Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
494C’est avec un certain agacement que les publications de l’Air Force Association (AFA), le principal lobby de l’USAF, continuent à régulièrement égrener l’annonce de nouveaux délais de mise en œuvre opérationnelle du programme JSF. Lockheed Martin ne cesse de faire l’important en annonçant que le programme d’essais en vol accélère, que les essais s’accumulent, etc., mais l’agacement de l’AFA est autrement significatif du climat qui entoure l’évolution du programme, dans le chef de son principal utilisateur, l’USAF, dont l’AFA est dans ce cas le représentant officieux. En effet, les délais ne cessent de s’ajouter aux délais. Nous sommes donc dans ce cas, déjà vu au niveau de la mise en place de la structure industrielle, du “plus on avance, moins on avance”, – et, à l’extrême, jusqu’au “tout égale rien”.
Le 17 mars 2011, le Daily Digest de l’AFA signalait déjà des possibilités de nouveaux délais.
«The Air Force may have to wait up to two additional years beyond the current estimate before its first unit of F-35A strike fighters is declared ready for operations, according to two senior service officials. Last June, Air Combat Command estimated that it would be able to reach initial operational capability with the F-35A in 2016. But this may change depending on the outcome of subsequent ongoing analysis weighing the impacts of the most recent F-35 program changes, said Lt. Gen. Herbert Carlisle, deputy chief of staff for operations, plans, and requirements, and Lt. Gen. Mark Shackelford, military deputy to USAF's acquisition executive, in a joint statement submitted to the House Armed Services Committee's tactical air and land forces panel Tuesday. “When this analysis is complete [later this year], the Air Force will reevaluate our IOC estimate, but we currently expect up to a two-year delay,” they wrote.»
Le 12 avril 2011, le même Daily Digest de l’AFA confirme cette évaluation publiée le 17 mars. Cette fois, la source est impérative puisqu’il s’agit d’une déclaration devant le Congrès du général Schwartz, le chef d’état-major de l’USAF, concernant cette mise en service opérationnelle du JSF (le F-35A)…
«The Air Force may be able to field its first unit of combat-ready F-35A strike fighters in 2017 under the most recent restructure of the tri-service F-35 program, said Chief of Staff Gen. Norton Schwartz. “That is still not quite firm. We thought [before the restructure] we would be able to declare initial operational capability in April of 2016. It's going to be later than that, maybe late in the year in 2017, primarily because of software development issues,” Schwartz told the House Appropriations Committee's military construction panel. Defense Secretary Robert Gates announced the restructure in January to lessen risk by removing concurrency in the F-35's flight testing and production. The Air Force is still reviewing its effect on the F-35A's fielding schedule, but service officials have said there could be a delay up to two additional years, meaning as late as 2018. Schwartz said the F-35A “is performing actually quite well” in testing. “But integrating all of the capabilities onto the bird—weapon delivery capabilities and so on—is the current pacing item,” he noted during his April 7 appearance before the panel.»
Deux choses doivent être retenues de ces déclarations de Schwartz.
• La question du délai lui-même… Les généraux de l’USAF cités plus haut parlaient de 2018, parlant en réalité d’une mise en service initiale (IOC, ou Initial Operationnal Capability), qui implique un déploiement dans les unités opérationnelles de l’USAF mais non encore un fonctionnement opérationnel sans restriction. Celui-ci peut prendre quelques mois a être mis en place, ou bien plus, plus d’une année, ou plus encore. Schwartz veut paraître plus optimiste devant le Congrès mais le vague de ses prévisions signifie qu’absolument rien n’est encore décidé. Il y a fort à penser, à l’éclairage des péripéties passées (dans ce programme et dans tous les autres de ce niveau technologique), que de nouveaux délais seront annoncés à mesure qu’on approchera de la détermination de la nouvelle date, – 2018 étant largement plus probable que 2017, et, sans doute, bien moins que 2019, et ainsi de suite…
• Le deuxième point est très intéressant. Il confirme, mais par la voix du “technicien” et de l’utilisateur le plus autorisé, la cause actuelle fondamentale de ce délai («…the F-35A “is performing actually quite well” in testing. “But integrating all of the capabilities onto the bird—weapon delivery capabilities and so on—is the current pacing item”»). Il s’agit donc de l’énorme appareillage électronique, dont l’intégration pose des problèmes considérables. C’est la même occurrence qui avait causé les plus graves délais de développement du F-22 (de deux à quatre ans), sans que le question soit complètement résolue. (Le F-22 présente le cas d’incidents non résolus, mystérieux et sans aucun doute révélateurs de l’extrême complexité du problème de l’intégration de l’électronique, notamment au niveau de l’encodage [lignes code]. Or, le F-22 est beaucoup moins chargé à ce niveau, car son ensemble électronique, nécessitant plusieurs millions de lignes code, et est très largement inférieur en volume à celui de l’ensemble de lignes code nécessaire pour le JSF, – dépassant les 20 millions de lignes code.) Ces précisions de Schwartz indiquent qu’il y a tout lieu de penser que les précisions pour l’allongement du délai sont pour l’instant fonction d’une évaluation théorique très imprécise, alors que l’expérience montre que cette sorte de problèmes se résout toujours par des délais supplémentaires en cours de traitement, et souvent plus abondants lorsqu’approche le terme, et souvent sans résolution du problème général.
Le programme JSF confirme en l’amplifiant l’obstacle majeur des systèmes d’arme moderne. L’intégration de l’électronique dans le système d’arme est de plus en plus difficile parce que l’électronique intègre de plus en plus de fonctions opérationnelles, extrêmement délicates à coordonner lors de l’installation qui se fait en milieu statique et stable, ensuite encore plus “extrêmement délicates” à activer dans le milieu opérationnel qui est incertain et impossible à contrôler par définition. Par rapport au F-22, le JSF se rapproche encore plus d’une situation où pourrait être envisagé un blocage définitif du processus d’intégration à cause de cette complexité. En d’autres termes, l’avancement des exigences de ces critères d’intégration et de fonctionnement du système électronique conduit à juger de plus en plus possible l’apparition d’une situation où l’ensemble se trouverait dans une impasse et menacé d’une dégradation catastrophique pour pouvoir le faire fonctionner, voire une dégradation catastrophique qui interdirait tout fonctionnement à cause des contraintes contradictoires renforcées jusqu’à des effets contre-productifs.
C’est là qu’on trouve cette situation du “plus on avance, moins on avance”, voire du “plus on avance, plus on recule”, voire pour le bouquet final du “tout égale rien”. L’enseignement éventuel ne concerne pas seulement, le JSF, les systèmes d’arme, etc., mais préfigure sinon confirme la possibilité sinon la probabilité d’une impasse structurelle et conceptuelle dans l’organisation et l’utilisation des technologies dans la situation de la réalité du monde. C’est une tendance générale fondamentale du système de l’“idéal de puissance” et de son expression de puissance brute qu’est le système du technologisme : on est capable de fabriquer et de concevoir de plus en plus de technologies de plus en plus avancées, et on est de moins en moins capables, jusqu’à l’impossibilité, de les faire fonctionner ensemble pour l’effet concret annoncé dans la situation de la réalité du monde, – qui reste jusqu'à nouvel ordre le cadre inévitable du fonctionnement de notre civilisation. De plus en plus, le talon d’Achille du Système est dans son incapacité grandissante jusqu’à l’impossibilité d’assurer les liaisons et réseaux latéraux adéquats assurant les connexions d’emploi pour l’effet recherché. (Cette situation apparaît partout, dans des domaines très différents : le problème de certaines disettes alimentaires est de plus en plus, non dans la production suffisante d’aliments mais dans la capacité de les distribuer où ils doivent l’être, sans parler des effets déclencheurs de la spéculation.) C’est le paradoxal échec de la théorie du globalisme dans un monde où le Système se globalise de plus, par son évidente dynamique qui renvoie absolument au globalisme… La théorie du globalisme est que l’effet obtenu par la réunion de divers éléments destinés à former un tout est plus grand dans cette formation du tout, jusqu’à une rupture “qualitative”, que la seule addition des capacités de ces éléments ; nous nous orientons vers le contraire : l’effet de la réunion des divers éléments qui vont former un tout est de plus en plus inférieur à l’addition des capacités de ces éléments, jusqu’à la possibilité de la nullité, – le tout devenant alors le rien…
Mis en ligne le 14 avril 2011 à 09H22
Forum — Charger les commentaires