le “hard power” du Pentagone, tout en affirmant son soutien au programme JSF, est aussi conduit à mettre en cause gravement son état, face à JPO-LM, d’une façon telle que les bruits de restructuration du programme sont désormais constants. Dans ce cadre qui continue à être incertain, la perception psychologique (le “soft power”) continue par conséquent à jouer son rôle et à peser de tout son poids. Des analyses extérieures comme celle de l’APA, non-officielles mais déjà considérées sérieusement, gardent tout leur poids. Dans ce contexte, bien entendu, cette analyse de l’APA prédisant l’effondrement du programme aura évidemment une influence importante et constitue, par conséquent, un événement effectivement important.

Dans tous les cas, notre conviction est certainement que l’histoire du programme JSF, ce phénomène fondamental de notre époque politico-technologique, est aussi importante, voire plus importante, dans le domaine de la psychologie que dans le domaine des “faits” réels (cela jusqu’au dernier d’entre eux, qui serait la réalité du programme JSF conduit ou pas à son terme). Un exemple concernant ces “faits” du programme JSF est cette constatation qu’il faut avoir à l’esprit que, sans que rien de conceptuellement significatif, rien d’officiellement précisé d’une façon explicative satisfaisante n’ait été mis à la disposition de notre connaissance respectueuse pendant toutes ces années, le programme JSF a été retardé de six ans par rapport aux prévisions officielles de 1998, où le début de son entrée en service était fixé à 2008. (Un article instructif à cet égard, du Bulletin of Atomics Scientists, du 1er mai 1998, a été opportunément remis en ligne le 14 août 2009 par Eric L. Palmer. On appréciera, d’une part la critique prémonitoire du programme qui en était faite, d’autre part les prévisions et conditions officielles de ce programme, en 1998, qu’on comparera aux réalités présentes.)

L’histoire du JSF prouve que la “perception psychologique” (le “soft power”) a toujours rendu compte de la réalité approximative de l’évolution du programme, tandis que le “hard power” (l’information donnée par le pouvoir contrôlant ce programme) a constamment été dissimulatrice, faussaire, fondamentalement virtualiste. L’esprit est impressionné par de telles références. Il le sera également par l’apparition de l’hypothèse de l’effondrement du programme, selon la “perception psychologique”. L'esprit en sera marqué. La possibilité d’une telle issue devient “pensable”; ainsi commencent les grandes aventures…


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