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555Un long article d’un site asiatique (Singapour) spécialisé, Asian Tech News, signale ce qui serait une importante évolution de la position de la Turquie dans sa participation au programme et son intention d’achat de cent avions de combat JSF/F-35. Il s’agit évidemment d’une conséquence du raidissement des relations diplomatiques entre la Turquie et les USA autant que des problèmes techniques du programme JSF.
L’article, mis en ligne le 23 janvier 2011, présente d’abord un tableau complet de l’implication de la Turquie dans le programme F-16, avec 240 exemplaires achetés et une usine de production installée en Turquie. La qualité de l’intervention turque est mise en évidence, avec trois F-16 produits sur plus de 200 étant qualifié de “parfaits” après inspection, alors que neuf F-16 sur les plus de 4.000 produits en tout ont reçu cette distinction. D’autre part, depuis la détérioration des relations avec Israël et les USA, la Turquie rencontre de nombreuses difficultés à obtenir des pièces de rechange pour sa flotte de F-16, alors que les relations technologiques avec les USA ont toujours été marquées par de très sévères exigences et contraintes de la part des USA.
Concernant le JSF, l’article aborde deux aspects du problème qui se pose à la Turquie.
• Le premier est la simple question du maintien de la Turquie dans le programme et de la commande de cent exemplaires, – «due to rising costs and persisting problems originating from the American side»… Il faut noter que les sources consultées situent le coût du F-35 pour la Turquie, dans les nouvelles conditions, entre $150 et $250 millions l’exemplaire.
«Turkey is expected to purchase 100 F-35 jets in the next 15 to 20 years. Rising costs pushed several countries to withdraw from the $280 billion project, and the same senior official said Turkey might also consider withdrawing.
»The Defense Industry Executive Committee (SSİK), under the aegis of Prime Minister Recep Tayyip Erdoğan, will make its final decision in April. The SSİK is seeking ways to jointly produce some parts of F-35 fighter planes with the American General Electric Co. and the Rolls-Royce Group in Turkey.
»Turkey is also deliberating the exchange of its F-16s for F-35s within a reasonable time period. Turkey is expected to pay nearly $11 billion for 100 F-35 fighter jets. Citing rising costs in production, the consortium is asking Turkey for an additional $4 billion for the F-35s, but Turkey is reluctant to pay this amount. As some countries have withdrawn from the project, Turkey will reportedly have to pay up to $25 billion for the project.»
• Le second aspect est celui de la possibilité, dans tous les cas de la recherche d’une coopération avec des pays du Golf Persique pour la production d’un avion de combat commun.
«Turkey has made a radical shift recently, deciding to produce its first fleet of national fighter jets following crises in F-16 and F-35 projects with the US and Israel.
»Turkish authorities decided during a Defense Industry Executive Committee (SSİK) meeting last December to begin production on the first Turkish fighter jets in 2020 in order to meet the needs of the Turkish Armed Forces (TSK). TUSAŞ Engine Industries Inc. (TEİ) and TAİ will be the leading companies that will undertake production of these fighter jets, planning to design and produce plane engines by 2015.
»Israel claimed that Turkey will fail to produce these jets as no country in the world would dare to build its own planes without participating in a consortium due to the high costs.
»Nationalist Movement Party (MHP) Adana deputy Kürşat Atılgan told Today’s Zaman that no country could produce a fighter jet by itself and for lucrative production, there needs to be at least 400 jets produced. Considering this fact, Turkey had been secretly trying to build a consortium with neighboring and friendly countries. In last month’s SSİK meeting, Gönül also talked about the possibility of joint production of fighter jets with South Korean companies. This issue was raised during Erdoğan’s recent visit to Gulf countries. Turkey thinks it will be easier to produce its own fighter jets with five countries involved in the region.»
@PAYANT On attendait depuis un certain temps, comme un avatar inévitable, que la querelle entre la Turquie et les USA (et Israël) touche l’engagement turc dans le programme JSF… On l’attendait d’autant plus qu’on connaît les difficultés du JSF, qui sont autant d’opportunités favorisant un tel avatar. L’article d’Asia Tech News est le premier du genre à donner une approche détaillée de cette question, avec, effectivement, une mise en cause sérieuse de la participation de la Turquie dans le programme JSF, mais aussi la nouvelle inédite de la recherche d’une coopération de la Turquie avec des pays du Golfe. Les EAU (Emirats Arabes Unis) sont un objectif tout indiqué à cet égard, cet Emirat ayant des capacités techniques d’une très haute compétence, comme peuvent en témoigner les Français et les Américains.
Bien entendu, l’affaire a une autre dimension, qui est évidemment d’ordre politique. Le texte indique, en ouverture : «Turkey is seriously reconsidering the myriad agreements it has signed with the US, as well as its participation in an international consortium for the procurement of new generation fighter jets, due to rising costs and persisting problems originating from the American side.» Cette indication est à la fois radicale et, aussitôt, étrangement modérée par une précision qui ramène le problème à l’aspect technique. “Reconsidérer la myriade d’accords” unissant la Turquie et les USA, c’est une appréciation effectivement radicale lorsqu’on sait combien les liens entre la Turquie “traditionnelle” (laïque, pro-occidentale, etc.) et les USA étaient essentiellement de substance stratégique et militaire ; placer cette “réappréciation” sous le seul argument des “problèmes persistants” du côté US, à la fois techniques et budgétaires, constitue par contre une explication un peu maigrelette. Tout le texte est d’ailleurs placé sous le signe de cette ambiguïté, entre l’évocation de mesures ou de décisions qui caractérisent une rupture profonde, et des considérations beaucoup plus édulcorées lorsqu’on touche au terrain politique qui est tout de même inévitable pour compléter une explication acceptable de l’évolution. Cette ambivalence, à partir de sources sans doute chevronnées lorsqu’il s’agit de contenir les effets politiques trop spectaculaires, reflète sans aucun doute la volonté des dirigeants turcs d’aller très loin dans la réorientation de leur politique et de leur stratégie, mais en faisant le moins de bruit possible.
…Et, une fois de plus, la participation au programme JSF et une éventuelle commande de l’avion constituent un excellent terrain où manifester cette volonté de rupture sans engendrer des conséquences politiques immédiatement dramatiques. Bien qu’avion de combat, le programme JSF est une entreprise politique, et des doutes exprimés par la Turquie à son égard, jusqu’à une rupture possible, constitue un acte avec une certaine dimension politique ; d’autre part, le JSF reste un programme d’avion de combat, c’est-à-dire d’un domaine technique et, malgré sa dimension politique, on peut toujours se replier sur l’argument technique pour atténuer le choc politique. Mais on comprend bien que tout cela est un jeu de communication, qui ne réduit nullement l’essence politique d’un acte de la Turquie qui sortirait du programme. Il s’agirait sans aucun doute, considéré d’une façon générale et une fois tous les artifices dispersés, d’un acte de rupture stratégique fondamental entre la Turquie et les USA et, d’une certaine façon, du même acte de rupture de la Turquie avec le Système. L’on voit une fois de plus combien ce programme (le JSF) exceptionnel en tous points, jusqu’à sa dimension catastrophique, est un parfait indicateur des grands mouvements politiques et, au-delà, des reclassements stratégiques qui ont pleinement leur place dans le reclassement métahistorique en cours dans notre époque.
Un appendice intéressant à ces constats fondamentaux se trouve dans le lien antagoniste ou pas qu’on pourrait faire entre l’évolution de la Turquie vis-à-vis du JSF et celle d’Israël vis-à-vis du même, – favorable de la part des extrémistes du gouvernement israélien Netanyahou-Barak, très hostiles de la part de la hiérarchie militaire. L’évolution de l’attitude d’Israël vis-à-vis du JSF, qui peut s’incurver dans un sens hostile si le programme continue à s’orienter vers un destin catastrophique, conduirait alors ce même Israël dans une position assez étrange. Solidaire avec Washington, très hostile à la Turquie, pourtant conduit dans ce cas à partager le choix hostile de la Turquie, à forte charge anti-américaniste, à l’encontre du JSF. La situation deviendrait inextricable, voire cocasse et ironique, bien à l’image de notre temps dans sa confusion et son désordre les plus complets.
Mis en ligne le 25 janvier 2011 à 06H21
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