Le JSF qui rugissait

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Après toutes ces polémiques, ces incidents, ces contestations qui parsèment la vie déjà longue de ce programme d’avion de combat, on pourrait croire qu’on sait tout du JSF, de ses performances et de ses espérances, de ses déboires et de ses calamités. On se tromperait. On n’est jamais trop audacieux dans l’attente qu’il faut en avoir car le gaillard parvient encore à nous étonner.

Cet avion, conçu comme une gigantesque cathédrale de $milliards pour conquérir le monde entier, est l’avion furtif par excellence, bardé de technologies elles-mêmes furtives, chargées d’assurer une complète discrétion de la chose. Très difficile, paraît-il, à “voir” par les radars. Il s’avère par contre, surprise, surprise, qu’on l’entendra venir de loin. Le JSF pétarade à qui mieux-mieux. L’avion invisible, on le suivra au bruit, comme d’autres à l’odeur.

C’est la dernière trouvaille de l’Air Force. Le F-35 (JSF) monomoteur est en moyenne deux fois plus bruyant que le bimoteur F-15. C’est un rapport minutieux de l’USAF, au décibel près, qui nous annonce la bonne nouvelle, – dans Defense News du 3 novembre 2008.

«…Around Eglin [Air Force Base, Florida], much of the public’s environmental concerns center on jet noise. People living near the base are accustomed to the roaring jets at the base and don’t look twice when a fighter circles for a landing or takes off at full military power. But when the Air Force issued a preliminary environmental study in June showing an F-35’s single en gine would generate more noise than the two engines of an F-15, people started paying attention. The preliminary findings were confirmed in the environmental assessment released by the Air Force on Oct. 10.

»“At military takeoff power, noise from the F-35 is about 9 decibels higher — or twice as loud — than an F-15C at military takeoff pow er,” the report said. The F-35 is even louder coming in for a landing. “During approach, noise from the F-35 is about 19 decibels higher than noise from an F-15C,” the re port said. “This corresponds to the F-35 being about four times as loud as the F-15C” when it lands.

»Overall, the combination of louder engines and different flight patterns drastically expands the areas where engine roar will reach 75 decibels and higher. The study noted that once sound levels exceed 75 decibels, more than one-third of the people are “highly annoyed.”»

Aviation Week & Space Technology, du 3 novembre également (accès payant), préfère donner une version de la chose nettement édulcorée, avec l’explication prêt-à-porter de Lockheed Martin (LM) nous assurant que cet inconvénient demande à être mieux étudié, de façon qu’on s’aperçoive que cet inconvénient n’en est pas un, que si le JSF fait plus de bruit il en fait, en fait, autant que “ce qu’on peut attendre d’un chasseur” qui fait du bruit, c’est-à-dire comme le JSF qui fait du bruit. Bref, il fait du bruit mais c’est le JSF, alors c’est normal; peut-être nous dira-t-on un jour que les décibels-JSF ont quelque chose de particulier, qu’ils sont plus stealth que les décibels comme vous et moi, plus postmodernes en un sens, donc avec des vertus cachées, comme le bruit lui-même. Au passage, on nous rappelle, sans trop insister tout de même, que cette affaire peut ouvrir un nouveau front dans les ennuis du JSF puisque les nuisances environnementales sont un des soucis majeurs du gouvernement australien dans son évaluation du JSF.

L’extrait du texte d’AW&ST est du reste un modèle de montage, involontaire de la part d’AW&ST dont on connaît la vertu journalistique, volontaire de la part de Lockheed Martin dont la philosophie humaniste a largement orienté la structure du texte. Ce n’est que très loin dans le texte, enfoui dans un article bardé d’observations techniques incompréhensibles, et rassurantes parce qu’incompréhensibles, qu’on apprend les résultats du rapport de l’USAF. On observe dans l’entame de l’article qu’on nous dit ceci (cité ci-dessous), qui est remarquable par le choix des mots: une campagne d’évaluation du bruit du JSF a été conduite (après le rapport catastrophique de l’USAF qu'on découvre plus loin) dans le but avéré de soutenir les affirmations de LM selon lequel le bruyant JSF ne l’est pas plus, après tout, que ce qu’il doit être… Nous soulignons en gras l’expression qui importe, qui établit implicitement un étrange rapport de cause à effet, qui n’est pas dans le sens qu’on croit (“l’évaluation sera utilisée pour renforcer les affirmations de Lockheed Martin…”, – le résultat de la chose, quasiment connue d’avance, devant effectivement s’avérer fort à propos pour soutenir l’argument de LM).

«The noise evaluation was carried out in response to requests from Australia, and will be used to back up Lockheed Martin’s claims that the F-35 is not appreciably louder than other fighters, despite its more than 40,000-lb.-thrust single engine. “Analysis will take a couple of weeks, but we have done some preliminary work and it looks like what you’d expect from a fighter,” says Lockheed Martin vice president of the F-35 integrated test force, Doug Pearson.»

Soyons sérieux, l’heure est grave si le montage est avéré. On ne peut voir dans de telles nouvelles autre chose qu’un dysfonctionnement fondamental mais qui ne peut étonner des processus d’intégration des technologies, du cloisonnement des structures chargées d’activer le développement du système, de l’aveuglement de la doctrine du “technologisme” qui conduit nos pas. Il fut un temps (dans les années 1970) où l’on concevait encore qu’un avion de combat était une addition de qualités diverses (agilité, capacité d’accélération, bruit réduit, émissions de fumée réduite, etc.). Le JSF, lui, a été construit autour de la technologie furtive (stealth) comme on arrange le reste du monde autour du Saint Graal, ou le sapin de noël autour du cadeau. Le reste est à l’emporte-pièce, sans pour autant avoir la garantie que la technologie furtive marche et qu’elle a bien l’efficacité qu’on lui prête. On en est donc à débattre pour savoir si le JSF est supérieur en combat aérien à l’avion qu’il remplace (le F-16) tout en étant assuré qu’il coûtera plus cher («The Air Force’s newest fighter, the F 35, can be regarded as only a technical failure, and it will cost multiples of the aircraft it replaces, the aging, overweight F-16», écrit Winslow Wheeler). Cet avion universel, dont on célèbre depuis dix ans la gloire incontestable, ne cesse de s’affirmer comme un étrange artefact, un peu à l’image du Pentagone, – plus l’on progresse, plus l’on régresse, plus l’on dépense de l’argent, plus l’on est inefficace. (Toujours Wheeler: «The evidence, while counter-intuitive, is irrefutable that more money makes our problems worse. As the Army, Navy and Air Force budgets have climbed, their forces have grown smaller, older and less ready.»)


Mis en ligne le 7 novembre 2008 à 23H22